J’aime/Je n’aime pas Susan Sontag

Dans le supplément littéraire de Libération, ce matin, Philippe Lançon évoque la parution du deuxième volume du Journal (1964-1980) de Susan Sontag. Il cite les listes qu’elle écrit, ainsi que les « J’aime/Je n’aime pas ». Comme le dit Roland Barthes, cet exercice n’a aucune valeur et pourtant il montre combien « mon corps n’est pas le même que le tien ».

Et c’est vrai qu’à voir ce qu’aime et n’aime pas Susan Sontag, je me sens plus éloigné d’elle que de n’importe qui. Extraits :

Elle n’aime pas

– les couples (moi je les adore), – les matches de football (no comment), – nager (cette femme ne sait rien des rivières), – les chats (cette femme n’a pas de coeur), – les parapluies (mouais), – être photographiée (je doute que cela soit sincère), – me laver les cheveux (je ne sais pas à quoi elle fait référence), – donner une conférence (moi j’aime), – les cigares (moi j’aime), – écrire des lettres (moi j’aime), – prendre des douches (moi j’aime), – Robert Frost (moi j’aime), – la nourriture allemande (moi j’adore), – les hommes velus (le sage précaire en est un, Susan, et il t’emmerde), – les livre de poches (snob).

Je crois que je ne pourrais pas m’entendre avec une femme comme Susan Sontag. Or, quand je me remémore le peu que j’ai lu d’elle, cela ne m’étonne pas. Mais le pire vient peut-être de ce qu’elle aime. Extraits :

Elle aime

– régler des factures (no comment)

– les grottes (je vois ! les grottes, ça donne un côté philosophe, un côté platonicien, leibnizien, le genre je suis profonde et obscure. Bullshit.)

– regarder le patinage artistique (même chose que pour les grottes, mais à l’inverse : ça donne un côté surface des choses, « la profondeur c’est la peau », tout ça.)

– l’art du Bénin (typiquement le truc qu’on dit pour faire classe. Connaît-elle seulement les arts des autres pays africains ?)

– les meubles de bureau (non mais je rêve. Et on voudrait nous faire lire des livres écrits par une telle femme ?)

– les Juifs (elle aime tous les Juifs, comme ça ? C’est une inclination de son corps. Elle aime les meubles de bureau et les Juifs.)

– les aphorismes (elle est prête pour lire Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson. Eux deux pourraient s’entendre.)

Bon, j’arrête ici. Il se trouve qu’à chaque fois que je suis tombé sur une citation de Sontag, dans un article universitaire, j’ai trouvé ça con, ou peu convaincant. Ceci s’explique peut-être par le fait que son corps, si l’on en croit ses « j’aime/je n’aime pas », est trop éloigné du corps de la sagesse précaire.