Le Titanic au secours de Belfast, la ville-catastrophe

Titanic Museum, Belfast

Le Belfast Telegraph déploie en pleine page un superbe projet : un grand musée sur le Titanic, dont l’architecture rappelle un peu la coque d’un bateau et dont la couleur dorée doit faire oublier tous les malheurs de la ville.

Le journal insiste pesamment sur le fait que le nouveau musée sera la « tour Eiffel de Belfast », et qu’il symbolisera la ville au même titre que le Colisée symbolise Rome, et Big Ben Londres.

Non.

Je ne veux pas être désagréable, mais non, le musée ne symbolisera pas Belfast. Ce qui symbolisera Belfast, pour quelque temps encore, ce sont les violences entre catholiques et protestants. Comme c’est le cas pour Verdun, pour Beyrouth, pour Guernica, pour Hiroshima, pour Omaha Beach, quand on prononce le nom de Belfast, les gens pensent d’emblée à des images de guerre. Les gens pensent « bombe », « IRA », « guerre civile ».

Cela changera bien sûr, avec le temps, mais rien ne sert de se précipiter comme le font les idéologues d’Irlande du nord.

Quelques pages plus loin, le même journal consacre une double page à ceux qui sont encore dans les cadres mentaux des Troubles, ceux qui n’ont pas encore tourné la page de la guerre civile. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a encore 88 murs de séparations entre quartiers, alors qu’il y en avait moins de la moitié en 1974. La ségrégation est donc en situation croissante. Le mur le plus important est d’une longueur de 5 kilomètres. Et les dernières élections en date ont montré un net recul des partis non-communautaires. Quoi qu’en disent les idéologues, le peuple a encore voté massivement pour les « unionistes » (plutôt protestants, pour l’union avec la Grande Bretagne) ou pour les républicains (plutôt catholiques, en faveur d’une réunification de l’Irlande). Ils n’ont été attirés ni par les verts, ni par les socialistes, ni par les trucs multiculturels.

Alors les idéologues se tournent vers l’architecture grandiose. Des millions de livres sterling pour un gros monument à la gloire de Belfast. C’est ici que le célèbre Titanic a vu le jour, alors célébrons-le, chantons-le.

On n’a pas encore osé mettre en avant le fait que le Titanic est surtout célèbre pour avoir coulé, et qu’il est, pour toujours, le symbole de l’échec technologique naval, et d’une grande catastrophe humaine. On veut faire un gigantesque bâtiment pour que l’histoire récente paraisse toute petite à côté, mais ce que l’on risque de faire, c’est de redoubler la réputation de Belfast comme ville-catastrophe.

Ou comment inventer un urbanisme de la fêlure, de la blessure et de l’échouage en pleine mer.

4 commentaires sur “Le Titanic au secours de Belfast, la ville-catastrophe

      1. C’est une rumeur de l’époque. voir, par exemple,

        http://2nd-son.blogspot.com/2010/10/god-himself-couldnt-sink-this-ship.html

        « I remember hearing the story of the Titanic in school. The part about the claim that God couldn’t sink it was always told with grim self-satisfaction. The message was clear: don’t challenge God, or He’ll show you who’s boss. We the believers were a superior group, and the people who had flippantly challenged God with an unsinkable ship had gotten what was coming to them. »

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