J’ai toujours été fasciné par les commérages et les médisances.
Quand j’étais petit, j’étais d’abord outré d’entendre les déformations qu’on faisait subir aux paroles d’un pauvre bougre dans le seul but de se moquer de lui. Puis amusé de voir combien on exagérait n’importe quel non-événement pour avoir quelque chose à raconter.
Quand j’étais petit, j’étais aussi admiratif du courage qu’il fallait pour dire du mal d’un ami commun : si ces paroles arrivent aux oreilles de l’intéressé, me disais-je, quel grabuge cela va-t-il causer ? Se rend-il compte qu’il risque de se faire casser la gueule, en parlant ainsi ?
Etudiant, je m’exerçais à faire des éloges, pour lutter contre ces médisances que je croyais profondément malsaines. Cela ne servait à rien. Je m’apercevais que, dans un groupe donné, personne n’était jamais épargné par les rumeurs, ou les reproches, ou les moqueries. On pouvait être puissant, craint, ou au contraire gentil, doux, inoffensif, on pouvait faire le bien autour de soi ou être égoïste, quelqu’un toujours se chargerait de vous tailler un costard. Le besoin de médire est tel que si une personne est parfaite, on inventera des défauts et des vices pour pouvoir alimenter la machine à suspicions et à ragots.
Ce qui m’intéresse, dans les ragots, c’est la force paradoxale intense qui est en eux. Dans les conversations on s’acharne sur un ami, et pourtant cet ami est toujours aimé. Parfois je me demande même si on n’a pas plus de tendresse pour quelqu’un justement parce qu’on en a dit du mal.
Paradoxal aussi car on prend un risque en médisant, le risque de se faire mal voir, et même de blesser, donc rationnellement on devrait s’abstenir de le faire.
Paradoxal encore car le lien social peut être brisé par des paroles malheureuses. Or ce sont justement les conventions sociales qui nous inspirent lesdites paroles.
Paradoxal enfin et surtout parce qu’on devrait savoir que si A médit de B devant moi, alors A doit aussi médire de moi en présence de B, et B faire de même, et que je dois donc être l’objet des plus grandes médisances et des plus cinglantes railleries. Or, il est très rare que les gens se sachent visés, alors qu’ils ont conscience que tous les autres le sont.
Après réflexion, j’identifie trois fonctions à la médisance.
Fonction de régulation
La vérité est que la médisance, la bassesse, la curiosité déplacée, toutes ces choses sont essentielles à la survie, la santé et la prospérité d’une communauté. C’est le social qui, par ce moyen, homogénéise les membres du groupe. Ceux qui réussissent trop bien sont un peu humiliés, ce qui les rend plus humains. Même chose pour ceux qui nous font peur et qui nous impressionnent.
Il est donc inutile, mais attendrissant, d’entendre ces gens tenter de donner d’eux une belle image en cherchant à dire du bien plutôt que du mal. Sur ce point, on entend des chef d’oeuvre de double langage qu’il faudrait décrire, mais cela serait trop long pour ce billet.
Fonction d’appartenance
C’est un système d’échange qui nous relie, aussi, très puissamment les uns aux autres. Sur le moment, les paroles ont été très négatives, mais à terme, ce qui reste, c’est un sentiment d’appartenance, un lien communautaire. On se connaît mieux même si c’est dans la rumeur et le mensonge, dans le malentendu et la malveillance. On s’aime davantage en quelque sorte, on partage un même paysage humain.
D’où l’importance du risque. Dire du mal de A à B, c’est toujours prendre le risque de se brouiller avec A, car on ne peut jamais avoir confiance en B. Par définition, jamais aucun secret n’est vraiment gardé, et même n’importe quelle information se transforme en « secret chuchoté ». Comme tout système d’échange, donc, le commérage peut se retourner contre lui-même et faire exploser le groupe.
Fonction cathartique
Dire du mal nous fait du bien, enfin, parce que cela nous libère des angoisses que produit la fréquentation des autres. Constamment, dans le rapport aux autres, on est énervé, frustré, attristé, humilié, rabaissé, interpellé, interrogé, interloqué, intéressé, attiré, amusé, stimulé, caressé, surévalué, et toutes ces émotions produisent un tiraillement qui demande à être exprimé. On n’a pas le choix, il faut évacuer par la parole toutes ces impressions et ces sentiments mêlés qui oppressent. Soit on parle, soit on craque. La fêlure, (The Crack-up, dernière nouvelle de F. Scott Fitzgerald) prend toute sorte de formes : rupture, folie, autisme, départ, maladie, dépression, crime.
Alceste, le misanthrope de Molière, décide de partir dans un désert car il ne supporte plus les vices de ses contemporains. Il manque de sagesse, Alceste. Le sage précaire n’en voudra jamais à ses amis de le couvrir de mauvaise paroles, et il prendra lui-même part à ce concert d’infamies, car il sait que c’est dans le danger et la saleté que grandit le salut.
bien parler !
J’aimeJ’aime
moi , je crois que le sage précaire est ou soit trop gentil soit trop intelligent, soit les deux d’ailleurs ce qui est un vrai probléme a l’époque actuelle ; en tout les cas, ce n’est pas lui qui nous aidera a sortir du merdier dans lequel on est,encore moins Alceste, ce connard, qui, au passage n’est pas sur ile deserte mais dans un desert.La philo, oui, comme véritable art cathartique.
