Prodiges de l’hiver

Ce qui est merveilleux pendant l’hiver, c’est la mise à nu de tout ce que la végétation recouvre en temps ordinaire.

Comme les Cévennes sont, selon l’expression de l’historien Patrick Cabanel, un « paysage-monument », ce que l’hiver découvre, ce sont toutes les constructions en pierres sèches qui structurent le paysage.

Depuis la terrasse où j’habite, je lève les yeux et vois un véritable chaos de pierre et de roche, du gris recouvert de mousse aux mille nuances de vert. Ces pierres entassées les unes sur les autres, il faut apprendre à lire leur lignes, à regrouper leurs ensembles, à parcourir mentalement leur logique et leur ordonnancement. Loin d’être un chaos, cet amoncellement de pierres est une série de constructions de terrasses, d’escaliers, de créations adossées à la montagne.

L’hiver, donc, révèle rien moins que l’essence des Cévennes. Depuis des siècles, les Cévenols ont cassé la montagne pour aménager des terrasses cultivables, si bien que l’ensemble de ces vallées sont une immense sculpture, mêlant murets, mas, glacières, gourgues, bassins d’eau, canalisations et abris de toutes sortes. Vivre ici, c’est apprendre à saisir ces nuances et les histoires qui vont avec.

Hier, par exemple, j’ai découvert un nouveau chemin, et un escalier vieux de cent ans sur le terrain de mon frère, qui permet de joindre plus directement une terrasse en friche et la calade qui mène au Puech Sigal. Cette découverte m’a causé une joie comparable à la lecture d’une œuvre littéraire vraiment originale : sensation de nouveauté radicale, enrichissement du quotidien et en même temps, impression bizarre de proximité.

Aujourd’hui, c’est un chemin extérieur au terrain que j’ai découvert, avec l’aide de mon frère qui n’était pas surpris. Lui savait que l’hiver nettoyait la forêt et faisait apparaître les anciens chemins et les constructions abandonnées. Ce chemin m’a enchanté. Il longe la côte en face du terrain, traversant la forêt qui paraît d’habitude impénétrable. On l’emprunte depuis la calade au bord du cours d’eau qui délimite le terrain, puis il longe le flanc jusqu’à un gros rocher que les anciens n’ont pas explosé.

Je ne comprends pas, et demande à mon frère : « A quoi sert ce chemin s’il ne mène nulle part ? » Il sert à accéder à la forêt, car si elle paraît inculte, c’est que nous ne savons pas lire ce pays. La promenade est parsemée de toutes petites terrasses circulaires qui devaient porter, autrefois, de gros châtaigniers. Des dizaines de petits îlots en pierre recouverts de mousse. Cette forêt étaient entièrement nettoyée naguère, et tout ce qui y poussait était utile aux populations locales.

Derrière le rocher où se termine le chemin, on descend en pente douce jusqu’à la route, où la voiture est garée. C’est donc un sentier qui ne quitte pas des yeux le terrain, qui le redouble.

Un tel chemin, aussi clairement défini, alors que personne ne l’emprunte plus jamais, est un prodige à mes yeux, un  prodige de l’hiver.

 

3 commentaires sur “Prodiges de l’hiver

  1. je viens de tomber sur votre blog par hasard et ai lu d’un trait l’année écoulée. votre écriture est très agréable et votre sujet me correspond tout à fait. je possède moi aussi un petit mazet dans les Cévennes, dans lequel j’ai pris mes habitudes depuis une quinzaine d’année. J’y étais installer de façon très précaire jusqu’à je puisse le racheter en 2008. Depuis je l’ai aménager pour le rendre un minimum  » habitable », mais sans en rajouter. J’amène l’eau depuis un ruisseau à 1 kilomètre, et bien sur je n’ai pas d’électricité à ma grande satisfaction. Cela me permet de jouir comme vous du spectacle troublant de l’éclairage des bougies. J’adore. Mais le plus troublant c’est que dernièrement j’ai acheté un bout de terrain contigu au mien sur lequel se trouve un petit cabanon en pierre identique au votre. Pour tout vous dire j’ai même arrêté le boulot au mois d’août avec la folle idée de passer plus de temps dans ma cabane. Ce n’est certainement pas la seule raison pour laquelle je ne suis plus cadre sup de la fonction publique, mais ça a joué fortement. J’ai tellement eu dans cet endroit des moments d’intense bonheur, simples, que je suis devenu complètement accro. Avec ce que cela peut avoir d’effrayant. Enfin une longue histoire….d’envie et de culpabilité.
    Mais bref je vais me lancer à nouveau et avec quel plaisir dans le « rebricolage » de ce modeste édifice. J’ai passé ce dernier mois à l’extraire de la forêt qui l’avait envahi, il me reste quelques très gros pins à couper.Ils pourraient menacer de tomber sur la cabane, ils sont très grands et me font un peu peur.
    Mais je m’égare, je vous remercie de ce moment de lecture plein de plaisir je vous suivrai attentivement et vous souhaite une bonne continuation.

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