Sylvain Tesson et la « fièvre de la cabane »

Le sage précaire, Cévennes, 2012. Photo Hubert Thouroude

Quand Sylvain Tesson raconte son aventure en Sibérie au journal anglais The Guardian, il dit que vivre dans la nature vous condamne à un état proche de la dépression. Il emploie pour ce faire une expression idiomatique anglaise, « cabin fever ».

The Guardian, 13 mai 2013.

C’est profondément inexact. J’ai vécu en cabane pendant plus d’un an et je peux le certifier. Personne ne tombe dans un état de dépression et il n’existe pas de « fièvre de la cabane ». La différence de perceptions entre nous provient d’une simple variable : la classe sociale.

L’écrivain à succès parle de cette manière car il n’a passé qu’une saison dans une jolie petite hutte construite par un géologue au bord du célèbre lac Baikal. Comme moi, il avait eu peur de s’ennuyer, peur d’avoir peur et peur des bêtes sauvages, mais comme c’est un homme riche il avait emporté avec lui beaucoup de nourriture, beaucoup de livres, beaucoup d’alcool et beaucoup de tabac. Un camion l’avait conduit et avait transporté ses grosses cantines de provisions.

Dans ces conditions, en effet, quand vous êtes seul et que vous avez des réserves de vodka, que le bois sec est là qui vous attend, vous pouvez être tenté de boire comme un trou et de vous laisser vivre. Dans le même journal anglais, Tesson explique que ses journées étaient divisées en deux parties : le matin il faisait des « choses spirituelles », comme lire, fumer et rester au lit ; l’après-midi était consacré à des activités physiques comme marcher en raquettes, creuser des trous, escalader des rochers.

Cela est très éloigné de la vie que j’ai vécue en cabane. L’hiver venu, il faisait trop froid pour goberger toute la matinée. Pardonnez mon arrogance, mais moi, je ne suis pas un parisien sponsorisé par des marques de sport ; quand je vis dans la montagne, personne n’a préparé du bois de chauffage à l’avance pour moi. Je ramasse des branches dans la forêt pour ma consommation personnelle.

Quand je me réveillais, par conséquent, je ne traînais pas au lit : je me levais pour scier du bois, le fendre, et faire du feu. Rien de tel que cette activité matinale pour réchauffer son corps et le réveiller. Tranquillement, l’eau de la source chauffait dans sa casserole posée sur mon poêle. Quel bonheur terrestre, une heure après le réveil, de boire son café noir au soleil froid de janvier.

À ce rythme-là, croyez-vous vraiment que beaucoup de gens se laisseraient aller à la « fièvre de la cabane » ?

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