Dans les films et les séries, on voit des classes de lycée où des filles sont voilées, et on s’étonne après cela que les jeunes Français soient défavorables en majorité à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Ils ne voient tout simplement pas où est le problème.
Chez nos voisins et partenaires, personne ne comprend la France et personne surtout ne pense que la France est efficace sur le plan du fondamentalisme religieux.
Les pays anglophones et scandinaves, pour ne parler que d’eux, sont pragmatiques. Ils apprécient une situation et ils agissent en conséquence de ce qu’ils observent. Ils acceptent les signes ostensibles d’appartenance religieuse car il a été prouvé que cela ne provoquait aucune tension. Par ailleurs, ils prennent au sérieux les crimes, les violences et les attentats. Ils traitent cette question avec pragmatisme aussi. Ils ne sont pas naïfs, ils ont des espions partout, ils renseignent, ils contrôlent, ils préviennent les passages à l’acte.
Ce que les Français doivent comprendre, simplement, c’est que nos partenaires distinguent les questions religieuses et les questions de sécurité. Une mosquée, pour eux, n’est pas un nid de fanatiques. C’est juste un lieu de prière. Quand ils cherchent une bombe ou un malfaiteur, ils ne sont pas distraits par des collégiennes qui portent un turban sur la tête et des manuels de sciences dans leur sac-à-dos.
D’expérience, ils savent que ce n’est pas dans les mosquées que les jeunes se recrutent pour aller au Jihad. Ils évaluent l’expérience française d’interdiction au nom de la laïcité, et ils décident de ne pas suivre notre modèle.
Si je pouvais me permettre de provoquer un peu, je dirais d’abord que la loi en question n’est qu’une nouvelle version dune loi de 1937 qui interdisait déjà l’affichage dune appartenance religieuse à l’école, sur la base de quoi le proviseur du collège de Creil avait pu refuser la présence de ces voiles en classe en 1989. Donc la méfiance française vis-à-vis des signes d’appartenance religieuse ostensibles en contexte scolaire n’est pas nouvelle et elle n’est pas orientée directement contre l’islam, elle fait partie dune tradition plus ou moins anticléricale ou républicaine, comme on veut. L’école est considérée comme un endroit à part, séparé, comme la caserne, la prison ou l’hôpital, avec des règles propres.
Par ailleurs, il faudrait pouvoir distinguer les voiles. Il y a des voiles qui sont tout à fait inoffensifs, et il y a des voiles qui à mon avis ne peuvent pas être acceptés. Un signe prend son sens dans son contexte, quelle que soit l’intention plus ou moins acceptable des jeunes filles. Une fille peut bien vouloir aller à l’école en burka ou en tchador pour plaire aux petits caïds de sa classe ou pour faire comme sa maman, ça n’empêche que le signe burka prend sens dans un contexte où il y a l’Afghanistan, où d’autres filles meurent en Iran parce quelle n’ont pas mis leur voile, etc… et c’est un signe qui exprime quelque chose de précis. Ce n’est pas un problème de sécurité, c’est un problème culturel. Personne n’imagine que toutes les filles qui veulent porter un voile en classe sont des terroristes. Par contre, on n’est peut-être pas obligé d’accepter des burkas ou des burkinis ou ce genre de tenues vestimentaires même si les filles qui les utilisent (ou les profs qui les acceptent en classe) ne se rendent pas vraiment compte de ce qu’elles signifient.
Enfin, les jeunes filles en question sont mineures. De même que les relations sexuelles entre une fille mineure et un adulte sont considérées comme un viol, même si elle en a envie et si elle ne voit pas où est le problème, parce qu’il pourrait y avoir une pression de l’adulte, surtout si il a une autorité sur elle, de la même manière, il pourrait y avoir une pression sur des filles pour qu’elles se voilent et, même si elles en ont envie et même si elle ne voient pas où est le problème, la loi les empêche de venir à l’école avec. Or on ne peut pas non plus nier que le port du voile est souvent sinon par définition lié à un système coercitif.
Personnellement, je pense qu’il faudrait pouvoir distinguer les différents types de voile, comme on distingue les différents types de short à l’entrée d’un collège. Si ton short est à peine plus grand que ton string, on va peut-être te demander d’aller te rhabiller chez toi, mon cher Guillaume.
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Merci Ben pour cette référence à la loi de 1937. Je ne connaissais pas, je vais aller vérifier. C’est un vrai argument juridique, massif.
Pour le reste, on entend les mêmes arguments qui ne convainquent plus que les gens déjà convaincus. Quand on commence à parler de « système coercitif » que l’on ne pourrait pas « nier », je ne peux pas entrer dans ce genre de discussion.
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J’ai entendu parler d’un décret loi de 1937, mais je ne l’ai pas retrouvé. Il y a 3 circulaires de Jean Zay, ministre de l’éducation nationale du Front populaire, qui datent de 1936 et 1937.
Elles visent d’abord l’interdiction de signes politiques à l’école : « Je vous prie d’inviter les chefs d’établissements secondaires à veiller à ce que soient respectées les instructions interdisant tout port d’insignes. (…) Vous voudrez bien considérer comme un signe politique tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire. L’ordre et la paix doivent être maintenus à l’intérieur des établissements scolaires, mais en même temps vous veillerez à ce que les chefs d’établissements évitent les incidents et les éclats et que l’on procède, dans toute la mesure possible, par la persuasion plutôt que par la contrainte.» (1er juillet 1936)
Principe de « sanctuarisation » de l’école : « Tout a été fait dans ces dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas. » (15 décembre 1936)
Une 3e circulaire étend les mêmes prescriptions au prosélytisme religieux : «Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’attention de l’administration et des chefs d’établissements sur la nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les degrés à l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements, je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance.» (15 mai 1937).
La référence à Jean Zay se trouve dans l’introduction du vade-mecum sur la laïcité de notre ami Jean-Michel Blanquer. Je peux te l’envoyer si tu veux 🙂
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Avec plaisir Ben.
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