On dit que Debussy est le musicien national, voire nationaliste, du tournant du siècle. Qu'il incarne la France, l'esprit français, par oppisition à Wagner. Chez Proust, les habitués du salon des Verdurin montrent, au contraire, leur ouverture d'esprit, leur élitisme libéral, en affichant leur amour de Wagner.
Moi, ce qui me frappe, c'est l'américanisation, la jazzification de la musique, dans les morceaux de Debussy, avant même la création du jazz. Dans Clair de lune, il y a des passages qui annoncent Gershwin et Bernstein.
Comme tout le monde, je sais que ce mouvement de la Suite bergamasque est inspiré du poème de Verlaine, mais je n'entends aucun lien entre la musique et le poème. Par honnêteté, et pour le plaisir, je colle ci-dessous le merveilleux Clair de lune.
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
Moi, ce que j'y vois, c'est la vie moderne, les longues attentes dans les gares de chemin de fer. Les accords dissonants me paraissent plus proches des trafics des grandes capitales que de l'ambiguë tristesse des masques et bergamasques. Les clowns grotesques de Verlaine sont d'une autre inspiration, je trouve, car aujourd'hui, écouter Debussy nous projette au cinéma.
Qui n'a pas l'impression qu'il s'agit d'une musique de film ? Un film muet, un peu bizarre, mi-poétique mi-burlesque ?
Chaque fois je lis ce poème, je vois des filles chinoises soigneusement maquillées traîner dans les rues encore lumieuses, en pleine nuit de la ville moderne, seule ou avec des copines, après les follies dans des bars, où elles ont voulu se montrer occidentales et charmantes.
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