Depuis que le toit du mazet est reconstruit, je repense à tous les amis qui ont douté de ce chantier. Cela fait des mois que j’entends des gens, en général des gens qui n’y connaissent rien (mais nous portons tous des jugements sur des choses dont nous ne sommes pas spécialistes), faire des grimaces face au mazet en ruine.
J’ai reçu des coups de fil d’ami(es) qui n’étaient jamais venus sur le terrain et qui me faisaient part de leur inquiétude, car ils avaient entendu parler de ce chantier de manière telle qu’ils avaient peur pour moi. Depuis le mois de juin, on me parle de l’hiver, et on ne me croit pas quand je dis que je le passerai dans ma nouvelle maison.
Beaucoup de mes proches ont eu des doutes quant à notre capacité, à mon frère et à moi, à venir à bout de ce chantier. Ils ont qualifié notre projet de « foireux ». Ils se sont inquiétés pour ma santé et même pour ma vie, anxieux de me voir persister dans ma folie de vivre dans une ruine instable. Des images d’hivers rigoureux où je meurs de froid se sont succédé à des images de catastrophes diverses, le mazet s’effondrant comme un château de carte, ensevelissant sous les pierres et les poutres un sage précaire présomptueux.
À côté de ce mazet en construction, il y a un cabanon en bois dans lequel je loge depuis juin 2012, en attendant que la construction en pierre soit prête. La cabane en bois, mon frère l’a construite au début des années 2000. Certes, sous un certain angle, elle peut avoir l’air bancal et c’est peut-être là qu’il faut chercher la raison de ce scepticisme généralisé. Or, cette apparence bancale est précisément ce qui en fait le charme. Et puis surtout la cabane a tenu une dizaine d’années, elle a résisté aux tempêtes, aux épisodes cévenols, aux chaleurs écrasantes de l’été, aux fusillades de chasseurs, aux sangliers et aux rats. Si j’étais un inspecteur des travaux finis, j’insisterais davantage sur la solidité éprouvée de la construction que sur sa fragilité.
Il doit pourtant bien y avoir quelque chose de vrai dans les perfidies de mes amis. Ce qui est vrai n’est pas le contenu de leur jugement car on peut raisonnablement penser que la charpente tiendra, que le toit sera solide, qu’il protègera de la pluie et résistera aux tempêtes. J’en suis d’autant plus certain que mon frère est parfaitement lucide sur les erreurs à ne pas commettre. D’autres personnes, des autochtones qui en ont vu d’autres, rendent parfois des visites au terrain et considèrent ce chantier comme une formalité. « Une journée ou deux suffiront, du moment que les éléments seront assemblés » dit Rémi, un ami scientifique qui a participé à de nombreux chantiers de ce type dans les Cévennes.
D’où vient donc cet écart entre la confiance tranquille de Rémi et les doutes non moins tranquilles de celles et ceux qui ne parviennent pas à imaginer que le chantier puisse arriver à son terme ? C’est probablement dans cet écart qu’il y a un peu de vérité. Les uns ont en tête la difficulté d’un tel chantier et jugent ma façon d’en parler trop détachée, comme si je voyais la chose se réaliser toute seule. Les autres appréhendent le mazet du point de vue de leurs expériences propres et voient là quelque chose de facilement réalisable.
En ce qui me concerne, mon point de vue est ultimement de pure confiance, c’est pourquoi je parle de cela avec détachement. Je sais mon frère capable de tout du moment qu’il décide de réaliser quelque chose. Je contemple son terrain et je vois tout ce qu’il a pu en faire, tout seul ou avec des aides ponctuelles. Le travail qu’il a accompli est proprement considérable, surtout si l’on considère qu’il aime dormir, qu’il passe son temps à jouer de la cornemuse et de la guitare, à s’occuper de ses enfants, et qu’il n’aime pas les grandes chaleurs ni les grands froids.
Par conséquent ce qui m’étonne le plus n’est pas que l’on doute de moi mais que l’on doute de mon frère. Il n’a jamais prétendu, à ma connaissance, être capable de choses qui outrepassaient ses compétences. Au contraire, il fait preuve de patience, il réfléchit longuement, prend conseil et quand il se met à quelque chose, il le fait avec excellence : miel, jardinage, bricolage, musique, dessin, qui peut dire qu’il ne réalise pas pleinement ce qu’il entreprend ?
