
J’ai fait un petit voyage plein de charme la semaine dernière. Pour la première fois, Tom nous a invités, Barra et moi, dans la ferme de son enfance.
Tom est né et a grandi dans la province du Kerry, dans le sud-ouest de l’Irlande. Ses parents étaient fermiers et logeaient dans une maison qui date du XIXe siècle. Aujourd’hui, c’est l’un des frères de Tom qui a repris l’exploitation, et qui a construit une maison plus moderne juste à côté, pour y loger sa femme et ses trois enfants.

De son côté, Tom n’a jamais cessé de passer ses vacances d’été et d’hiver dans sa chambre d’adolescent, sous les toits de la vieille ferme. Il y entrepose les livres et les disques vinyles dont il ne veut pas s’encombrer à Dublin. Maintenant que ses parents sont aux cieux, après plusieurs années de deuil, Tom est prêt à accueillir des amis dans la ferme. Barra et moi fûmes les tout premiers à y résider plus de quelques heures, à y dormir. C’est peut-être la première fois depuis des siècles qu’y séjournaient des gens étrangers à la famille de Tom!

J’ai loué une voiture à Belfast, ai fait quelque affaires à Navan et suis passé chercher Tom et Barra à Dublin, pour les conduire de l’autre côté du pays en quelques heures. C’est chouette les petits pays, c’est comme des îles. D’ailleurs l’Irlande est une île.
On a pu aller se promener au bord de la mer, dans la charmante station balnéaire de Ballybunion, qui fait penser aux années 60, avec ses bonbecs en plastique, ses bleus et ses blancs. Je me suis baigné dans les vagues, pendant que mes amis pestaient contre l’Europe sur la plage.


Nous nous sommes promenés le long des falaises qui font penser à la Normandie et, ô joie, nous avons vu le pub que possédait l’écrivain et dramaturge John B. Keane, astucieusement nommé le « John B. Keane Inn ». C’est le fils, Billy Keane qui s’en occupe, et le soir du 12 juillet, nous avons assisté dans ce pub à une soirée de lectures et de musique qui attira une bonne quarantaine de gens du coin.
La petite ville, Listowell, est très « culturelle » pour une bourgade de deux ou trois mille âmes. Un festival littéraire, des productions de théâtre, une légende de l’écriture contemporaine, Listowell est l’incarnation du mythe irlandais « île des saints et des savants ».
Le chanteur nord-irlandais Mickey McConnell a terminé la soirée avec Only Our Rivers Run Free, cette chanson qu’il a composée, mais qui rencontra le succès grâce à l’interprétation de Christie Moore. Son interprétation à lui, Mickey, est la plus poignante de toutes. Quand les filles du pub reprenaient le refrain en choeur, c’était tellement beau que j’en avais la chair de poule et les larmes aux yeux.

Le soir, après dîner, on apportait des bières dans la chambre de Tom, pour passer le temps de la seule manière qui vaille, quand on est un adolescent éternel : écouter des disques, comparer les différents Dylan (Tom les a tous), discuter du mérite respectif de Kraftwerk et de Marc Knopfler.
Et puis parler des filles qu’on n’a pas eues. Du bonheur qui existe ou qui n’existe pas. Tom a parlé d’une certaine administrée de la ville de Limerick, dont il était amoureux dans les années 80, mais il n’a pas saisi la chance quand elle s’est présentée, et maintenant il se demande ce qu’elle est devenue. Il doute qu’elle ait épousé son producteur de boyfriend.

J’ai pu lire dans sa bibliothèque la fameuse pièce de John B. Keane, The Field, ainsi que la grande biographie de Beckett par James Knowlson. Barra se demandait pourquoi les Français admiraient des mecs comme Joyce et Beckett plutôt que des Keane, des Kavannagh ou des O’Brien. Il nous trouve snobs, il dit qu’on aime les écrivains irlandais à partir du moment où ils imitent les Français. « Une autre bière Liam ? »
