Chronophage

On me dit par exemple que faire un blog, cela prend beaucoup de temps et qu’on n’a pas que ça à faire. L’expression qui vient à ce moment-là est chronophage. « Mais vous comprenez, faire un blog, c’est quand même très chronophage! »

Mais chronophage par rapport à quoi ? Qu’est-ce qu’il est plus urgent de faire, dans nos vies, que d’écrire, quelques heures par semaine ou par mois, sur des choses qui nous arrivent ou qui arrivent à d’autres ?

Au moment de sortir voir des copains, de se préparer pour un rendez-vous galant, de lire un roman ou de regarder un match de football, se dit-on, ah non, il faut que je m’arrête, ces activités sont bien trop chronophages ? 

Avec le recul, je suis très étonné qu’on puisse prendre l’écriture de billets de blogs comme une perte de temps. Pour moi, c’est, non pas vraiment un « gain » de temps, mais une toute petite victoire sur le temps qui passe. Je soutire à ma décrépitude des miettes d’immobilité, de suspension. Je ne peux pas me l’expliquer, mais je sens qu’écrire est un jeu avec le temps qui fuit, une manière d’agriper le moment présent pour en… soutirer quelque chose, il ne me vient pas d’autre verbe que soutirer. Et il ne me vient pas d’autre mot que « quelque chose » non plus.

Stendhal, plus qu’un autre, jouait avec ce temps, avalé par les activités chronophages. Ses accélérations et ses freinages sont à cet égard illuminant. Voyez comme le temps s’arrête dans la rencontre entre Julien et Mme de Rênal, et au contraire, comme la narration s’accélère chaque que le narrateur dit je. Stendhal disait qu’utiliser je, « c’est le meilleur moyen de raconter vite. » Je trouve extraordinaire cette expression. Pourquoi vouloir raconter vite ? Parce qu’on n’a pas toujours que ça à faire ? Qu’il y a des voyages à faire, des matches à regarder, des choses à lire ?

Entre le dévoreur de vie, morfal insatiable, et le sage précaire, roublard et corrompu, une lutte inégale s’instaure dont on connaît l’issue mais sur le chemin, créer quelques morceaux d’illusion où le temps rallentit, cela permet de ne pas démériter de soi-même.

C’est ce que je me dis, mais il est 7h30, il faut que je parte au boulot.

19 commentaires sur “Chronophage

  1. Deux petites choses. D’abord, le blog est un phénomène qui mérite d’être analysé et qui l’est dans le monde entier (cf le dernier Courrier International), et il apparaît logique que sur les blogs mêmes, on y consacre quelques billets. Ensuite, loin de chercher à me justifier, je voulais utiliser le thème du blog pour parler d’autre chose, sans doute un peu maladroitement.

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  2. Et puis, l’écriture, inventer et raconter des histoires, les êtres humains seuls peuvent y passer leur temps. Les animaux selon leur espèce peuvent chercher de quoi manger, faire l’amour, faire la conversation, se promener, regarder un match, rêver, faire la guerre. Seuls les hommes racontent et écoutent, écrivent et lisent.

    Pour qu’il y ait un enjeu, le conteur doit avoir un auditoire, l’écrivain doit avoir des lecteurs. Le blog offre gratuitement l’illusion d’écrire pour les autres (et parfois la réalité; c’est pour ça que le commentaire est tant attendu).

    Voila, c’est démontré. Le blgueur ne perds pas son temps à lire et écrire.

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  3.  » Seuls les hommes racontent et écoutent, écrivent et lisent. »
    Je vois comme limite du blog de ne pas pouvoir discuter « en vrai » avec quelqu’un, là, hic et nunc, devant soi, avec soi. C’est ce qui fait qu’on se méfiera toujours des activités solitaires derrière l’écran d’une télé ou d’un ordinateur, enfin, à mon avis et sans vouloir ignorer les côtés positifs…

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  4. J’ajouterais que chacun fait ce qu’il veut de son temps bien sûr, et surtout qu’on n’accorde pas tous la même valeur à certaines activités. Exemples : je me fatigue à monter les escaliers / je fais du sport, je me fais chier à apprendre une langue etrangère / je m’enrichis, je perds mon temps derrière un écran / je communique etc… Quand de plus, certaines activités sont interchangeables..

