La courbe du temps de travail

Quand on est précaire, on a beau être un peu sage, on reste assez pessimiste sur l’avenir du monde.

Quand on vit en Chine, et qu’on entend que le XXIe siècle sera Chinois, après un XXe siècle américain et un XIXe européen, on a beau aimer la Chine, on est encore plus pessimiste.

Car si cette prédiction se révèle correcte, ce ne sont pas les Chinois qui vont évoluer vers une conscience du droit, une démocratisation des institutions et une société au niveau de vie confortable. C’est le reste du monde qui va devenir ce que la Chine est aujourd’hui : un grand ensemble totalitaire, où les gens espèrent des jours meilleurs, où l’ascenseur social est très vite bloqué, où d’immenses populations sont condamnées à la misère et à l’oppression, où des révoltes éclatent incessamment, mais de manière inorganisée, dans des endroits lointains, par des groupes isolés qui ne sont jamais portés par le vent de l’histoire.

La concurrence va s’intensifier au point que les peuples devront travailler de plus en plus. A cet égard, nous vivons un formidable tournant historique : le temps de travail n’a pas cessé de se réduire depuis que nous vivons dans une société industrielle. En 1913, un Français travaillait 2588 heures par an. En 1950, un autre Français en faisait 1926 (parce que le premier Français était sans doute mort dans l’une des deux guerres mondiales, ou alors de chagrin, ou alors il est parti au soleil, dans les colonies, et il s’est fait trucider là-bas.) En 1990, la durée du temps de travail était à 1539 heures par an, et, en France uniquement, en France pour la seule fois de l’histoire du monde moderne, on en est arrivé à travailler 1355 heures par an à partir de 2001. C’est nous qui sommes allés le plus loin dans ce mouvement historique, et cela restera dans les livres d’école.

Seulement, nous assistons à une inflexion de cette courbe historique. La durée du temps de travail réaugmente et elle ne va plus s’arrêter de longtemps. Passer de 35 à 40 heures par semaine, ce n’est pas violent. Passer d’une retraite à 60 ans à une retraite à 65 ans, on s’y fera. Mais cela continuera, je le crains, car la concurrence ne deviendra pas plus douce, et les actionnaires ne voudront pas moins de dividendes.

Eric Le Boucher, dans sa Chronique au monde du 15 mars, est optimiste, si l’on peut dire. Après les cataclysmes de la situation dans laquelles nous entrons, il prévoit une économie nouvelle basée sur « une croissance multipolaire, une recherche-développement énergétique et agricole, une finance plus sage ». Ce sera lorsque l’on sortira du siècle de la Chine et qu’on entrera dans un autre.

8 commentaires sur “La courbe du temps de travail

  1. Un article super enthousiaste qui donne la péche…Eh sage précaire ,alors que la gauche est passé a Lyon, Toulouse (toulouse, ca fait 37 ans !) et des tas d’arrondissements parisiens…Vindiou, premiere baffe pour Sarko quoique l’on dise.Vive Eric Le boucher !

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  2. Bonjour,
    Je trouve l’article bien fait. Nous pouvons le développer en y ajoutant deux aspects. Le premier étant que nous sommes sortie de la période d’industrialisation pour rentrer dans la période de la communication et le second étant le fait que nous sommes sortie de la période démocratique qui considérait que la seule richesse d’une nation était l’homme pour rentrer dans un système qui s’est arrêté de produire nos biens et nos richesses ( champs en jachère, technique ‘enseignements changées en formatage, hôpitaux soumis à des lois anti-sociales ) en défendant un qui pense pour une multitude qui obéit et ceci quel que soit le parti politique.
    Cordialement

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  3. Tout ça est vrai, mais cette évolution défavorable aux pays riches est favorable aux pays pauvres tels que la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Egypte. Nous assistons à un redistribution mondiale de la richesse, après avoir confisqué celle-ci pendant des siècles à notre profit. Si nous travaillions peu, c’est aussi que nous bénéficions d’une position dominante qui nous permettait d’entretenir un commerce très inéquitable avec le 1/3 monde. Les ouvriers chinois et brésiliens ont toujours travaillé très dur et très longtemps.
    Aujourd’hui, le monde change lentement d’équilibre. A notre détriment.

