C’est une histoire palpitante que celle de cet Institut Franco-Chinois.
Mon amie Cécilia m’en avait parlé, pour donner un cadre au tableau de Chang Shu Hong, qu’elle avait utilisé lors d’une exposition sur les liens entre art et santé. Mais ce genre de connaissance prend du temps pour s’intégrer à soi. Cécilia a fait beaucoup pour, petit à petit, me mettre en situation de comprendre de quoi il retourne.

Revenons à la création de l’Institut Franco-Chinois de Lyon. Au départ, il s’agit des activités d’un homme comme je les aime : un peu dingue, un peu foutraque, aventurier, mêlant business personnel et projets généreux. Li Shizeng (1881-1973) a beaucoup fait pour développer les idées anarchistes parmi les ouvriers et les étudiants. Plutôt que de s’égarer dans une philanthropie à l’anglo-saxonne, il monte une usine en France et attire des ouvriers chinois pour les exploiter. Lorsqu’ils sont en France, il cherche un moyen de les éduquer, et il finit par bricoler le concept d’une université chinoise sur le territoire français.
Il va d’abord créer une association, « Travail Etude », pour promouvoir le voyage de Chinois en France afin de leur procurer un emploi et une éducation. Il s’inspire de théories anarchistes sur l’émergence d’un homme nouveau, ayant dépassé les oppositions entre le manuel et l’intellectuel, le travail et les loisirs, le moral et l’immoral, toutes ces oppositions qui structurent le mode de vie bourgeoise.
Tout cela se passe dans les années 1910, c’est-à-dire à l’époque où la Chine connaît le plus grand bouleversement de son histoire. Le système impérial tombe pour laisser place à une république. Le nouveau gouvernement a peu de prise sur son propre pays, mais il soutient ces initiatives d’études à l’étranger. Le but politique est de former une élite nationale dans tous les domaines de la vie culturelle et créatrice. En premier lieu, il s’agit de créer des ingénieurs et des scientifiques. Mais, on n’oublie pas non plus les traducteurs, donc des littéraires, ainsi que des artistes.
Les étudiants ouvriers des années 1915 sont en même temps des gens qui cultivent des idées politiques. Ils sont anarchistes, communistes. Certains deviennent chrétiens. Certains deviendront-ils fascistes ? Je ne le sais pas. Leur politisation va culminer en 1921 avec la « Marche sur Lyon » pour protester contre leur niveau de vie, et pour demander de l’aide de la part des gouvernements français et chinois. Pourquoi « sur Lyon », la marche ? Parce qu’ils ont su que c’est à Lyon que se créait une université chinoise, où les étudiants seront triés sur le volet, admis sur concours. Ceux-là veulent y être admis sans concours. Leur manifestation va leur coûter une expulsion hors de France. Parmi ces révoltés de 1921, un certain Zhou Enlai, futur premier ministre de Mao.
Symbolisme de la marche. Quelques années plus tard, les fascistes italiens feront leur « Marche sur Rome », et les communistes chinois leur fameuse et extraordinaire « Longue Marche ».
Après ces remous, l’Institut franco-chinois ouvrira ses portes avec, pour les étudiants choisis, l’interdiction absolue d’avoir la moindre activité politique. « Patrie des droits de l’homme », disent les Français, et on s’étonne que cela fasse rigoler les gens.
Parmi les étudiants qui sont passés par Lyon, dans les années 20 et 30, notons quelques figures au parcours brillant, pathétique ou palpitant.
Su Xuelin, qui est devenue un écrivain reconnu dans les années trente. Elle s’est convertie au catholicisme à la basilique de Fourvière. Elle semble avoir été très critique vis-à-vis de Lu Xun, ainsi que d’autres écrivains de gauche.
Chang Shu Hong, le fameux peintre de la Malade fièvreuse et du nu que certains trouvent anormalement musclé.
Jin Yinyu, traducteur de Romain Rolland en chinois et de Lu Xun en français. Il s’est jeté dans la rivière Huang Pu à son retour à Shanghai en 1930, rendu dément par une syphillis certainement contractée dans un bordel de Lyon.
La glorieuse Pan Yuliang, orpheline vendue comme prostituée dans un bordel à 13 ans, mariée quelques années plus tard (avec un client, j’imagine), elle parvient à être admise à Lyon, où elle perfectionne son savoir-faire, avant d’aller à Paris. Elle fera quelques aller-retour entre la Chine et l’Europe, mais s’installera en France définitivement. Ses toiles sont très représentatives d’un goût féminin et orientalisant des années 30.
Comme aujourd’hui, quand les Chinois vivaient à l’étranger, ils aimaient manger leur propre nourriture, dans leurs propres restaurants. À Lyon ils ont donc ouvert le premier restaurant chinois de France.
Il y a aussi certainement un lien antérieur, par la soie. L’institut de sériciculture de La Mulatière, qui dépendait de l’INRA, je crois, a fermé récemment. Vos photos et portraits sont beaux et énigmatiques. Charme des yeux bridés/brodés ?
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Très juste, Nénette. Je ne pouvais pas faire l’histoire des liens entre Lyon et la Chine qui sont, il est vrai, multiples.
