Ce doit être une tâche difficile d’écrire sur Paris. C’est une ville si connue, si visitée. Comment être original, comment être intéressant ? Il faudrait faire des efforts de perception, des efforts de réflexion… C’est un dur métier qu’écrivain voyageur à Paris.
Bill Bryson a relevé le défi dans un récit de voyage en Europe. Un seul chapitre concerne la France, et il s’intitule « Paris ». Son angle est simple et efficace : laisser libre cours à la détestation de la France et des Français qu’il partage avec quelques centaines de millions de personnes dans le monde.
Cela commence plutôt mal : « Les Français de nous aiment pas. Je suppose que c’est OK car personne ne les aime tellement non plus. » Fair enough. Il passe quelques paragraphes à montrer ce que tout le monde sait déjà, à savoir que nous sommes méprisables en tous points. Il s’étonne aussi que nous ne soyons pas reconnaissants avec les Américains du fait qu’ils nous ont libérés de l’oppression nazie.
Je lisais cela debout, dans une librairie de Belfast, incertain quant à la pertinence d’acheter le livre ou pas. J’avais déjà en main le classique de Paul Theroux, The Great Railway Bazaar. By Train Through Asia. Je résolus de finir le chapitre avant de me décider.
Je pensais que toute cette négativité était une fine manipulation d’écrivain. Il commence par une peinture sombre et dégoûtante, mais il trouvera le moyen, au fil des pages, de renverser la situation pour faire naître un enchantement tel qu’on peut en vivre dans les lieux les plus sordides.
Mais non, tout est vraiment pourri à Paris, et les habitants plus que tout le reste. Bill Bryson va donc se réfugier au musée. Le Louvre, impossible d’y entrer car les queues y sont trop longues. D’ailleurs, seuls les Américains font la queue, les Français passent devant sans aucune vergogne.
Là-dessus, j’ai été un peu déçu. Bryson veut-il suggérer que les Français vont au musée ? Qu’ils sont donc intéressés par des oeuvres d’art ? Non, il serait plus crédible d’écrire que seuls des Américains font la queue, et que les Français fument des Gauloises dans les cafés en refaisant le monde, en regardant passer les Américaines qu’ils admirent pour leur propreté, et en buvant des cafés qu’ils paient avec les allocations chômage que l’Etat leur prodigue.
Mais même cela donne une trop bonne image. J’abandonne, je suis trop patriote, au fond.
Pour le Louvre, il ne se souvient que d’une oeuvre, qu’il avait vu autrefois. Un tableau du 18ème siècle où l’on voit une femme enfoncer le doigt dans le cul d’une autre femme. Allez vérifier, si vous ne me croyez pas. Orsay, il l’a trouvé « wonderful, both as a building and as a collection of pictures. » Il n’en dira pas davantage, ce qui est dommage vu que c’est la seule chose qui soit wonderful à Paris. Mais enfin, de deux choses l’une, soit il n’est jamais allé au musée d’Orsay, soit il ne sait pas regarder un musée. Vous ne pouvez pas avoir une certaine pratique muséale, visiter Orsay, et écrire, dans un livre qui sera vendu aux quatre coins du monde, qu’il s’agit là d’un musée wonderful, tant au niveau du building qu’à celui de la collection of pictures. C’est impossible, ne serait-ce que pour les sculptures et la mise en espace qui constitue l’identité du musée d’Orsay.
Mais me voilà encore en train de faire l’arrogant connoisseur.
Non, il n’y aura aucun renversement de perspective, aucune espèce de transfiguration. Le travel writer le plus populaire du monde, celui qui vend le plus de livres en tout cas, n’a rien d’autre à dire de Paris que c’est un des endroits les plus antipathique de la planète. C’est un angle d’approche, que voulez-vous, un point de vue d’écrivain, qui en vaut d’autres et que d’autres valent.
Le centre Pompidou lui fait horreur. Il trouve que c’est de la frime, et il distille à ce propos de pénétrantes réflexions sur l’urbanisme moderne, comme quoi il est ironique que nous soyons devenus à la fois « so rich and so crasy ». Il nous fait partager l’idée de génie qui veut que si le centre Pompidou avait été construit dans un parc, les choses n’eussent pas eu le même effet.
Je vous laisse savourer les dernières lignes, dont j’assure la traduction : « Le chauffeur se retourne, me regarde comme si j’étais une grosse merde imparfaitement formée et, dans un soupir profondément dégoûté, enclanche la première. J’étais content de voir que certaines choses ne changent jamais. »
J’ai reposé le livre sur l’étagère et je suis allé à la caisse avec celui de Paul Theroux.