    PS : Il y a aussi un truc que je ne trouve pas très encourageant, c’est de voir bcp de bloggeurs jeter l’éponge après qques années, ou ralentir fortement l’addiction.. preuve à mon avis qu’il faut être un convaincu comme Guillaume pour se lancer là-dedans, les vocations tièdes se découragent très vite… et c’est la même chose pour l’apprentissage d’une langue étrangère ou les montées d’escalier…

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  5. Ceux qui jettent l’éponge sont à mon avis ceux qui s’intéressent à la communication plus qu’à l’écriture. Ou alors, ils ont d’autres choses à écrire, sur d’autres support, et ils arrêtent. Ou ils déménagent, comme moi quand je suis parti de Nankin.
    Mais les activités dont parle Damien, apprendre une langue et faire du sport, la différence avec l’écriture d’un blog est que personne ne les considère comme chronophage. Personne ne met en doute que faire de l’exercice est bon pour la santé, ni que l’apprentissage d’une langue soit une bonne chose en général (un enrichissement ? ça dépend beaucoup des gens et de ce qu’on entend par là.) Les gens se justifient de ne pas faire ces activités en disant qu’ils n’aiment pas, qu’ils sont paresseux ou que ce n’est pas leur truc. C’est rare qu’ils disent, Je ferais bien de l’exercice mais ça prend trop de temps

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  6. « Jetter l’éponge », « faire du sport », « de l’exercice », c’est interessant en tout cas cette relation de la métaphore sportive avec l’écriture du blog que tu établis en filigrane et sans t’en rendre compte ou consciemment, je ne sais pas; moi c’est d’ailleurs ce coté sportif, compétition (je préfére l’émulation ce qui est complétement différent je pense et beaucoup plus difficile a etablir aujourd’hui ou tout trop « sportivisé » mais tellement plus jubilatoire) qui m’a toujours un peu géné. Je dis bien « un peu », car etre à l’affut le premier du bon mot conceptuel, de la super idée géniale avant tout le monde, etre dans cette sorte de course à l’idée, au concept nouveau, a la formule, al’écriture brillante (mais sans éclat ?) excitante certes lorsque l’on se lance dans l’écriture du blog m’interesse beaucoup mais l’écriture est quand même pris dans un courant , un temps qui n’est pas le même que celui que l’on ressent et vit lorsque l’on est en train de lire un livre ou écrire sur support papier. C’est important le support, bien plus que l’on ne le croit. Par exemple, je sais que je lis ce blog sur un support ou je peux écouter, voir des mails,mon courrier, des vidéos, de la musique,je ne sais pas si c’est révolutionnaire tout ça , en tout cas ca change complétement la donne des modalités de lecture. J’ai l’impression que l’on « voit » plus un blog (comme on regarde un film etc..) qu’on ne le lit vraiment.Je sais pas si c’est clair, mais pour moi ceux qui lisent ou s’nteressent a des blogs littéraires comme celui ci , sont ceux qui ont lu des bouquins avant, ont « flirté » avec des bibliothéques etc…Le chemin inverse est-il possible ? (du blog littéraire d’un françois Bon ou comme celui ci au « vrai » livre, on en revient au vieux débat sur le numérique..).Personnelement, je n’ai pas a me justifier en ce qui concerne l’écriture d’un blog (j’en ai déja réalisé pleins , de photos, de notes, c’est pas le probléme) mais je le fais quand même ce qui me géne c’est le support, c’est vrai (ca me fait tout simplement mal aux yeux , me fatigue et me donne des migraines épouvantables de passer autant d’heures devant un écran, et la vous allez me dire mais si tu écris un bouquin sur support papier tu l’écris aussi devant ton ordianteur et vous aurez raison et je vais me recoucher sauf que je ne suis pas interrompu toutes les cinq minutes par un connard qui vient poser son petit commentaire comme je le fais actuellment, fermez la parenthése ) , le coté « esclave de la machine », aussi, ca me soule, c’est vrai que ca peut aider a mettre ses idées au jour le jour, mais je n’ai pas attendu l’invention du 2.0 pour ça (un carnet , un stylo et hop )et puis surtout , je pense que penser ca prend du temps sans compter le coté un peu « impudique » du blog il faut quand même bien le reconnaitre. Enfin, je crois que tout ça dépend des gens en effet.