On me dira que mon jugement est biaisé car il s’agit de mon frère aîné et que je ne le considère pas d’un oeil objectif. Ne nous affolons pas. L’hiver n’est pas encore arrivé. Le scepticisme n’est pas encore vaincu. Il faudra faire le bilan au printemps prochain.
Par chance, les hivers n’ont plus la froidure de jadis.
Je dis cela, mais je suppose également que tu n’es pas frileux.
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Comme tu le dis, pour les locaux, construire ou rénover un mazet est un acte courant, au sens ou cela n’a rien d’extraordinaire. Non que ce soit facile ou que les ennuis soient tous résolus d’avance, mais c’est de l’ordre du faisable.
Je crois surtout que tu as bcp d’amis intellos qui n’ont jamais fait grand chose de leurs dix doigts, et du coup la construction de cet abri + la mentalité anxiogène de ce pays ont fait qu’ils préfèrent ne pas y croire.
En tout cas je ne doute pas une seconde, après les mois passées à théoriser et faire du gras dans l’humidité d’outre-manche, des bienfaits que l’on tire à construire qqchose de concret, beau et praticable, qui plus est en pleine nature 😀
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C’est sûr que ça fait un bien fou. Le bonheur que c’est de vivre un peu dehors, c’est quelque chose, surtout après une thèse. Les doctorants devraient obligatoirement s’éloigner un an de l’université après leur soutenance. Malheureusement pour eux, ils courent après des boulots temporaires et s’usent la santé.
Il ne faut pas être trop dur avec mes amis Damien. Dire d’eux que ce sont des intellos, franchement.
C’est vrai Cochnfucius, j’ai la chance de n’être pas frileux. Et en plus, j’ai des idées pour l’hiver, des trucs de génie que je révèlerai en temps et en heure. Je ne vais pas les révéler tout de suite, cela va encore inspirer du scepticisme.
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Le septicisme de tes amis révélait peut-être leur attachement à ton égard; c’est le miens en tout cas même si je ne te connais que par tes écritures de blog…tu pourrais attraper la crève dans cet intérieur ouvert aux quatre vents et tu connais déjà la vitesse des vents d’automne, imagine au 15 de janvier…autrement je suis descendu chez mon aminche à Aix un certain hivers et c’était »frette en calvette » comme on dit ici.
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Cet intérieur ne sera plus ouvert aux quatre vents dans quelques jours, Mildred. Il ne sera ouvert à aucun vent, et je l’intègrerai début décembre.
Ah, mes amis révèleraient leur attachement à mon égard en exprimant leur scepticisme. Tu as raison Mildred, ça doit être ça.
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Je connaissais « frette en ostie » mais pas encore frette en calvette, merci Mildred pour la leçon de sacre coutumière.
Guillaume, je pense (et je crois que tu es d’accord) que tout honnête homme devrait être à la fois un peu intello et un peu bricoleur. Une curiosité pour le monde sensible comme pour les idées, ça a de la gueule, non?
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Oh! mais moi je crois que tu es encore un jeune homme plein de vigueur et de rigeur intellectuel et que tu passeras l’hivers des Cévenne dans un chac de bûcheron avec succès.J’ai connu ton blog et d’autres très intéressant en passant l’hivers québécois dans ma campagne reculer 02-03., allumant le poêle à bois en même temps que l’ordi le matin à cinq heure avant de monter en forêt dépiéger mes collets de lièvres…
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J’avais de bonnes raisons d’être un peu sceptique, sans du tout remettre en cause les capacités manuelles de Guillaume. Il faut savoir que la toiture du mazet avait déja été refaite, par une équipe assez comparable, avec des intellos bricoleurs et des bricoleurs intellos. Le résultat n’avait pas été probant, il y avait une courbe assez remarquable dans la toiture qui faisait comme une cuvette au milieu.
Sur la question de savoir si un intello devrait être un peu bricoleur, qu’un honnête homme sache poser une charpente, je veux bien, mais personne ne demande à un garagiste de lire Montaigne. Le jour où j’en rencontrerai un qui me parle des Essais, j’apprendrai à changer un cardan.
