J’ai peu donné de mes nouvelles ces derniers temps car je travaillais sur un projet. Sur mon ordinateur, je surfais sur des idées, des textes, des citations. Le dernier jour de cette période de fête, on m’a volé ledit ordinateur portable.
Dans un grand magasin américain, alors que je choisissais de la nourriture coréenne, quelqu’un l’a pris dans le caddy. Je n’aurais jamais dû le laisser dans le caddy, je sais, c’est donc ma faute. Quelques secondes ont suffit au malfaisant pour commettre son forfait. Une demie douzaine de personnes étaient témoins, une jeune fille me fit comprendre par un geste que quelqu’un s’était enfui dans telle direction. Je courus dans cette direction quelques minutes, mais c’était bien entendu peine perdue.
Je revins vers le rayon de nourriture coréenne, sans savoir pourquoi. Une demie douzaine de visages souriants me considéraient. Ah ! l’antique sagesse qui permet de prendre le malheur d’autrui avec le sourire. Cela force le respect.
Je ne pouvais pas me résoudre à partir du magasin. Je me sentais trahi au plus profond de moi. Trahi par moi, bien sûr, et par tous ces gentils traîne-savate que je croisais habituellement dans mon magasin. Je hantais une zone incertaine entre les caisses enregistreuses et le rayon coréen, comme si je sentais obscurément que le malfrat allait nécessairement revenir sur les lieux du crime.
Pour me calmer, je me disais qu’il ne fallait pas s’attacher aux biens matériels. Voilà une bonne occasion de pratiquer la sagesse transpirante. Mais les leçons de détachement que je me faisais, j’y résistais un peu en me disant : « Soit, mais ce n’est pas l’objet en lui-même dont je déplore la perte. Ce sont les textes écrits dedans, les photos et les vidéos emmagasinées, les souvenirs. Faut-il se détacher de nos souvenirs aussi, sous le seul et mince prétexte qu’on va tous crever un jour ? C’est un peu fort de café. Et lorsque je perdrai un être cher, faudra-t-il aussi que je me dise qu’il faut accepter ? Ah, sagesse précaire, tu m’en demandes des sacrifices. »
J’ai pensé très rapidement au blog. Mes disques durs pourront bugger, mes outils disparaître, quelques pages seront sauvées dans la blogosphere.
Je compatis a ton désarroi, Guillaume… J’ai même l’impression qu’on aurait tous hanté la zone du vol pendant qques temps. Besoin de faire réagir ceux qui nous entourent, et indirectement de questionner leur absence de réaction face à ce qu’ils ont vu. Je pense que s’il y a bien une situation révélatrice de la montée de l’individualisme dans nos sociétés contemporaines, de l’absence de lien, c’est celle-la.
Autre lieu, autre anecdote, lors de mon dernier retour en France, j’ai été le témoin d’une incivilité emmerdante. Je monte dans un bus ou un « jeune » écoute de la musique à plein tubes sans que personne ne bronche. La démission collective par excellence. Un moins jeune de 15-20 ans (moi), lui demande poliment d’éteindre. Lui me répond benoîtement « et pourquoi ? ». S’en suit 5 minutes de discussion où je dois le menacer, poliment, d’aller en parler avec le conducteur pour qu’il finisse par arrêter. Ca m’a énervé pour la journée. Je ne tire pas de gloriole de cette anicroche, je sais que je suis assez grande gueule pour la ramener, ce que je ne supporte pas c’est qu’on est dans un monde où tout le monde se défausse !
J’aimeJ’aime
Je compatis également sincérement, je peux comprendre a quel point c’est dur, car je me suis fait volé moi-même des textes , des photos et des vidéos emmagazinés dans une^petite boite juste avant mon départ de Nankin par un chauffeur de taxi ignoble car à moitié bourré. J’y tenais beaucoup ,car il y’ avait des pastiches d’éléves, des travaux de réécritures de chansons et de créations littéraires, qui en faisaient toute la saveur, ainsi que des objets et des présents d’une valeur inestimable car unique humainement, présents (disques taoistes, tableaux,livres) d’amis chinois qui m’avaient beaucoup marqués, séduits,,enthousiasmés. Heureusement je n’avais pas tout stocké dans ce carton et le chauffeur de taxi est reparti avec un quart de mes souvenirs seulement, mais c’est vrai que l’on se sent obligé de revenir sur le lieux du crime, d’inspecter, comme pour apaiser sa rage. Je ne sais combien de bureau de postes, de cafés, de chauffeurs de taxi j’ai emmerdé pour qu’il me renvoie ce maudit carton si un jour il le retrouvait. Parfois je me dis même que ce serait l’occasion, l’alibi d’un retour a Nankin, « à la recherche du carton perdu » (on ne rit pas !), mais je me suis fait une raison. Il ne faut pas avoir de regrets, c’est déja trés fort de se controler et de se dire que seul reste le blog. Digne d’un authentique sage précaire, mais évidemment ça ne console pas trop ce que je dis la.