J’aimeJ’aime
peut-être aussi que le sage précaire est trop idéaliste, il donne une valeur d’absolue a l’amitiée.
J’aimeJ’aime
Une valeur d’absolu à l’amitié ? Une valeur absolue ? Je ne sais pas trop ce que cela peut vouloir dire. En revanche, je sais qu’un « vrai ami » peut dire beaucoup de mal d’un ami. Cela paraît paradoxal et faux, c’est pourquoi cela méritait un billet de blog. Kundera le disait dès La Plaisanterie, pour faire comprendre l’importance de l’espace privé. En voilà un, Kundera, qui a toujours souffert, de la réalité bavarde de l’humanité.
J’aimeJ’aime
allons, allons, ne faites pas l’enfant…vous faites une brillante thése sur l’amitié et vous allez me dire que vous ne comprenez pas quand je vous dis que vous etes un idealiste qui croit malgrés tout en cette valeur, et vous ne « savez pas trop » quand je vous dis qu’il n’ya pas d’absolu , surtout pas en amitié…je suis bien placé pour le savoir (moi qui n’ai que Vendredi comme relation humaine) que c’est une valeur inventée de toutes piéces. Surtout trés soutenue par les philosophes, qui rappellons le sont d’abord des amis de la sagesse, mais la je ne vous apprend rien, mais, ces gesn la ont besoin ont besoin d’amis,du moins ce qu’ils appellent « amis »: en fait ce sont des disciples volontaires ou non tombés sous le charme du concept, de la rhétoriue, du beau discours, ce sont des gens autour d’eux qui leur plait d’appeller amis quand bon leur semble, ce va et vient de girouette hystérique chez le philospohe est parfois choquant je trouve, non ? Kundera , oui, c’est interessant, c’est vrai.
J’aimeJ’aime
Claire, mon bon Guillaume, se demande : why is he writing about this now ?
Et moi je me demande qui tu as vu ces derniers temps et si je les connais…
J’aimeJ’aime
Bonjour Sage Précaire, je te lie depuis toujours sans n’avoir jamais intervenu , ce matin j’en suis tomber sur le cul en te lisant tellement ma vision de l’amalgame des êtres se fondait à la tienne, tu écris :’ ‘le sage précaire n’en voudras jamais à ses amis de le couvrir de mauvaises paroles et il prendra part lui aussi au concert car il sait que c’est dans le danger et..(moi je ne dis pas la saleté mais l’humain.. ) que garandit le salut. »
Ce matin ce post m’a interpeller tellement personnellement que ce soir je t’écris ; toi qui vit au bout d’un monde tellement différent du miens ;par l’âge du sujet et l’importance du lieu et de la situation ;enfin je crois ; moi qui suis gestionnaire d’une copée;au fin fond d’une campagne profonde; avec des membres aux instincs grégaires; comment faire avec un mauvais locataire qui te présente un bon candidat pour le remplacer; je le demande franchement;
+++by
R.T.
J’aimeJ’aime
oui ca me dit (c’est le samedi de Vendredi, elle est facile , mais je n’ai pu m’en empecher ,elle est trop bonne hahaha)
J’aimeJ’aime
wouf wouf (vivement dimanche !)
J’aimeJ’aime
wouf ? wouf wouf wouf wof wouf.
J’aimeJ’aime
@Dominique : Pourquoi maintenant ? Ce sujet m’intéresse depuis l’âge de 7 ans, mais en effet, cette existence en réseau par le « gossip » m’a frappé à mon retour de Chine. Retour des pays chauds, j’arrive en Irlande et je suis accueilli comme dans ma famille, comme si je n’étais jamais parti. Le gossip avait fait tout un travail, inconsciemment, de socialisation, sauvegardant des liens sociaux qui auraient dû se distendre à cause de l’éclatement géographique des membres du groupe. Et comme l’essence du gossip est la médisance, on assiste à un renversement du mal en bien, (médisance ayant pour effet involontaire un sentiment d’amitié plus fort et plus neuf) : magie de l’ethnologie.
@Marie-Solange : « comment faire avec un mauvais locataire qui te présente un bon candidat pour le remplacer » ? Eh bien, je dirais, tu prends le bon locataire et tu te débarrasses du mauvais. Mais c’est une vision un peu simpliste, je suppose.
@Vendredi : Laisse dormir Robinson, il a besoin de repos.
J’aimeJ’aime
i like big dicks.
J’aimeJ’aime
au fond vous etes un poéte du voyage et de l’écriture n’est ce pas et vou sne trouvez de l’amitié que dans l’échange lointian de personnes dispersées que la vie a fait fuire n’est ce pas ?
J’aimeJ’aime
Poète ? Pourquoi pas, cela me plairait bien, Miranda. Mais je trouve de l’amitié autrement que dans des échanges lointains, heureusement! J’aime conserver des liens avec ceux qui sont loin, mais en aucun cas je ne les préfère quand ils sont loin.
Par ailleurs, je ne comprends pas l’expression : « que la vie a fait fuire ». Je ne vois pas qui, dans les personnes que je connais, aurait pu fuire du fait de la vie même.
Je dis seulement ceci: si on dit du mal d’un ami, qu’il soit loin ou près de nous, rassurons-nous, c’est qu’il est encore parmi nous.
J’aimeJ’aime