Evidemment, Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson est un livre que je dois lire pour des raisons personnelles et professionnelles.
A titre personnel, mon expérience actuelle de (relative) solitude cévenole peut être mise en parallèle avec son expérience sibérienne. Professionnellement, je dois me tenir au courant de ce qui se passe dans la littérature des voyages, et il me faut, ne serait-ce que pour ma thèse qui est en cours de publication, mentionner ce qui apparaît comme un nouveau sous-genre, celui de la robinsonnade.
Car d’autres livres paraissent qui proposent des récits de séjours solitaires. Solitudes australes. Chronique de la cabane retrouvée de David Lefèvre (Transboréal, 2012), raconte six mois de vie au bord d’un lac chilien (décidément, les lacs ont la cote, après le Baïkal de Tesson).
On assiste bel et bien, en France, à l’éclosion d’un genre littéraire, basé sur des expériences de solitude, d’existence dans la nature, qui fait suite à des livres américains, tels que Winter, ou Journal des 5 saisons, de Rick Bass. On peut faire remonter ces robinsonnades à d’autres textes américains tels que Walden de David Henry Thoreau, qui raconte deux années de vie au bord du lac Walden, près de Concord, dans le Massachusetts (encore un lac !)
La robinsonnade du sage précaire sera moins lacustre et beaucoup moins érémitique. Le terrain de mon frère n’est pas pour moi un lieu de solitude, mais serait plus proche d’un jardin d’Epicure.
S’il n’avait pas connu la publication, ce Tesson attendrait sans doute toujours comme je le fais tes commentaires, en se disant qu’ils doivent valoir (tes commentaires, pas son livre) ceux de tant d’autres, en se demandant aussi si tout ce que tu sembles devoir exiger d’un récit de voyage s’y trouve (dans son livre, pas dans tes commentaires). Aussi, puisque tu prends toi aussi parfois la partie pour le tout, comme je trouve absolument légitime de PARTOUT le faire, et que tu donnes des fragments très courts de son livre pour les commenter de belle manière; comme enfin je crains d’encore prendre mon livre par ses premiers chapitres, qu’a trop relire je finis par voir avec un oeil qui n’est pas le mien (le tien, peut-etre?), je l’ai rouvert, le refusé, celui que je t’ai envoyé entier. Pour le plaisir de lancer un fragment, arraché au hasard, a prendre ou a éviter:
« Entre la sortie dont l’appartement fut témoin et le train pour le T, il y eut donc un court printemps de la violence, dont l’éclosion gonfla mon corps d’un tel désir de porter mon énergie à ses extrémités qu’il me semblait soudain avoir plusieurs paires de bras, plusieurs têtes pour partager cette constatation, et des jambes disposées à courir partout à la fois, pourvu que, Shiva, ô Shiva, je pusse d’un seul geste déconstruire et détruire, construire et reconstruire la même chose, piétiner, repiquer et manger tout à la fois le produit de rizières, plusieurs. Car, c’est un fait, je mangeais comme quatre, et je n’avais pas assez de la paire de mains occupée par cette frénésie pour menacer de mes baguettes qui me le faisait aimablement remarquer. Mon cerveau suivait le même sur-régime, et des quatre ou cinq livres, souvent dans autant de langues (si pas plus dans mon esprit, où tout se résolvait merveilleusement), que je lui servais matin, midi et soir, sortait une bouillie d’explications à quatre ou cinq bouches qui en confondait plus d’un.
Et cependant se poursuivait en parallèle une sorte d’ablation de la parole. Le silence opérait à vif, de longs membres de phrase étaient retranchés de mes discours journaliers. Certains, le regard inquiet, me dirent lorsqu’on croisait le fer d’une poignée de main, qu’on s’inquiétait de ma disparition. D’autres, qui en d’autres temps ou d’autres lieux et circonstances occuperaient avec fruit les emplois très recherchés de geôlier, s’en réjouissaient (dans mon esprit du moins, qui n’avait pas la clé) comme d’une évasion. Ils en avaient assez de ce drôle de numéro, fuyant, impossible à retenir, ce prisonnier absent qui les obsédait comme la conscience d’un travail mal fait.
Pourtant je n’étais pas inconscient des transformations qui s’opéraient en moi. Mon «démeublement», comme j’appelai alors l’épisode, dramatique pour ma mémoire, qu’il habite pour toujours, quoi que je fasse pour l’en déloger, de la séparation violente d’avec un logement qui avait vu naître et évoluer le plus doux des amours au cours d’une des périodes les plus heureuses de mon existence, coïncidait, je le sentais comme l’arbre doit sentir la sève monter vers ses branches, avec l’arrivée d’une nouvelle saison pour mes émotions, pour mes réflexes, pour mes idées et mes sens, une installation dans l’inconstance, un aménagement dans l’instable en vue duquel commençait à me préparer cet exubérant remembrement.
Enfin, ne pouvant ignorer plus longtemps que, parce que j’étais moins complètement sorti d’un cadre de vie disparu que plus imparfaitement entré dans une situation ouverte à tous les vents, cette démultiplication de mes bras et jambes était le bourgeon annonçant une grande explosion florale dont le pire était à craindre, dans un pays où les fleurs rares attirent autant les regards qu’elles enivrent les insectes, je décidai, à peine entré dans cette avant-saison trop fertile en soubresauts, de retourner vers l’hiver en me repliant un temps sur le froid. Ce bond en arrière dans les saisons, technique bien connue des exportateurs de fruits exotiques, mangues et autres bananes, me donnerait le temps de différer mon éclosion, ou tout au moins d’en cultiver les conséquences. J’étais sur le chemin de la survie et de l’anéantissement, mais ce n’était plus le sentier étroit de la guerre. »
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Quand je lis cette diarrhée tessonique (-nesque? née?..), je repense avec nostalgie à deux très grands films, si beaux dans leur pureté et leur simplicité:
« Derzou Ouzala » et « la balade de Jeremiah Johnson »
Dirigés par deux maîtres du 8eme art, des chefs d’oeuvre.
http://www.citizenpoulpe.com/jeremiah-johnson-sydney-pollack/
http://eastasia.fr/critiques/dersou-ouzala-de-kurosawa-akira-dvd/
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Citation de Victor Segalen :
— [… ]L’Empereur interroge le Solitaire : a-t-il reçu dans sa caverne la visite des trente-six mille Esprits?
— […] Le Solitaire n’aime pas les visiteurs importuns.
— […] L’Empereur implore le Sage […]: quelque chose pour le bien des hommes!
— Le Sage dit : Étant sage, je ne me suis jamais occupé des hommes.
http://www.steles.net/page.php?p=15
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