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  4. mais oui, le voila le vrai échange qu’aura crée la mondialisation , un sorte de de chagement d’équilibre comme dit mart qui peut se révéler trés payant d’un point de vue culturel (je quitte la sphére économique que je maitrise trop mal hélas malgrés ce trés pédagogique billet ) nous (les européens) sommes comme les pays d’amerique latine quelque part il y’a un siécle ou deux : pensez aux romans de Jorge Amado (brésil, « cacao » par exemple que j’adore et qui relate l’exloitation de cultivateurs de cacao au debut du vingtiéme siécle ), de Garcia Marquez bien sur,de José Marti, la littérature des dissidents cubains (comment expliquer le succées de COMPAY SEGUNDO en EUROPE sinon, sans cette identification inconsciente aux pays d’amériques latines) etc… tout comme leurs personages nous vivons une sorte de prolétarisation nouvelle , inédite en Europe , qui je suis sur , a part faire de gros dégats (sociaux bien sur et humains, même si c’est déja un peu fait …) va créer une nouvelle littérature, une nouvelle expression artistique, complétement originale et qui va bouleverser le monde et les mentalités (on peut réver quand même).La richesse économique va etre redistribué aux pays pauvres (brésil, inde, chine etc…) et la richesse culturelle, une sorte de nouvelle movida à l’échelle européeene aux pays anciens riches. C’est parce que l’on vit une période de transition economico culuturel ou les roles sont inversés quelque part ou différenciés que l’occident se sent mal dans sa peau en ce moment. Moi qui voulait aller en amazonie cinq and je crois que je vais rester bien sagement en EUROPE histoire de voir…Les absents ont toujours torts. Mais cela dit je ne suis pas sur que l’on sorte tout de suite de l’ere chinoise dans laquelle nous sommes entrés, auquel j’ai cru et auquel je crois de moins en moins lorsque je vois ce que l’on nomme les « dommages collateraux » sociaux que cela provoque (dépressions, suicides, violences en tout genre, pollutions) sans compter que bien sur, questin droits de l’homme c’est pas vraiment le top tout ça…

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  5. Je ne pense pas que nous changions d’équilibre, au sens où le sort des uns s’améliore tandis que le sort des privilégiés se dégrade. J’ai bien peur que le modèle de la Chine s’exporte tel quel. De rares fortunes et une grande misère partout. J’ai l’impression qu’il y aura dégradation des conditions de vie à l’ouest sans contrepartie ailleurs.
    C’est difficile de le croire car notre pensée est structuré sur un principe d’équilibre et de vases communiquant. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout ne fait que passer de l’ouest à l’est. Mais l’histoire a d’autres modèles.

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  6. Ce n’est pas une question de modèle, mais de rapport de force.
    Tout dépendra de ce qui se passe à l’intérieur des pays en cours d’enrichissement. Même si dans un premier temps, la richesse est accaparée par une minorité, rien ne dit que les syndicats ou les mouvements politiques n’arriveront pas à imposer progressivement plus de partage.
    On peut même envisager qu’un syndicalisme mondial émerge un jour – aidé par Internet – afin de contrer la mondialisation des capitaux.

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  7. Ce qui m’amuse dans ce billet d’avant l’effondrement de la banque Lehmann Brothers, c’est que la crise actuelle était très perceptible en Chine, dès 2007, et que si l’économie chinoise est repartie de plus belle récemment, c’est parce qu’elle a été durement touchée bien avant l’Europe. Elle est toujours touchée d’ailleurs, mais ça ne se voit pas dans les chiffres du PNB.

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