
Strasbourg est une ville stimulante pour l’esprit car elle est allemande et elle est française mais le voyageur se trompe souvent sur ce qui fait d’elle une ville allemande et une ville française.
La cathédrale par exemple. Qui peut dire que c’est typiquement allemand ? Il me semble que le gothique est surtout né en France, mais que son expression tardive, dite « gothique flamboyant » est plus visible outre Rhin. En tout cas oui, le sage précaire a toujours été arrêté, interdit, presque effrayé devant la cathédrale de Strasbourg. La première fois que je l’ai vue, c’était dans les années 1990, avec Ben, mais j’ai oublié la raison et l’occasion de notre virée à Strasbourg. Ce que je n’ai pas oublié, c’est l’émotion violente que j’ai ressentie au contact de ce monument extraordinaire. En marchant devant, hier, Hajer me disait que ça lui faisait peur. J’imagine les gens du Moyen-âge. Leur frisson sacré.
La place de la République, aussi, est typique de cette incertitude, (ou devrait-on dire oscillation ?) entre France et Allemagne. Nous l’avons découverte après la nuit passée dans la voiture, et après le premier café pris à l’hôtel de Royan. En tournant autour de cette place, j’ai d’abord pensé que c’étaient des constructions françaises. L’architecture générale me faisait penser à Paris ou à Lyon. Puis en tournant une deuxième fois autour de la place, on voit un symbolisme qui renvoie à l’empire plutôt qu’à la république. On gare la voiture pour regarder les monuments de plus près car il nous semble que là, sur cette place, Strasbourg nous crie son histoire.
Des figures d’écrivains allemands apparaissent sur une des façades, et nous nous avisons qu’il est écrit en lettres d’or surajoutées : « bibliothèque nationale universitaire ». Cette façade célèbre des écrivains de langue allemande sur sa moitié droite, et de l’autre côté Molière, Shakespeare, Dante et Calderon, c’est-à-dire le reste de l’Europe. Si les Français avaient bâti cette bibliothèque, ils auraient mis des auteurs de langue française et à mon avis seulement Goethe du côté européen.
Nous avons adoré nous promener à pied et en voiture dans cette ville romantique et douce. Les arbres étaient jaunes et ocres en bord de rivière. D’énormes oiseaux sombres, des espèces d’oies sauvages, s’y reposaient et s’en détchaient pour faire d’amples cercles dans le ciel gris.
Hajer dit préférer Strasbourg à Munich et voulut y trouver un travail pour s’y installer. Quand, comme elle, on n’est ni française ni allemande, mais qu’on vit avec un Français et dans la langue allemande, il semblerait que Strasbourg soit faite pour vous.
