Trop d’étrangers dans les musées saoudiens ? Dépasser le réflexe du cliché

On entend souvent, en Arabie Saoudite, que les administrations culturelles et les musées compteraient « trop d’étrangers ». Les Egyptiens et les Libanais trouvent parfois qu’il n’y a pas assez de choses arabes. Certains Saoudiens préféreraient qu’on rende justice aux Saoudiens. L’argument revient régulièrement, parfois avec insistance, parfois comme une évidence. Il est à la fois partiellement vrai et profondément banal.

Car au fond, tout le monde trouve toujours qu’il y a trop d’étrangers quelque part. Les Anglais le disent à propos des médecins. Les Français le disent à propos de tout et de n’importe quoi. Et ailleurs, on le dira à propos des universités, des hôpitaux ou des institutions culturelles. Rien de très spécifique, donc, ni de très intéressant.

Il n’y a guère que les amateurs du Louvre pour ne pas se plaindre du trop-plein d’Italiens et de chefs d’œuvres égyptiens, puisque nos armées et nos savants les ont pillés innocemment. Cette boutade dit quelque chose d’important : la question n’est jamais seulement celle de la présence étrangère, mais de la légitimité qu’on lui accorde.

Alors, quelle est réellement la situation qu’il faut regarder en face en Arabie Saoudite ?

Il est vrai que l’on ne fait probablement pas encore assez appel à des professionnels saoudiens, notamment dans certaines fonctions clés : conservation, recherche, écriture curatoriale, direction artistique. Il existe parfois une solution de facilité qui consiste à se tourner vers des profils français, britanniques, italiens, allemands, libanais, maghrébins ou égyptiens. Ces professionnels ont un savoir-faire reconnu, souvent ancien, qu’ils ont su mettre en avant, structurer, théoriser, rendre visible à l’international. Ils savent se présenter, se vendre, et inscrire leur travail dans des réseaux déjà existants.

Ce recours n’est ni illégitime ni absurde. Il permet de lancer rapidement des projets, d’atteindre des standards internationaux, de gagner en crédibilité. Mais il peut aussi devenir un réflexe un peu paresseux. Et à ce stade de développement du paysage culturel saoudien, on peut se demander s’il ne faudrait pas aller plus loin, faire plus d’efforts, prendre davantage de risques.

Dans le champ artistique, on observe déjà une volonté affirmée d’intégrer des artistes saoudiens. C’est un point essentiel, et il ne faut pas le minimiser. Mais là encore, une autre question se pose : ne voit-on pas trop souvent les mêmes noms ? Ahmed Mater, Manal AlDowayan, Mohannad Shono, pour ne citer qu’eux, occupent une place importante, et à juste titre. Leur travail est solide, reconnu, structurant. Mais peut-être est-il temps désormais d’ouvrir plus largement le jeu. De regarder du côté des artistes nés dans les années 2000. D’accepter des pratiques moins installées, moins immédiatement lisibles, moins rassurantes. D’accompagner l’émergence plutôt que de capitaliser uniquement sur des figures déjà consacrées.

La même réflexion vaut pour les chercheurs, les écrivains, les auteurs de textes curatoriaux et critiques. Là aussi, l’ouverture existe, mais elle pourrait être plus audacieuse, plus systématique. Écrire l’histoire, produire les récits, formuler les cadres théoriques : tout cela ne devrait pas rester majoritairement importé.

Cela étant dit, il serait naïf d’oublier une chose essentielle : partout ailleurs, les grands musées sont eux aussi remplis d’objets, de récits et de voix étrangères. Le Musée d’art islamique de Doha, par exemple, expose très peu d’œuvres directement issues du Qatar. Et cela ne choque personne. Au contraire, c’est précisément cette ouverture qui fonde son intérêt et sa portée internationale.

Si l’on voulait construire des musées ou des publications culturelles composés à plus de 50 % de contenus strictement saoudiens, le risque serait réel de produire des institutions excessivement provinciales, refermées sur elles-mêmes, peu attractives au-delà de leur contexte immédiat. Et, au fond, peu intéressantes, y compris pour les publics locaux.

L’enjeu n’est donc pas de remplacer une domination étrangère par une fermeture nationale. Il est de trouver un équilibre. Un équilibre entre expertise internationale et production locale. Entre transmission de savoir-faire et montée en compétence. Entre reconnaissance des figures établies et pari sur les générations à venir.

Rien de très original, sans doute, dans cette conclusion. Mais c’est précisément parce qu’elle est peu spectaculaire qu’elle mérite d’être répétée. À mesure que le secteur culturel saoudien se structure, cette question de l’équilibre, plutôt que celle du « trop » ou du « pas assez », devient centrale.

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