Mon ami ornithologue me parle des chasseurs.
Curieusement, il n’y a pas de haine ni d’animosité dans sa voix. Pourtant, ce sont eux, surtout, qui perturbent les aigles et leur nidification. D’ailleurs, autrefois, les aigles auraient été des oiseaux de plaine ; ce n’est que repoussés par des persécutions diverses qu’ils ont dû trouver refuge dans des endroits plus escarpés, plus difficiles d’accès pour l’homme. D’où l’association que nous avons coutume de faire entre l’aigle et les cimes.
Mais Gérard refuse de mépriser les chasseurs. « Ils sont là, c’est avec eux qu’il faut négocier, c’est tout, il faut les prendre tels qu’ils sont ». Ce que j’entends, sous les paroles explicites de l’ornithologue, c’est que les chasseurs partagent avec les protecteurs des oiseaux peut-être davantage qu’ils n’oseraient eux-mêmes se l’avouer. Ils savent quelles espèces sont protégées, et usent de mille ruses pour contourner plus ou moins les lois de protection, ce qui signifie que les chasseurs sont, après les ornithologues, et loin devant les élus et électeurs d’EELV, les meilleurs connaisseurs du monde des oiseaux.
Arrêt sur un col, j’ai oublié lequel. On voit le Ranc de Banes au loin. C’est joli, comme nom, « Ranc de Banes ». Gérard entend le chant d’un piaf dont j’ai oublié le nom. Il sort l’ouvrage de référence sur les oiseaux, écrit par des anglo-saxons et publié en Suisse. Les Anglais sont paraît-il très forts, en oiseaux. Gérard regrette que les Français soient plus prompts à s’inscrire dans des sociétés de chasse plutôt que dans des associations de protection des oiseaux.
Il explique ce phénomène par l’histoire. L’importance de la chasse remonte à la révolution française, quand la chasse fut soudain démocratisée, et que le privilège de chasser sur les terres d’un seigneur se transforma en droit populaire. Depuis, c’est un sport et une activité populaire et « revendiquée comme telle ». Cela explique qu’en Angleterre le rapport chasseurs/ornithologues soit inverse : il y a outre Manche bien moins de chasseurs, car la chasse est restée un privilège de classe (la chasse à cour, la chasse au loup, la chasse au renard), et les associations de protection des oiseaux comptent trois fois plus d’inscrits que leurs homologues françaises.
Cela donne une nouvelle image des chasseurs français, incidemment. Loin d’être de simples viandards, ils me paraissent soudain les dignes descendants des sans culottes, bougonnant et faisant un sort aux privilèges et les conservatismes de la ploutocratie.
Arrivés au col de l’Asclier, devinez à quel endroit exact nous nous installons, et posons le trépied du télescope ? (ce n’est pas pour me vanter, mais quand je pars sur le terrain avec mes amis ornithologues, nous emportons un télescope.)
Réponse : derrière une haie de genêts séchés, qui forment une espèce de cachette. Ces haies sont construites par les chasseurs qui se postent là quand ils tirent la « palombe » (Gérard dit « pigeon ramier »). Donc, comme par hasard, ornithologues et chasseurs partagent les mêmes postes et les mêmes constructions.
Une même passion et de similaires attentes. Un même art de la patience.
Un même oeil acéré et, comme dit le philosophe, un même « devenir animal ».
Le tout est d’avoir un ornithoscope !
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