Proust für alle : comment le volume réputé le plus ennuyeux de la Recherche se révèle le plus drôle

J’ai trouvé un livre de Marcel Proust en français dans une boutique de livres d’occasion au centre historique de Munich. 4 euros pour Le Côté de Guermantes II. Le livre de poche (collection Folio) n’a pas été touché par des mains humaines.

Ce tome de La Recherche du temps perdu, je l’ai lu en 1997, lors d’une randonnée solitaire que je m’étais offerte après avoir travaillé à la Biennale d’art contemporain de Lyon. J’avais besoin de solitude, de nature et de temps. Pour m’accompagner dans ce parcours de Millau à Conques, j’avais emporté Proust car je lisais un volume de la Recherche chaque année.

C’est le tome réputé le plus ennuyeux de la Recherche, car il ne s’y passe pas grand chose. La fin de vie de la grand-mère (30 pages), un dîner chez les Guermantes (250 pages), une visite chez le Baron de Charlus (15 pages). Aux yeux du sage précaire, c’est l’un des meilleurs volumes car Proust s’en donne à cœur joie avec les métaphores délirantes et les analyses sociolinguistiques. Les manières de parler sont détaillées avec un scrupule hilarant. Voir par exemple la lettre d’un valet de pied que le narrateur lit sans qu’elle lui soit adressée. Un chef d’œuvre comique, un vrai sketch.

Cher ami, il faut te dire que ma principale occupation, de ton étonnement j’en suis certain, est maintenant la poésie que j’aime avec délices, car il faut bien passé le temps.

Proust, Guermantes II

Fort de cette passion dévorante pour la poésie, le valet parsème sa lettre de formules pompeuses glanées dans des recueils de poème. Le sage précaire rit de bon cœur, non parce qu’il se sent supérieur à l’auteur de la lettre, mais parce qu’il s’y reconnaît. Moi aussi, toute ma vie et sur ce blog comme ailleurs, j’ai essayé de m’exprimer en respectant le bon usage et la grammaire, en offrant aux lecteurs des milliers de coquilles qui sont autant de trébuchements de l’esprit… ça se dit, ça, « trébuchement » ?

Dans la même lettre, le valet annonce un décès dans la haute société qui l’emploie, et tâche d’élever son langage à la hauteur de l’événement. Pour ce faire, il se réfugie dans un poncif, ce qui est comique pour ceux qui tentent d’écrire sans clichés. Puis sans transition il passe à la narration de plaisirs triviaux, parce que la vitalité et le bonheur de vivre prend toujours le dessus chez certains individus un peu grossiers. Et là encore, je me reconnais dans cette personnalité du valet, qui veut bien pleurer aux enterrements mais qui ne perdra jamais le goût d’une course de motocyclette :

On a mis plus de deux heures pour aller au cimetière, ce qui vous fera bien ouvrir de grands yeux dans votre village car on nan fera certainement pas autant pour la mère Michu. Aussi ma vie ne sera plus qu’un long sanglot. Je m’amuse énormément à la motocyclette dont j’ai appris dernièrement.

Proust, Guermantes II

Conquérir le registre soutenu de la langue française est un combat qui peut prendre une vie. Pour moi, c’est un combat et un objectif que je n’ai jamais perdus de vue. Les bons auteurs savent mettre en scène cette bataille pour conquérir les codes de conduite et les registres de langue. Proust prend autant de plaisir à traquer les faiblesses des gens de la haute que les inflexions des gens du peuple. De ce fait Proust est vraiment un écrivain pour tous.

Le sage précaire ne partage rien avec l’homme Marcel Proust, et la Recherche ne parle que de choses qui ne m’intéressent pas, mais c’est avec ce contenu exotique qu’il parle à tout le monde.

3 commentaires sur “Proust für alle : comment le volume réputé le plus ennuyeux de la Recherche se révèle le plus drôle

  1. Bonjour Guillaume.

    « Cher ami, il faut te dire que ma principale occupation, de ton étonnement j’en suis certain, est maintenant la poésie que j’aime avec délices, car il faut bien passé le temps.
    Proust, Guermantes II ».

    Est-ce une tournure de phrase particulière qui m’échappe, ou bien, plus étrange, une faute d’orthographe en ce qui concerne le verbe « passer », ce qui me serait étrange pour un texte de Proust (faute de l’éditeur évidemment) ?

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