Voici le genre de billet que j’apprécie : on découvre un écrivain voyageur inconnu poure ma part (memem si il est trés populaire, non je ne le connaissais pas…désolé) et en plus ca donne envie de le lire, malgrés sa vision abjecte vraisemblalement de la France (mais c’est ce qui a de plus croustillant apparemment).Tout est vrai sur sa vision des musées, surtout lorsqu’il pense que les français grillent tout le monde au Louvre, il y’a en effet milles astuces pour parvenir et visiter le musée comme un VIP (cartes priviléges , abonnements divers et variés que n’ont pas les pauvres japonais et américains.C’est d’ailleurs un vrai bonheur que de passer ainsi « sans vergogne », un bonheur typiquement parisien). Mon musée préféré c’est celui des arts premiers Quai Branly. Orsay c’est bien et Pompidou aussi bien sur, mais ca fait vingt ans qu’il est de bon ton de dire que c’est nul , c’est un leitmotiv : Pompidou c’aurait du etre ainsi ou comme ça etc..Mais dans un parc c’est vrai que ca aurait de la gueule. J’attends un point de vue d’un écrivain étranger sur la BNF que je trouve sinistre et donne envie d’arreter de lire définitivment mais j’exagére beaucoup.Dommage que tu ne l’ai pas acheté ce livre…
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Je me demande si l’ironie que je distille dans mes billets est perçue comme telle, par moment.
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Oui, moi aussi, ça m’a donné très envie de lire ce livre.
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Je tombe des nues. Je ne pensais pas que ce billet aurait cet effet, tant le chapitre de livre en question ressasse les clichés éculés du racisme anti-français. Je dis racisme pour deux raisons. 1- Une émission de France culture a consacré sa semaine aux racismes, dans lesquels il y avait le racisme entre races, l’antisémitisme, l’homophobie, le sexisme et… l’anti-américanise. Si ce dernier est un racisme alors l’anti-Francisme des anglo-saxons en est un encore plus évident. 2- Si on remplaçait le mot Français par le mot Chinois, Juifs, Arabes ou Africains, ce livre serait condamné par la cour européenne des droits de l’homme. C’est à la limite de l’appel à la haine.
Bien sûr, l’ensemble de l’oeuvre de Bryson se veut humoristique, donc dire du mal des Français est une arme parmi d’autres de l’humoriste, comme pour nous les Belges, les Africains, le Américains, les Juifs, les Arabes… suivez mon regard.
Le titre anglais : « Neither Here nor There: Travels in Europe » (1991). Je ne sais pas s’il est traduit en français.
En français, vous pouvez lire Motel Blues (Payot) qui est le traduction d’un autre titre, sur l’Amérique profonde.
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Je me demande si l’ironie que je distille dans mes commentaires est perçue comme telle, par moment.
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Bravo Mart, très drôle, très spirituel!
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Quelle ironie ? Quelqu’un a été ironique, ici ?
Je ne sais pas pourquoi, le « racisme anti-français », ça me laisse complètement indifférent, j’aurais juste tendance à penser que ce type, Bill Bryson, est un peu plus con que la moyenne des rédacteurs de guides et de récits de voyage.
Le « racisme anti-américain », c’est pire. Quand j’en entends parler, ça disqualifie tout de suite celui qui le dénonce.
J’ai l’impression que France Culture suit sa pente naturelle ( vers la bêtise bien-pensante. ) Ca fait de la peine.
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« j’aurais juste tendance à penser que ce type, Bill Bryson, est un peu plus con que la moyenne des rédacteurs de guides et de récits de voyage. » J’apprécie Ben, j’apprécie. Je te trouvais plutôt sympa jusque là, mais je crois que j’ai changé d’avis depuis quelques secondes. Et ne vois aucune ironie dans ce commentaire.
Crétin.
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regardez sur ce site plutot : http://www.gallmeister.fr/accueil
Des écrivains voyageurs, des vrais !
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Bonjour Guillaume,
Je suis tombé sur ton billet par hasard en recherchant des infos sur Bill Bryson dont j’apprécie tout particulièrement l’humour (American Rigolos et Nos voisins du dessous).
J’avoue que ton post m’a considérablement refroidi et que je trouve du coup le père Bryson nettement moins sympathique. Ca me surprend et me désole vraiment de sa part… Mais bon, admettons que chacun peut se louper quelques fois… Je comprends qu’il n’y ait pas eu de traduction française à ce livre.
Laurent
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Oui, alors pour Bryson, je botte en touche et je te remercie Laurent, de me permettre de modaliser un peu mon jugement. D’après des universitaires américains (canadiens, en fait), Bryson ne serait que comique et ses critiques tellement exagérées que le lecteur ne pourrait pas les confondre avec des jugements sincères. Il paraît que ce qu’il dit des Italiens est aussi un tissu de clichés, mais qui ne cache pas qu’en fait, l’écrivain adore l’Italie, il le montre de tant de manières par ailleurs.
Il est donc possible que j’aie mal lu le chapitre sur Paris, et que mon anglais par exemple, ne soit pas assez bon, pour saisir qu’en réalité Bryson n’était que dans le second dégré. Que ceux qui peuvent jettent un oeil dessus et disent ce qu’ils en pensent.
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