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  7. Intéressant.
    Perso, n’étant pas blogueur, la question que je me pose parfois c’est le degré de compatibilité entre l’écriture d’un blog et celle d’un livre.
    Je vois plein de bonnes raisons d’écrire un blog plutôt qu’un livre, et aussi plein de bonnes raisons d’écrire un livre plutôt qu’un blog.
    Faire les deux à la fois semble possible, à condition d’en faire deux activités très complémentaires.
    Mais est-ce si simple ?
    Qu’en pense Guillaume, qui fait manifestement les deux à la fois ?

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  8. Non je ne fais pas les deux en même temps. Pour le coup, je n’ai pas le temps de travailler sur un manuscrit, je n’ai que le temps d’écrire dans des failles, des fragments, quelques paragraphes. D’ailleurs, je me suis fait une raison, je ne suis pas fait pour écrire des livres, mes manuscrits ne sont pas bons, je n’ai pas assez de souffles pour ça.
    J’ai l’impression qu’il est dangereux d’écrire un blog si on fait un livre, les deux types d’écriture risquent de se contaminer et de faire rater les deux.

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  9. c’est le méme probléme pour ce qui est du CD et de la musique à télécharger, je préfére le premier, j’achéte toujours des cds comme un plouc et me demande si ceux qui téléchargent continue d’achéter des cds.

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  10. Il me semble qu’avait été évoquée l’idée d’écrire un blog comme un feuilleton, non ? Profiter du rapport diffusion/coût imbattable du blog et choisir le style d’écriture qui te convient ?
    D’accord avec toi Guillaume quand tu dis que ceux qui jettent l’éponge sont ceux qui s’intéressent plus à la communication qu’à l’écriture. Si l’on souhaite vraiment écrire, peut importe le support (même si comme le dis François, je trouve plus agréable de tenir un bouquin dans mes mains).
    Sur le sport, je trouve que tu caricatures. Il y a aussi des gens pour qui on dira que c’est devenue une addiction chronophage dans le sens ou cela finit par isoler le pratiquant (j’en ai rencontré qques-uns, militaire à la retraite ou passionnés de montagne qui avaient fini par se couper de femmes et enfants..). Mais en effet ces cas sont rares car la plupart du temps les gens ne sont pas satisfaits de leur condition physique et attribuent ce manque de sport à un manque de temps.
    En revanche, sur l’apprentissage d’une langue, le fait que tu t’interroges sur l’enrichissement que cela procure, cela me surprend quand même beaucoup. Sans rentrer dans un débat sur pour ou contre apprendre le chinois (en ce qui te concerne, je comprends très bien que cela ne soit pas une de tes priorités étant donné que tu ne te projettes pas dans ce pays sur le long terme), il me semble néanmoins que pour un étranger, où qu’il soit, maîtriser la langue du pays, c’est non seulement s’ouvrir les portes d’un formidable enrichissement culturel mais aussi et surtout celles du cœur des gens.

    Il y a un passage que j’aime beaucoup chez Colette (désole, je ne me rappelle plus du titre de l’ouvrage) ou elle fait l’éloge des « savoirs chauds ». Savoir cuisiner, faire son jardin, de la musique, chanter, écrire ou conter des histoires, je rajouterai : parler plusieurs langues, dessiner, soigner, que sais-je encore, toutes ces choses qu’on imprime en soi, qu’on emmagasine dans ses mains, son cœur, sa tête, plutôt que dans ses armoires ou son garage et qui nous enrichissent tant par ce qu’on peut les partager avec les autres. J’aime bien l’idée de développer ces savoirs-là..

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  11. Guillaume, je regrette que la discussion sur la narration se soit enlisé dans une sorte d’agacement, car cette histoire de « manque de souffle » lui est directement corrélé. La narration, ce n’est pas la chair d’un livre, ce n’est pas la grâce, ce n’est pas la poésie, mais c’est le support de tout ça. Sans narration, on est condamné à des pièces courtes. Le souffle, la cohérence du sens sur la longueur, a besoin de la narration pour s’épanouir.
    Après, il y a évidemment narration et narration. On peut opter pour une narration minimale, aux antipodes de James Bond. Ce qu’on conserve alors, c’est l’inscription des personnages dans un espace-temps continu (même s’il est truffé d’ellipse).
    Le blog me paraît offrir autre chose que la narration et l’écriture de romans, c’est pourquoi une complémentarité me paraît envisageable.

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  12. Il y’a un excellent dossier sur les « blogs littéraires » dans le dernier magazine littéraire, c’est clair et concis, avec une liste pertinente des meilleurs blogs du web, peut-etre un jour ce blog y sera t-il…il le mérite grandement.

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