J’aimeJ’aime
Ce n’est pas si mauvais de perdre. Comme je suis parano de la conservation, mon ordinateur est entouré de disques extérieurs où je copie ce que je veux conserver, un qui voyage mais pas dans la même valise; un qui reste chez moi, etc. J’ai des milliers de photos et de textes qui ne me disent plus rien. Et avant l’ordinateur, j’accumulais les dossiers et les classeurs, pleins de choses dont je me servirais plus tard, par exemple pour écrire une histoire des débuts de l’informatique (mon métier de l’époque). Un jour j’ai changé de vie, plus de place pour les garder; les dossiers sont partis à la récup.
J’ai croisé un jour un monsieur qui avait vu brûler sa maison, un jour de gel; pas d’eau pour éteinde; les pompiers étaient bloqués par le verglas. Il venait de prendre sa retraite et comptait écrire les livres qu’il n’avait jamais eu le temps de mettre en forme (il était professeur d’université). Ca allait compliquer sa vie, les papiers officiels perdus. Tant pis, il se sentait plus léger.
Et puis, rien ne se perd. Lawrence, ayant fini d’écrire « les sept piliers de la sagesse », s’est fait voler sa sacoche contenant le manuscrit. Il l’a écrit de nouveau. Il dit que le deuxième livre était différent du premier. On ne saura jamais lequel est le meilleur.
A part ça, c’est la règle du jeu. Me promenant un soir sur un marché, j’ai senti mon sac s’alléger. J’ai tourné la tête à temps. Un jeune homme était en train de l’ouvrir dans mon dos. Il s’est vite reculé et s’est mis hors de portée. Tous ceux que je voyais autour de moi avaient la tête de gens qui étaient au spectacle, un peu déçus que ça se termine trop tôt. Ils ne me voulaient sûrement aucun mal, mais je ne suis pas de leur famille.
J’aimeJ’aime
Si je pouvais faire quelque chose pour toi…
Mais sans le passé, on se sent plus leger. Et je te fais tout à fait confiance de réécrire les choses d’une meilleure façon. Tu as tout le temps devant toi pour faire ce qui t’intéresse. Allez !
J’aimeJ’aime
Et en plus Henri Salvador est mort…
J’aimeJ’aime
Rajoutez à çà que le PSG et l’Ol se sont fait battre…
Bref, Guillaume, dites-vous qu’il y a plus grave que 5/6 années de souvenirs et des centaines d’heures de travail partis en fumée.
J’aimeJ’aime
C’est un peu troublant , car
1) l’autre jour , je discutai banlieue parisienne avec une amie à propos de la sortie du dernier Klapich « Paris » pour signaler qu’il n’y avait pas de films de cette hauteur là sur la banlieue , et à chaque fois que je parle banlieue je ne peux m’empécher de penser à la banlieue de Nankin et surtout au lycée international de Jiang-Ning en particulier où j’ai fait quelques remplacements. De ce lycée, il ne me reste aucune image, aucune vidéo, aucune trace , rien de rien, le vide total, cela reste pourtant un des souvenirs les plus marquants de mon séjour en Chine pour des raisons qu’il serait trop long d’expliquer, et quelque part je suis bien content de ne pas avoir de traces de ce lieu, cela rajoute à la poésie du voyage, du souvenir, ca enléve au coté « touristique » que peut donner la caméra, la vidéo, la photographie. C’est réellement un lieu que j’aimerai revoir car j’y ai fait des rencontres extraordinaires, c’est important le souvenir humain. Moi je dis ça, mais évidemment ça ne consolera pas non plus l’auteur de ce blog.A part ça je suis reellement touché par la mort de Henri Salvador, mais avec le blog, le sms etc… on n’arrive pas à savoir ou est l’ironie, la rélle intonation des gens qui y dialoguent ce qui est un réel probléme.
