
Ceux qui nous connaissent superficiellement peuvent croire que mon épouse et moi formons un couple mal assorti et beaucoup ne donnait pas cher de notre union quand nous nous fréquentions en 2016. Il est vrai que beaucoup de choses nous séparent :
Elle est jeune, je suis vieux. Elle est douce, je suis dur. Elle est diplomate, je suis provocateur. Elle voile ses cheveux, j’exhibe ma calvitie. Elle sourit aux emmerdeurs, je fonce dans les murs. Elle est africaine, je suis européen. Elle est polyglotte, je suis unilingue. Elle est belle, je suis vilain. Elle sent bon, je sens mauvais. Elle chante faux, je chante juste.
Pourtant, à un niveau plus profond, ce qui nous unit est plus important que ce qui nous distingue. Pour comprendre cela il faut savoir regarder dans la structure des choses. La réalité concrète et matérielle fait de nous des êtres beaucoup plus proches qu’il n’y paraît.
Structure familiale
Nos familles sont considérées comme nombreuses. Nos parents sont plus ou moins ensemble, malgré des séparations, jusqu’à la mort.
Nous sommes avant-derniers dans la fratrie. Nous sommes les petits, qu’on n’écoute pas, mais il y a quelqu’un d’encore plus petit que nous parmi nos frères et sœurs. Cela determine beaucoup de choses dans notre façon d’appréhender la vie.
Nos frères aînés ont beaucoup compté dans notre éducation, et ont été protecteurs plus que tyranniques. Nous n’avons jamais eu peur de nos frères aînés, nous sommes donc entrés dans la vie adulte avec confiance et légèreté.
Incidemment, je suis plus âgé qu’elle, c’est vrai, mais j’ai l’âge de son frère aîné, non de son père, ce qui fat que dans ses représentations mentales, j’appartiens à la génération de sa fratrie non à celle de ses parents. Ceux qui disent : elle cherche un père ne comprennent pas les logiques de structures.
Structure économique et sociale
Nous percevions notre famille comme un peu plus pauvre que la majorité de la population nationale.
Ni elle ni moi ne faisions des courses pour acheter des vêtements. Pendant toute notre enfance et notre adolescence, nous avons porté les vêtements de nos frères et soeurs devenus trop petits pour eux.
Sur ce dernier point, la seule différence est que mon épouse prenait les habits de ses soeurs et les customisait : elle cousait, assemblait, rapiéçait, réinventait. Elle créait sa garde robe quand moi, je prenais les jeans et les pulls de mes frères sans rien changer.
Paradoxalement, cela a fait de moi un homme hostile au shopping et d’elle une lécheuse de vitrines. Mais dans les deux cas, nous apprécions les lieux de vente d’occasion, les entrepôts d’Emmaüs, la Ressourcerie du Vigan, les recyclerie. Nous meublons nos intérieurs avec des matériaux de récupération car nous avons toujours vécu comme cela.
Dans les deux cas, aussi, nous aimons acheter des vêtements de grande qualité, non seulement pour la frime mais poussés par un sens relativement proche de la dignité et de l’élégance.
Sagesse dans la précarité
Nous nous percevions comme pauvres, certes, mais nous ne souffrions pas de cette pauvreté. Nous n’avons jamais eu honte de notre famille ni de notre situation sociale. Devenus adultes, cela fait de nous des actifs qui peuvent passer d’emplois grassement payés à des périodes de chômage sans dépression. Nous pouvons ressentir une anxiété économique, due à l’incertitude et à la dureté du monde de l’emploi, mais nous savons profiter de ce que nous avons et nous déclarer chanceux d’avoir un toit et des choses délicieuses à manger.
Travail manuel et intellectuel
Dans notre enfance, ma femme et moi étions exposés au travail manuel. Nos pères étaient soit ouvriers soit artisans. Par ailleurs nos pères n’étaient pas d’excellents manuels, ni de super bricoleurs. Ni l’un ni l’autre n’aurait été capable de bâtir une maison tout seul.
Dans sa famille comme dans ma famille, il y avait cependant un respect pour la culture livresque. La musique, la poésie, la danse, la religion, la lecture, tout cela a une place dans nos vie depuis l’enfance. Abandonner l’école est chose fréquente chez nous, et il n’y a aucune honte à cela. Elle et moi, en revanche, avons poursuivi des études jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on nous foute dehors.
Cela nous amène à organiser nos journées de manière à la fois intellectuelle et manuelle : du bricolage, de la recherche, du jardinage, des cours de philosophie. Nos tâches ménagères sont le lieu d’engueulades comme dans tous les couples, mais nos vacances sont remplis de travaux de clercs paysans : corriger des dissertations, réparer des éviers bouchés, écouter des poètes arabes.
Hier, par exemple, nous sommes allés ensemble à la déchèterie et j’ai écrit sur l’écrivain suisse Nicolas Bouvier. J’ai installé des appliques sur un mur et j’ai écouté des podcast en anglais sur la traduction littéraire. J’ai rempoté des plants de tomate et j’ai envoyé un mail à un chercheur irlandais à propos d’un article que je suis en train d’écrire. Pendant ce temps, elle travaillait sa thèse et elle refaisait le système électrique des vieilles appliques. Elle lisait et bricolait un vieux miroir acheté sur Le Bon Coin.
Notre couple n’est pas plus solide ni plus harmonieux qu’un autre. Je ne parle pas de cela. Je dis seulement que les points communs qu’on croit avoir ne se trouvent pas où l’on croit.
« un couple mal assorti et beaucoup ne donnait pas cher de notre union … »
ne donnaient pas cher (beaucoup), me semble-t-il. Ceci dit, la question de l’accord, du singulier et/ou du pluriel est primordiale dans un couple.
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« nos vacances sont remplis de travaux »
remplies, les vacances. Encore un désaccord!
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Un mot écrit en 1979 pour une compagne avec qui, aujourd’hui encore, je partages les saisons et le quotidien :
(nous sommes les aînés de nos fratries respectives)
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Magnifique rondeau Dr Cochonfucius.
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