Ma dernière trouvaille est de me faire passer pour un Arabe. Les universités américaines sont ouvertement soumises aux règles de la discrimination positive (affirmative action), ont des quotas de minorités ethniques à embaucher, et encouragent explicitement les candidatures d’Africains, de Latinos ou de Roms.
On me demande systématiquement si je suis « latino », et on fait tout pour me forcer à dire oui. les Américains sont si désireux d’embaucher des gens de cette minorité si imposante dans le pays, que les formulaires ne vous lâchent pas tant que vous n’avez pas avoué posséder un petit quelque chose de cubain, un peu de sang hispanique, un rien d’hérédité sud-américaine.
Moi, je ne peux vraiment rien pour eux, je me crois totalement non-espagnol. En revanche, Arabe ou Kabyle, Berbère des Cévennes, c’est envisageable.
C’est quand même malheureux d’être à ce point précaire sans rien de minoritaire. Ne nous voilons pas la face, je ne suis qu’une espèce de vieux beauf sans aucune aspérité politique. Blanc, mâle, diplômé de l’éducation supérieure, d’origine chrétienne, je n’ai aucune chance de profiter de cette discrimination positive. Ma précarité, ma glorieuse sagesse précaire, n’est pas (encore) considérée comme une tare sociale. Même mon orientation sexuelle est décevante : si au moins j’étais gay ou transsexuel, je pourrais peut-être monnayer cela contre un poste d’universitaire cool et queer. Je pourrais toujours prétendre être tout cela, me direz-vous, mais il faudrait pouvoir prouver que j’ai souffert d’une manière ou d’une autre de cet état de fait, or si j’ai souffert dans vie amoureuse, ce ne fut que par de cruelles beautés féminines. Et l’attraction de l’université trouve sa limite dans la perspective d’une opération chirurgicale : changer de sexe ne me déplairait pas fondamentalement (cela me permettrait peut-être d’approcher certaines femmes jusqu’alors inaccessibles), mais ce qui me rebuterait vraiment, ce serait de devoir supporter les conneries répétitives et bornées des Gender studies dans lesquelles ma situation de « trans » me destinerait inévitablement.
Ce qui me reste, c’est une autre forme de mensonge : m’inventer une ascendance kabyle. Mon nom de famille, Thouroude, a des assonances orientales : qu’on songe notamment à l’instrument à corde, le oud, ou aux prénoms bien connus Mouloud, Miloud. Physiquement, je fais aussi bien nord-africain qu’Européen du nord, cela ne fait pas de doute. J’ai pris des cours d’arabe, je peux donc faire illusion devant des Anglo-saxons postcolonialistes (surtout ceux qui étudient la littérature maghrébine car, si j’en juge par celles et ceux que j’ai croisés sur les îles britanniques, ils ne parlent pas un mot d’arabe).
Lors de l’entretien d’embauche, j’en mets des louches sur le racisme présumé de mes compatriotes les Français. Si les Américains sont aussi hostiles que les Britanniques à l’égard de la France, j’ai des chances d’être cru. Ils le croiront d’autant plus qu’ils nous voient déjà comme le peuple le plus raciste du monde ! (On me l’a dit officiellement lors d’examens oraux à Belfast).
Et si je ne sens pas que le poste est dans la poche, je sors l’arme fatal : « non seulement je suis arabe, mais je suis en fait une femme musulmane opérée pour devenir un homme. Mais je ne veux pas revenir sur cet épisode (cévenol) de ma vie douloureuse. Donnez-moi ce job et qu’on ne me parle jamais de cette opération de malheur, qui m’a privée du bonheur de vivre avec mon promis, Mouloud au grand cœur. »
Voilà, chers amis, à quoi est réduit vos jeunes diplômés, vos docteurs folamour, vos sages précaires en mal d’emploi.
Tu peux aussi dire que tu es comme le citoyen Thorgal, un Viking extraterrestre.
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Le chichon is good par chez vous ..
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C’est vrai que j’ai un peu déliré, il faut avouer. Mais je crois sincèrement que ce serait possible de me faire passer pour quelqu’un d’origine nord-africaine. Si j’avais plus de courage, je pourrais écrire un petit roman sur ce sujet: un sage précaire français qui se fait passer pour un Kabyle, immigré de la deuxième ou troisième génération, pour avoir du boulot dans le monde anglo-saxon.
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Précaire mon ami, l’Amérique t’usera plus vite que les Cévennes.Je me réjouis d’avance de ta venue sur le continent. L’Amérique est surfaîte, si j’étais toi j’oserais plus…le superlatif du subjonctif futur, les gens sont parfois tellement con tu n’imagines même pas.J’ai vécu quatorze ans en suisse-romande..après je suis revenu ici…savoir et la vérité est de ne pas perdre sa relation avec son soi…
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Oh, moi, tu sais, Mildred. Ma relation avec mon moi est déjà pas mal distendue, je crois que je suis prêt pour l’Amérique. Et je ne crois pas à la présumée bêtise des Américains. Je pense qu’il s’agit de façons de penser que ne comprennent pas les Européens, mais je peux me tromper. Il faut donc y aller voir pour vérifier.
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