Le sage précaire se fait connaître

Un vieil homme s’approche de moi, en souriant. Il me dit que je suis sur un terrain, « en bas », vers Puech Sigal. Je confirme (bien que ce soit « en haut » du village, et non en bas, mais je prends cela comme une figure de style.)

Il me dit que mon frère y a mis ses ruches, et me demande comment s’appelle mon frère. Je lui dis le prénom de mon frère, mais il ne connaît pas les gens par leur prénom. « Hubert comment ? », demande-t-il.

« Hubert Thouroude », dis-je tranquillement. « Ah mais je le connais », s’exclame-t-il.

Il prétend le voir souvent passer, ce qui est impossible car mon frère ne passe presque jamais au village. En fait, il se souvient sans doute de lui lorsqu’il s’installait dans la région, il y a dix ou quinze ans. Ici, dans les Cévennes, une période de dix ans ne constitue pas une coupure digne de ce nom. Lui, c’est Vidal, il a été maire autrefois, il a tenu la supérette pendant longtemps et il fait profiter la paroisse de sa superbe voix : il est le soliste des messe de la Rouvière.

On se souvient donc de mon frère. Et moi, on commence à me connaître. Cela avait commencé avec la charmante dame qui tient la supérette du village. Elle a fini, grâce à des questions subtiles et espacées, à savoir que je n’étais « du Gasquet » mais « sur le terrain d’Aiguebonne », que j’étais le frère de celui qui lui fournissait du miel.

Il est important que l’on ne me prenne pas pour un rôdeur, un étranger louche et curieux. Pour faire comprendre ma situation aux gens du coin, je dis que je suis en année sabbatique, que j’ai beaucoup travaillé ces dix dernières années, et que je m’octroie une année en France. C’est d’ailleurs la stricte vérité. « Certains font un tour du monde, vous, vous avez bien raison de venir vous ressourcer dans les Cévennes », me dit-on avec ferveur.

Et on me voit à la messe, ce qui ne gâte rien. Le seul problème de la messe est que je ne communie pas (je ne suis pas baptisé), je ne me signe pas et mes lèvres ne bougent pas lors des prières collectives, du type « Notre père ». En revanche, quand j’ai les paroles, je chante.

Quand les gens voient que je ne communie pas, que je laisse passer mes voisins, et que je reste debout, les bras croisés, pensent-ils que je suis dans le péché, ou que je suis une sorte de parpaillot (voire un musulman!) déguisé en catho ? Mon impression est qu’ils s’en fichent, et qu’ils préfèrent voir leur église remplie, fût-ce avec des fidèles quelque peu idiosyncratiques.

6 commentaires sur “Le sage précaire se fait connaître

  1. Ca me fait réfléchir, ce que tu écris, que le Notre Père est une prière de type collectif. Elle est dite en commun, mais aucune prière sauf l’oraison n’est vraiment privée… enfin ce n’est pas le lieu ici de parler théologie… ça me fait sourire que tu croies que les gens te regardent de travers, surtout dans les Cévennes, pays ouvert sur ce point là. Mais c’est peut être de l’humour, et je n’ai rien compris… et puis il y a plein de débats de religion ici en France en ce moment, on nous rebat les oreilles avec une certaine prière universelle qui, paraît-il, remettrait en cause les homosexuels. Bref, les media nous font suer. On a l’habitude des grandes généralisations, ça fait marronnier comme le prix des cartables à la rentrée.

    Bon, du Rize, je te salue bien.

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  2.  » vé! t’as vu le fada (*), il doit espérer un miracle, té! » , c’est certainement à peu près ça qu’ils se disent les paysans du coin. Après, c’est une simple variation dans l’accent.

    (*) littéralement: touché des fées

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  3. Moi j’ai goûté à l’hostie, il y a vingt ans, quand je ne savais pas que je n’y avais pas droit. Il m’a semblé que ça avait le goût de chips un peu fade, mais pas mauvaise si on est à jeun.
    Je vais à la messe pour partager un moment avec les gens du coin, quelque chose de codifié, où l’on propose des moments de silence, ce qui a pour effet d’apaiser mon esprit.
    Je ne pense pas que les gens me regardent de travers, nénette. Mais de fait, ils voient qui va communier et qui n’y va pas. Cela fait partie du rituel, cette exhibition. Dans les villages, on devait papoter après la messe, sur celles et ceux qui avaient quelque chose à se reprocher.

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