2)le premier jour où je suis arrivé en Chine, je me rappelle que ‘une des secrétaires de l’AF s’était fait volé son ordinateur portable avec tous les cv, des fiches pédagogiques etc…, ce qui m’avait mis sur mes gardes quand à un achat provisoire de cet appareil, apparemment c’est affaire courante la-bas ce genre de trucs.Tout ça pour dire : courage pour la re-rédaction de tous tes manuscrits, du grand oeuvre sur ton périple chinois ! Cela à de fortes chances en effet d’être bien mieux que les premiers jets, c’est peut-être une opportunité à creuser ce vol finalement.
J’aimeJ’aime
François, je pense que Mart est très sérieux quand il parle de la défaite de l’OL & du PSG le week-end dernier. Faut pas plaisanter avec les défaites footballistiques.
Un jour, alors que mon frangin me disait être dans la panade (une fille venait de lui annoncer qu’elle était enceinte de lui, et lui ne désirait pas le bébé), je lui répondais qu’il n’avait qu’à la laisser s’occuper du gamin toute seule puisque c’était ce qu’elle voulait et qu’à sa place cela ne me gênerait pas plus que la défaite de Strasbourg face à Guingamp le week-end dernier.
Que n’avais-je dit… il décidait alors de s’occuper de sa copine puis de sa fille avec la dernière assiduité. Comme quoi, hein ?
J’aimeJ’aime
Dans le doute , j’ai parlé d’ironie, mais sans doute Mart était trés sérieux. Quoi qu’il en soit, cela m’a donné envie de me ré-interesser au foot dont j’ai vite oublié l’actualité depuis quelques temps.
J’aimeJ’aime
Vous savez, il arrive qu’on ne sache pas soi-même si on est sérieux ou pas. Par exemple, moi, la mort de Salvador me fait un peu de peine, et en même temps je m’en fous. Avec l’OL et le PSG, c’est pareil. Ca m’embête, car ce sont des équipes que je suis de près, j’ai envie de les voir gagner, j’assiste aux matchs importants, et en même temps je m’en fous. Souvent avec les gens c’est la même chose : on les aime bien, on passe du bon temps, et en même temps on s’en fout. Je sais pas vous, mais moi il y a vraiment peu de choses dont je ne me fous pas. Ma femme. Le roman que je suis perpétuellement en train d’écrire. Ma survie économique. Et puis ce blog bien sûr.
J’aimeJ’aime
Comme le disait l’illustre inconnu : discuter de choses sérieuses avec légèreté et des choses légères avec sérieux.
J’aimeJ’aime
Faudra q’un de ces jours, entre 2 billets, vous nous parliez de votre roman, Mart, ne faites pas le timide !-)
J’aimeJ’aime
Quelle melancolie nous envahit donc tous ? Merci pour vos messages de soutien, ils m’ont vraiment touche. Et si Lyon realise l’exploit contre Manchester, match que j’irai voir dans un pub anglais a 3h du matin, alors cette histoire ne sera qu’un mauvais souvenir.
Je n’ai pas fait le compte des choses qui ont ete perdues. Ce qui m’ennuie le plus, ce sont deux recits de voyage, un en Irlande le long du fleuve Liffey, mais qui a ete imprime et dont la reecriture (ou la resaisie) est une chance car cela me permettra d’unifier le tout. Et un recit de voyage dans le Turkestan chinois, dont la perte est totale et m’ennuie terriblement car j’avais ecrit pas mal de pages difficiles a ecrire et qui m’avaient coute beaucoup d’energie nerveuse et je n’ai pas tres envie de repasser par la, surtout que j’ai oublie la plupart desdites pages.
