Les influences musulmanes de l’humanisme protestant

Qui connaît encore Michel Servet ?

Qui en parle ? Qui lui rend hommage ? En Suisse, quelques téléfilms. À Vienne, près de Lyon, une sculpture. À Genève, une plaque. Ici ou là, une commémoration discrète. Mais dans le monde des idées ? Silence.

Michel Servet, ou plutôt Miguel Servet, né en Aragon, brûlé à Genève en 1553. Il fut brûlé deux fois, c’est dire si on l’a détesté : les catholiques ont brulé son effigie à Vienne, et les protestants ont brûlé son corps à Genève, sur ordre de Calvin.

On le cite parfois comme un martyr de la liberté de conscience, un précurseur des Lumières. Il l’était. Mais on l’évoque toujours à moitié, amputé de son contexte. On répète qu’il a nié la Trinité, qu’il a osé contester la divinité du Christ, qu’il est mort pour ses idées. Tout cela est vrai. Mais on oublie l’essentiel.

On oublie systématiquement son origine. Il était Espagnol. Né dans une Espagne qui venait à peine de voir disparaître l’administration musulmane. Une Espagne encore traversée par les échos de Cordoue, de Grenade, de Tolède. Une Espagne où les débats théologiques, philosophiques, scientifiques, hérités du monde islamique, résonnaient encore sous les tortures de l’Inquisition et l’intolérance des Rois catholiques.

Servet n’était pas musulman, mais il était le produit d’un monde traversé par l’islam. Il pensait dans une langue et dans une logique influencées par l’Andalousie savante. Ce n’est pas un hasard s’il a voulu concilier foi et raison, si sa critique de la Trinité repose sur une lecture rigoureuse et parfois littérale des Écritures, démarche analogue à celle des théologiens musulmans. Ce n’est pas un hasard s’il a défendu la liberté de penser, dans une ligne qui rappelle celle d’Averroès. Il était, comme Spinoza plus tard, un homme issu d’un monde traversé par les croisements. Et comme Spinoza, dont la pensée porte la trace de l’héritage marrane, Servet est un maillon invisible entre les débats andalous et la modernité européenne.

Il ne s’agit pas de réduire Servet à ses origines. Il s’agit de réinscrire ses idées dans leur véritable géographie. De comprendre que ce que l’on appelle “Lumières” ne naît pas dans un vide, mais dans un monde saturé de circulations. La pensée critique européenne ne tombe pas du ciel. Elle émerge aussi des poussières d’Al-Andalus.

Michel Servet n’est pas seulement un précurseur des Lumières. Il est peut-être, d’abord, un héritier de la clarté andalouse.

Glyptothek, le rêve d’une renaissance ratée

C’est l’étrange nom de ce musée qui m’en avait toujours tenu éloigné. Glyptothèque. Quelle erreur de ma part. Au cœur du quartier des musées de Munich, ce bâtiment des années 1830 est rénové de manière ravissante et abrite une magnifique collection de sculptures de la Grèce antique et de Rome.

Le dimanche, le billet d’entrée coûte un euro.

C’est une drôle d’histoire de musée, presque un paradoxe à elle seule. On pourrait s’attendre à ce qu’un premier musée public soit dédié aux trésors locaux, à l’identité bavaroise, aux racines germaniques. Mais non, lorsque le roi Louis Ier de Bavière décide de fonder ce temple de la sculpture, il ne choisit pas de célébrer son propre passé, il préfère mettre en avant l’héritage grec et romain. Un geste qui en dit long sur la nature même du musée : bien plus qu’un coffre aux trésors nationaux, c’est une scène où l’on joue une certaine idée de la civilisation. Alors bien sûr, derrière cette admiration pour l’Antiquité méditerranéenne, il y a sans doute aussi une pointe d’ambition allemande. Une volonté d’inscrire la Bavière dans la lignée des grandes cultures classiques, de se poser en héritière légitime de cette pureté idéalisée. Une manière, peut-être, de revendiquer une certaine noblesse européenne, entre idéal esthétique, domination militaire et renouveau politique.

La deuxième guerre mondiale aura fait s’effondrer ce rêve allemand. La brutalité des nazis aura eu raison de la renaissance bavaroise qui essayait de se tremper dans les chefs d’œuvres antiques pour construire un nouvel âge d’or.