On peut aussi être fier d’être un intello, et ne rien faire de ses dix doigts. Je trouve que nous, les intellos, nous avons un peu tendance à nous dénigrer nous-même. Aristote disait que le travail de l’architecte est supérieur à celui du maçon, et il avait sans doute un peu raison. L’intellect, c’est pas rien, ça a sa puissance propre et ses vertus. A côté des travaux intellectuels, les travaux manuels sont dans la plupart des cas très très cons, répétitifs et abrutissants. C’est très sympa de faire un peu de bricolage de temps en temps, mais personne n’a à mon avis vraiment envie d’être un vrai manard de chantier avec des gros beaufs comme chefs et ou comme collègues. C’est pourtant seulement comme ça qu’on pourrait vraiment développer les puissances propres du travail manuel, si on voulait aller à fond là-dedans. Mais en réalité, on se contente de faire semblant et personne n’y croit vraiment. Les intellos qui le font vraiment et passent la barrière pour devenir par exemple artisans professionnels la ramènent moins et je crois que souvent ils mesurent alors la vraie valeur du travail intellectuel.
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Voir le « Journal d’un manoeuvre » de Thierry Metz.
http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=19704
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Heureusement qu’on peut être fier d’être intello, comme on peut être fier d’être bricoleur. Ce qui me gêne, ce sont ceux qui n’hésitent pas à afficher leur fierté de ne pas être bricoleurs, et qui regardent de haut toute activité manuelle. C’est aussi stupide que de dénigrer les intellos.
Je ne demande pas à un intello de savoir changer un joint de cardan mais je trouverais stupide qu’il regarde de haut les activités manuelles. Or, comme en tout, c’est quand on ne connait pas qqchose qu’on a tendance à la dénigrer.
Peut-être est-ce aussi parce que je suis natif de Strasbourg, proche de l’Allemagne ou le travail des artisans, techniciens et ingénieurs est tenu en plus haute estime qu’en France. (Je ne crois pas que cela ait porté préjudice à leur réflexion philosophique).
Personnellement j’ai toujours aimé dessiner avant de construire, ça m’a motivé plus tard dans mes études d’ingénieur et mon travail. Aussi je n’aime le « compartimentage » et la hiérarchisation des taches que tu fais. J’entends par là qu’un architecte peut s’intéresser à la maçonnerie, sans vouloir devenir maçon.
Ce qui m’attriste aujourd’hui, et c’est une vraie tendance en France, c’est le désintérêt aussi bien pour les sciences que pour la construction et pas mal de métiers dits manuels. Symptomatique de cette évolution, un nombre non négligeable d’artistes ne font plus rien de leurs doigts, ils font fabriquer-façonner ailleurs, sous-traitent et apposent leur signature sur le produit fini. Libre à chacun d’apprécier la performance, personnellement je trouve ça bien tristounet..
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« J’avais de bonnes raisons d’être un peu sceptique, (…) la toiture du mazet avait déja été refaite (…) Le résultat n’avait pas été probant, il y avait une courbe assez remarquable dans la toiture qui faisait comme une cuvette au milieu. »
Précisément, mon frère ayant participé à ce premier chantier, il était à même de ne pas commettre les mêmes erreurs.
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@Damien, Calvette est le féminin de Calvas qui est un synonyme de Calvaire qui est un terme employer comme juron pas très catholique afin d’exprimer une émotion…
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Moi, j’ai toujours été manard. Je faisais le ramoneur pour payer mes études, et je travaillais dans les usines de Tarare quand mes petits camarades faisaient des voyages en stop dans l’Europe post-mur de Berlin, c’est assez dire.
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Ëtre capable de se dire manard avec fierté et de se considérer intello de plein droit ,n’est-ce-pas la seule solution, ta sagesse nous la disant précaire n’en est-elle pas l’aboutissement.Le cerveau humain a autant de mémoire que l’ordi. Développer des habiletées manuelles demande un certain Q.I.J’abonde dans le même sens que toi…’Moi, j’ai toujours été manard. Je faisais le ramoneur pour payer mes études…’ C’est comme ça que je perçevais l’acquisition de ta sagesse .
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