J’aimeJ’aime
Mélancolie ? Si c’est mon « je m’en fous » qui vous en a donné l’impression, je m’excuse, il n’y avait aucune mélancolie dedans. Mais je me suis surpris à me réveiller cette nuit en réfléchissant au sens de ce « je m’en fous » sorti spontanément de mon clavier hier soir avant de me coucher. Et je crois à la réflexion que la phrase « c’est substituable » conviendrait mieux. Le plaisir, même sincère, même vif, que procure un match de foot est substituable par un autre match, ou autre chose, surtout s’il s’agit d’un match de championnat sans enjeu crucial. Une coupe du monde, c’est peut-être un peu différent, c’est plus unique, on s’en fout moins. Ma femme et mon roman, idem, dur à remplacer. Comme votre récit de voyage en Irlande : ce sont des dépenses énergétiques que l’on ne peut faire qu’une fois. Même si on peut écrire un autre récit de voyage ou se trouver une autre femme, le temps est irréversible, il ne passe qu’une fois, et ce ne sera jamais pareil. Ce n’est donc pas substituable. Les gens, souvent, en revanche, sont très substituables. On prend un grand plaisir à parler avec Machin ou Truc, on éprouve pour lui une véritable tendresse, mais il y a d’autres gens sur Terre avec lesquels on peut vivre de beaux moments. Les seules exceptions sont là aussi liées au temps : les amis d’enfance, les parents, cousins, cousins, amis d’expatriation à Nankin (où on ne s’expatriera qu’une fois), etc. Il me semble que le sage précaire développe au fil du temps une conscience de plus en plus aigu de ce qui est substituable et de ce qui ne l’est pas. Après, ça ne veut pas dire que les amis de passage et des match de foot ne contribuent pas pleinement au sel de la vie, c’est juste qu’on peut se les faire voler comme son sac à dos sans s’appauvrir sur la durée. Il suffit de les remplacer. Le récit en Irlande en revanche, c’est une vraie perte, sauf si d’autres récits ultérieur et plus réussis finissent par l’effacer.
Quant à mon roman, il est à l’origine de mon arrivée sur ce blog. Car mon personnage est un « intellectuel précaire » (je laisse l’appellation « sage précaire » à Guillaume) qui gagne sa vie en écrivant des guides touristiques, comme je le faisais moi-même jusqu’à l’année dernière. L’essentiel de l’histoire se passe à Paris (où j’habitais jusqu’à l’année dernière), mais la fin se passe à Shanghai, où il est envoyé par son éditeur. Comme je n’y ai jamais mis les pieds, j’ai cherché à droite et à gauche des blogs sur Shanghai pour sentir un peu l’ambiance (mais Shanghai n’occupe qu’une toute petite place dans mon récit, et Shanghai a disparu de ce blog, où je suis resté par plaisir). Voilà, vous savez tout.
J’aimeJ’aime
A Mart, j’apprecie bcp ce que vous avez ecrit et pour une fois je suis completement d’accord avec vous.
J’aimeJ’aime
Je ne sais pas ou vous en êtes de votre roman, Mart, mais j’espère qu’on vous apportera un peu d’inspiration pour les derniers chapitres !
J’aimeJ’aime
Tiens notre ami Mart qui se dévoile aprés s’être gentiment moqué de nous pendant quelques commentaires, comme c’est touchant. Je dois avouer que je suis assez d’accord avec son point de vue. Personnellement je remplacerai le « je m’en fous » par un « et alors ! » toujours trés jouissif a produire dans la vraie vie devant des gens qui vous prennent pour un je menfoutiste et qui n’ont rien compris -ce que je ne suis pas, loin de la, meme si j’en ai toutes les apparences, c’est mon problème helas, je suis le canada dry du branleur anarchiste rebelle-. Il y’a un coté voyou dans ce « et alors » ou « ce je m’en fous » ou ce « c’est substituable » (trés soutenu ça) qui me plait beaucoup et que j’ai l’impression de retrouver aussi sous certains cotés chez notre cher président enfin , je dis çà…Oui vivement que l’on lise ce roman d’aventures et de voyages et que l’on découvre enfin qui est ce Mart ! Je précise pour ma part que je travaille quand à moi sur un recueil de contes ou de nouvelles fantastiques pour enfants ou « djeunes », en cours d’élaboration, dont l’un des personnages sera largement inspiré par l’auteur de ce blog, une sorte de philosophe doux-dingue parcourant les mers du sud, en projet pour ‘l’instant .
J’aimeJ’aime
Le problème avec les matchs de C1, c’est qu’ils vous rendent insomniaque..
Amusante ton expression de « canada dry du branleur anarchiste rebelle » François, décidemment, ce blog réveille beaucoup de vocations !
J’aimeJ’aime
Merci.Je n’ai pas attendu l’auteur de ce blog pour me lancer dans l’écriture qui est un réel plaisir de création (récréation aussi) quand j’en ai le temps, j’ai même quelques petites publications a mon actif dans des petites revues de ci de la. C’est mon voyage intérieur à moi (car au fond je crois que je n’aime pas trop me détérritorialiser) ,et en plus c’est économique, une feuille un papier et je fais le tour du monde !D’ailleurs, mon voyage en Chine est à mon sens symbolique et symptomatique de ce travail de création, ceci est une autre histoire.
J’aimeJ’aime