Il suffit de rappeler, en dernier ressort, que le Fonds chinois de la bibliothèque municipale de Lyon (avec entre autres les archives du fameux institut) constitue la plus grande archive de documents chinois d’Europe.
Assez pour éveiller la curiosité de chercheurs et de lecteurs de ce blog.
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Pan Yuliang est un peintre merveilleux. On pouvait voir des tableaux d’elle au musée Cernuschi, à Paris.
Mais Guillaume, vous parlez d’un homme sans jamais le nommer. « Oeuvre d’un homme comme je les aime ». Les hommes que vous aimez, vous ne les nommez donc jamais ?
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J’ai un regret qui date de 2006. J’avais vu sur le trottoir un livre d’occasion en chinois et français, avec photos, qui racontait l’aventure des étudiants-ouvriers chinois en France des années 1920. Mais je l’ai regardé trop longtemps, le marchand a voulu 80 yuans (très cher pour un livre sur le trottoir) et je n’avais pas de sous sur moi. Pas retrouvé le marchand ni le livre.
Le Parti Communiste chinois a été créé en France, comme on le rappelle dans les hagiographies de Deng Xiaoping et Zhou Enlai. Le mémorial de Zhou Enlai à Tianjin affiche une grande carte de France avec son trajet: Marseille, Lyon, Blois. Les Chinois de ce temps là (ceux de maintenant aussi) avaient une confiance en eux-mêmes stupéfiante. Ils s’embarquaient pour l’autre côté du monde, sans argent, avec une vague assurance qu’ils étaient attendus à l’arrivée.
Encore autre chose: je me demandais qui est le traducteur en français de Lu Xun, dans les petits livres bilingues à couverture gris-vert des Editions en langues étrangères. C’est un français brillant, mais qu’aucun Français n’écrirait. Pas d’indication du traducteur. Or Jin Yinyu est mort depuis plus de 70 ans, donc son travail est dans le domaine public. Si quelqu’un peut confirmer que c’est bien lui .
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Rectif pour faire croire que je lis le chinois: c’est Jing Yinyu 敬隐渔 . Sa biographie en chinois sur le site de la bibliothèque municipale de Lyon http://www.bm-lyon.fr/lyonetlachine/vc/jingyinyu.html
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Mais vous lisez le chinois, Ebolavir, vous ne me ferez pas croire le contraire. Jing « Jean-Baptiste » Yinyu, est bien le premier traducteur de Lu Xun en français, traductions qu’il a publiées dans la revue « Europe » (celle de R. Rolland, dont il était le traducteur en chinois!). Je doute cependant qu’il soit le traducteur de la fameuse collection dont vous parlez, car il n’a traduit que quelques nouvelles, je crois. Je trouve pour ma part cette traduction anonyme (et peut-être collective) excellente. La prose de Lu Xun y est rendue avec simplicité de manière poignante, loin des fioritures faussement élégantes que certains étrangers aiment manier pour montrer qu’ils sont fort en langue.
Merci, encore une fois, Ebolavir, pour ces compléments d’information sur les Chinois en France. Vous ne seriez pas libre pendant le nouvel an chinois, par hasard ? Parce que nous profiterions de votre présence à Belfast pour le colloque « Traits chinois, lignes francophones » qui traitera des artistes et auteurs chinois qui évoluent dans les pays francophones. Les 19 et 20 février 2010. http://laprecaritedusage.blog.lemonde.fr/2009/09/16/traits-chinois-lignes-francophones/
Il y aura le professeur Zhang Yinde et le fameux Gao Xingjian. Il y aura du beau monde et des performances. C’est un colloque qui fera date car il ouvre un champ d’étude qui est pour l’instant confidentiel (dans le monde universitaire) malgré le nombre impressionnant de personnalités au talent hors du commun. Il sera bon de pouvoir dire, dans dix ans, j’y étais, j’y ai participé. Ebolavir, on compte sur vous.
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Laurence, bien vu, je n’avais pas le nom de cet homme en tête lorsque j’ai écrit la billet. Il s’agit de Li Shizeng, dont je réinvente la vie de manière à le rendre plus aventurier, car il ne pouvait rien être d’autre. Lisez sa petite biographie mise en lien ci-dessous, et imaginez quel type d’homme il pouvait être. A mon avis, nécessairement un entrepreneur foireux, idéaliste, mégalomane et généreux.
http://www.bm-lyon.fr/lyonetlachine/vf/lishizeng.html
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很有意思。
Vous parlerez de Chang Shu Hong vous-même, alors ? Y aura-t-il une conférence sur Yan Pei-Ming ?
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J’ai oublié de vous répondre, Laurence, pardonnez-moi. Le colloque est passé maintenant, et non, il n’y a pas eu de conférence sur Yan Pei-Ming et rien non plus sur Chang Shu Hong. En revanche, une prof de Lyon 3 est venue faire une très bonne conférence sur Su Xuelin, et elle a pu aborder l’Institut franco-chinois.
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oui et on peut lire la biographie de MARIE Laure de Shazer, Pan Yu Liang la Manet Chinoise ou la femme peintre qui savait unir l’orient et l’Occident.. tres jolie biographie.. A lire..
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