Muscles

Il est temps que les travaux s’arrêtent au mazet. Mon frère et moi sommes très fatigués. Une belle fatigue, heureuse, car elle n’est que la résultante d’un travail voulu, désiré même.

Faire de la maçonnerie, c’est prestigieux car cela revient à bâtir, à ériger, à donner un logement, c’est toujours un peu noble. Mais cela cause un épuisement de tous les muscles. On ne s’en rend pas compte sur le moment, c’est après la journée de travail, quand le corps s’autorise à se relâcher un peu, que l’ensemble des muscles s’affaissent, demandent grâce et s’endorment. Le sage précaire tombe alors dans une torpeur de zombie.

Il m’est arrivé, la semaine dernière, de faire le tour du cadran dès la tombée de la nuit, ce qui ne m’était jamais arrivé dans ma vie d’adulte. Après m’être lavé consciencieusement, avoir mangé lentement, et avoir lu un peu à la chandelle, je me suis endormi lourdement à sept heures du soir. Quand je me suis réveillé, il faisait nuit, je pensais qu’il était deux ou trois heures du matin : il était sept heures.

Ces longues nuits sont pour moi une vraie merveille. Ce sont des choses que je goûte d’autant plus que d’habitude je vis en ville, près des universités et des centres culturels des pays qui vivent la nuit. Le sommeil des montagnes, les siestes et les nuits de paysan me font un bien fou.

Hier, en partant du terrain, je me sentais vidé comme une baignoire. Arrivé dans la petite ville du Vigan, le café où je travaille à l’ordinateur était fermé. Plutôt que de rentrer chez mon frère, je me suis assis sur un banc public et suis resté, hébété, une durée impossible à me rappeler. J’ai pu rester ainsi, quelques minutes ou une heure entière, complètement abruti, ravi d’être là et de voir tomber les feuilles d’arbres.

Pour moi, tout cela est une belle expérience, mais je pense à ceux qui font ce métier depuis l’âge de 16 ans. Ou pire, ceux qui travaillaient sur les chantiers dès la sortie de l’enfance. Pendant quelques années, ces activités fortifient le corps, le musclent et l’entretiennent ; cela fut mon cas quand j’étais ramoneur adolescent. Mais passé un certain âge, les travaux physiques répétés usent et détruisent. Ce n’est pas pour rien qu’on meurt plus jeune chez les ouvriers. Ce n’est pas l’absence de soin qui fait crever plus tôt, c’est l’épuisement des muscles, qui à la longue, vulnérabilisent tout le corps et désarment toutes les défenses immunitaires.

5 commentaires sur “Muscles

  1. Le problème de la maçonnerie, c’est que ça se mécanise difficilement. On a pas fini de faire des pellettées ou de monter des murs à la main; c’est souvent de l’artisanat. Les ouvriers qui travaillent dans l’industrie sont un peu plus protégés, le développement de l’ergonomie y est pour qqchose. Ça n’empêche que les plus anciens ont débuté dans d’autres conditions..

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    1. C’est vrai, Damien, et en même temps, plus on est « protégé » (chez les ouvriers) plus on est dépossédé de sa force de travail, moins on se sent fier du travail réalisé. Il manque alors une forme de compensation symbolique à l’effort fourni.

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  2. Gentil Précaire, pour ma part je ne crois pas que çe soit l’effort physique comme tel qui vous a épuisé toi et ton frère mais bien le stress du au délais, le temps requis pour que ton mazet soit habitable avant les grands froid, la pression sur le systhème nerveux influe sur l’endurance,c’est pour ça que certains manoeuvres sont plus atteint que d’autres, car le temps vous était compté,comme les esclaves qui mouraient d’épuisement faute de temps pour réaliser pleinement un chantier ma foi bien banal.Bien-sûr il y a l’habitude du travail manuel au grand air qui t’a manqué depuis quelques années mais sans plus.Tu es un jeune homme plein de sagesse et de vigueur ainsi que ton frère mais’ l’exposure’ comme on dit en anglais vous a forcé a vous dépasser, de là cette fatigue extrême et ce repos tant mérité auquel tu aspires,mais que feras-tu en février lorsque ton ours intérieur se sera réveillé de son hibernation.

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