Les intellectuels, on le sait, se sont transformés en chevaliers blancs qui viennent sur les plateaux de télévisions pour alerter l’opinion publique. Comme ils méprisent le public, qu’il juge idiot, oublieux, sous-éduqué, ils usent d’un langage émotif relativement simple : colère, tristesse, dégoût, révolte, leur lyrisme est fondé sur des sentiments basiques que tout le monde peut comprendre.
L’autre jour, dans une émission, un homme politique fort en gueule répond à Gérard Miller. Ce dernier est un de ces intellectuels médiatiques qui peuplent notre vie sans que nous l’ayons véritablement mérité. De la génération de BHL, il avait vingt ans en 1968, est passé par le maoïsme avant de se ranger dans la psychanalyse, c’est-à-dire dans n’importe quoi. Il a des opinions sur tout, comme le sage précaire, et gagne beaucoup d’argent, à la différence du sage précaire. Produit typique de la France d’après-guerre, il incarne la déchéance de l’élite intellectuelle de notre pays. Dans l’émission, il se lança dans une tirade anti-raciste convenue. Il se fit applaudir.
L’homme politique lui dit alors : « C’est bien, vous avez fait votre numéro, vous vous sentez mieux maintenant ? »
Miller sourit et répondit que, oui, il se sentait mieux. Si on l’avait interrogé, il aurait reconnu qu’en effet, exprimer sa colère est une bonne chose pour l’équilibre mental. Et que si l’on peut, en un seul et même geste, lutter pour une bonne cause (l’anti-racisme) et se faire du bien au moral, alors pourquoi hésiter ? Le bien-être par l’engagement humanitaire.
Si j’avais été l’homme politique, je lui aurais répondu ceci : Monsieur Miller, vous vivez dans un conte de fée. rappelez-vous la chanson d’Henri Salvador, Une chanson douce. On invente une histoire où la biche va se faire manger par un méchant loup. On génère de la peur chez l’enfant. Une angoisse qui renvoie à toutes ses angoisses d’enfant. Puis on fait apparaître un chevalier blanc qui anéantit le loup, et, dans ses bras, la biche se transforme en princesse. Je la connais bien cette chanson, pour l’avoir étudiée et chantée avec des étudiants chinois qui l’aimaient bien. La parole féérique donne de l’émotion aux enfants et les conduit vers un sentiment de quiétude où les méchants sont punis, où les filles sont des princesses. Et les enfants, confiants dans la voix chaude de leur père, la voix douce de leur mère, peuvent enfin s’endormir tranquille.
Nos intellectuels français font la même chose. Ils forment un discours où de gentilles filles sont assassinées, lapidées, ils insistent sur les détails sordides, puis ils règlent tous les problèmes en quelques phrases lyriques. Dans leur parole, les dictateurs sont punis, la démocratie gagne, et ainsi, par cet acte de parole féérique, eux-mêmes se sentent mieux.
L’ennui, c’est que le public – le peuple, si l’on préfère – n’est pas aussi con qu’ils l’imaginent, et pas aussi inculte que les enfants qui s’endorment. Il sait, le peuple, que le mal continue d’exister même après les tirades de Miller, BHL et autres Kouchner. Son angoisse, à lui, au peuple, n’est pas diminuée par ces discours humanitaires, et cette vision du monde, constitués de grands méchants loups, de fragiles princesses et de blancs chevaliers, ne lui est d’aucun secours.
Les méchants loups (la Chine, l’Iran, les Talibans, l’ « islamo-fascisme », le Hamas, Poutine, Chavez), les pauvres biches (les peuples) et les chevaliers blancs (nos intellectuels eux-mêmes), forment en fait un conte de fée parfaitement indigeste et dangereux pour l’intelligence. Alors que Voltaire, Zola, Sartre, cherchaient à réveiller leurs compatriotes, nos penseurs actuels veulent les endormir. On a vu ce qui s’est passé en 2008 lors du passage de la flamme olympique « chinoise » à Paris. Des jeunes ignorant, manipulés par nos intellectuels médiatiques, ont manifesté en criant : « Assassins », à des Chinois qui venaient juste encourager leurs athlètes. Des Chinois qui avaient appris le français avec des chansons d’Henri Salvador, et pour qui la France avaient encore une certaine culture à faire valoir, un certain savoir-vivre aussi.
Les jeunes Français avaient cru que les tyrans chinois, sanguinaires comme le loup de la chanson, pouvaient être anéantis s’ils criaient assez fort. Ils avaient même négligé de s’intéresser à l’histoire réelle du Tibet et de la Chine. Ils évoluaient dans le monde féérique parallèle de nos anciens soixante-huitards moralisateurs.
C’est, en effet, une étrange séquelle de 1968, qu’un certain nombre de prophètes autoproclamés ont suivi une carrière profitable.
Un peu comme si la défaite d’Alésia eût fait acquérir une position d’autorité morale au barde Assurancetourix.
J’aimeJ’aime
« la psychanalyse, c’est-à-dire dans n’importe quoi. » Eh ben dis donc.
J’aimeJ’aime
Le mieux avec les cons, c’est quand même de les ignorer, non ? Deux billets de suite sur BHL et consort, tu nous couverais pas une petite déprime, là ?
J’aimeJ’aime
Ignorer les cons, c’est un peu ce que préconisait Yuxia dans le billet précédent. Mais ce n’est pas BHL qui est le sujet principal des billets. A travers eux, ce sont les discours que nous sommes amenés à tenir, ou à entendre, qui sont visés. Ainsi que des sujets déjà traités fragmentairement sur ce blog, et qui me paraissent importants : la charité, l’humanitaire, la morale et la politique, les méandres de la bonne conscience et de la mauvaise foi.
J’aimeJ’aime
Le sage précaire préfère la mauvaise conscience et la bonne foi… il a un compte à régler avec les ex-soixante huitards… aie aie aie ! dis, Guillaume, pourrais-tu faire un billet sur Virginie Linhardt et son bouquin « Le jour où mon père s’est tu » ? J’aurais ainsi quelques lignes intelligentes pour une réunion d’apaïstes et je pourrais du coup avoir l’air fûté, moi aussi. Merci d’avance.
J’aimeJ’aime
C’est drôle que tu mentionnes Virginie Linhardt. Je n’ai pas encore lu ce livre mais j’en ai envie depuis quelques années. Celui de son père aussi, « L’Etabli », j’ai envie de le lire, je l’ai offert mais je ne l’ai toujours pas lu.
Qu’est-ce que des « apaïstes » ?
J’aimeJ’aime