La littérature de voyage peut être une belle exploration des relations que l’écriture entretient avec la géographie, les territoires, les lieux. Mais pour cela, elle doit éviter le piège de se croire plus proche du monde, plus vivante, plus authentique que les autres. Elle doit aussi éviter de mépriser les formes d’écritures délibérément littéraires. C’est ce mépris et cette méprise qu’incarne le fondateur du festival « Étonnants voyageurs », feu Michel le Bris.
J’ai beaucoup critiqué Michel Le Bris et ses divers manifestes littéraires. Celui qui a le plus concentré mes attaques étaient Pour une littérature voyageuse (1992) qui affirmait que la littérature avant lui se mourait de trop de narcissisme, de formalisme creux, et de ce qu’il appelait une « mise entre parenthèses du monde ».
Les écrivains non voyageurs auraient étouffé la littérature à force de tourner le dos au monde. Il fallait une littérature qui « dise le monde », qui renoue avec le sens de l’aventure, avec la route et la poussière, enfin vous avez compris. Les idées de Le Bris était un grand n’importe quoi conçu pour faire parler les journalistes. Il a réussi son coup, les journalistes en ont beaucoup parlé.
Cela a fait beaucoup de mal à la littérature de voyage car c’était une manière de l’enfermer dans des stéréotypes de récit héroïque, de vrais héros à la con, de voyageurs qui cherchent à se distinguer, se démarquer du commun des mortels. Cela est délétère en soi, mais en plus, cette logorrhée a eu pour effet de faire le lit à des auteurs comme Sylvain Tesson, Sarah Marquis et autres époux Poussin, qui incarnent la génération suivante des « étonnants voyageurs » chers à Michel le Bris.
Alors voici ce que dit Franz Kafka à propos du monde et de l’écrivain. Kafka qui voyageait un peu, qui vivait comme un fonctionnaire névrosé, solitaire et amoureux.
Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peu faire autrement, extasié, il se tordra devant toi.
Kafka, Méditations sur le péché, la souffrance, l’espoir et le vrai chemin
Kafka nous a plus inspirés, nous les auteurs géographiques d’aujourd’hui, que tous les livres de ces « étonnants voyageurs » qui se donnent des airs d’explorateurs.
Cette idée de tout voir en restant chez soi me rappelle les penseurs taoïstes.
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