Cette émission de débat est intéressante en ce qu’elle dissimule. Les quatre intervenants expliquent ce qu’est la culture de l’effacement (cancel culture en anglais) sans jamais dire que ce terme est lui-même connoté et problématique.
En effet, ceux qui veulent renommer les rues du maréchal Pétain, ou les rues Adolf Hitler, déboulonner les statues de Lénine ou de Staline, retirer de la vente les pamphlets antisémites de Céline, ne cherchent pas à « effacer » la mémoire de ces personnalités. D’ailleurs personne ne songe à parler de cancel culture à leur propos.
On en parle depuis quelques années parce que ceux qui veulent déboulonner ne paraissent pas légitimes aux yeux des dominants. Ôter les nazis et les antisémites de nos villes, c’est normal, mais protester contre les colonialistes, les esclavagistes et les racistes, franchement, les maîtres trouvent cela exagéré. Alors on invente des mots incriminants : culture de l’effacement, nouvelle dictature de l’esprit, terrorisme intellectuel. Domination des minorités agissantes qui « nous » imposent leur vision et leur valeur…
Il n’y a pas de culture de l’effacement, ce terme a été inventé par des privilégiés qui cherchaient à décrédibiliser les simples citoyens qui voulaient faire entendre leur voix. Alors on les traite de « puritains », de « racistes », de « dictateurs », on leur prête une volonté d’interdire, de proscrire, d’annuler des oeuvres (« cancel » se traduit aussi par « annuler » !), comme si des minorités pouvaient imposer quoi que ce soit à un système médiatique verrouillé par de richissimes hommes d’affaires.
En réalité, quand on s’attaque à des statues d’esclavagistes, c’est pour éviter de célébrer des grands hommes comme s’ils n’avaient rien fait de mal. Quand on critique une star de cinéma accusée de viols et d’agressions, c’est pour ne pas oublier les nombreuses victimes qui ne sont pas écoutées, et qui finissent, chaque année, par mourir sous les coups de leur compagnon. Mais la mémoire n’est en aucun cas « annihilée ». Les films dans lesquels joue Gérard Depardieu seront toujours diffusés et aimés. En revanche les films les plus choquants peuvent être mis hors de portée des publics fragiles. Il s’agit seulement de retirer de l’espace public les signes ostensibles de célébration de certaines personnes, quand il a été avéré qu’elles ont participé à opprimer, à dégrader des gens qui furent méprisés dans nos sociétés.
Juifs, noirs, femmes, homosexuels, ouvriers, insurgés, beaucoup de gens furent persécutés de manière brutale et injuste, et quand ils prennent la parole, ils affirment ne pas supporter qu’on célèbre tranquillement ceux qui ont écrasé leurs ancêtres ou agressé les gens de leur espèce. Qu’y a-t-il de révoltant à cela ?
Cela ne les efface absolument pas. Nous continuons de lire Céline, et même ses pamphlets grâce aux prêts bibliothécaires. Nous continuons d’étudier l’histoire. Les statues déboulonnées ont toujours leur place, comme le dit un manifestant dans l’émission que je mets en ligne : leur place est dans les musées. L’expression « culture de l’effacement » est un donc mensonge. Ceux qui l’emploient sont soit menteurs, soit manipulés par des menteurs..
J’ai pas eu le temps d’écouter toute l’émission, mais dans le cas de Depardieu, j’ai l’impression qu’il y a deux choses différentes mais jointes : d’un côté les actes reprochés à l’homme Depardieu, s’il a violé ou pas, et si on accepte ses propos sur les filles à cheval… Bref. Il y a une loi et elle s’applique. Mais en plus il y a aussi le Depardieu des valseuses par exemple, un film dans lequel il y a 2 ou 3 agressions sexuelles caractérisées, qu’est-ce qu’on fait d’un film comme ça ? Est-ce qu’on le censure ? Le renvoyer dans les oubliettes de l’histoire ? Et après est-ce qu’on va aussi mettre une sorte de tabou sur toutes les oeuvres qui contiennent des éléments inappropriés ? La solution muséale ça ressemble aussi à une mise à l’écart dans un espace neutralisé, en-dehors du commun. Je veux dire, sans parler d’Hitler ou de Staline, des œuvres problématiques comme les valseuses, ou des gens comme Colbert, Lénine, Adolphe Thiers, Jules Ferry… font partie de notre histoire, les mettre à l’écart c’est cacher pudiquement quelque chose qui fait partie de nous, qui est cause de ce que nous sommes. Moi je n’aime pas tellement cette espèce de règne de la pudeur et de la sensibilité obligatoires, j’ai l’impression que c’est une forme de puritanisme malsain dont on avait réussi à se débarrasser avec mai 68.
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Mettre au musée, c’est mettre à l’écart, oui, et c’est souhaitable dans bien des cas. Les Valseuses est un film mis à l’écart depuis longtemps. Déjà les étudiants des années 2000 exprimaient leur dégoût ou leur gêne. Moi-même qui était à peine né à sa sortie, je suis passé par différentes phases. À la première vision, je voyais un film drôle et déjanté, plein de liberté. La deuxième fois, j’étais gêné par la violence exercée par les deux héros. La troisième fois, j’ai interrompu le visionnage car ça ne me faisait plus rire du tout.
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Ce qu’il y a de bien avec l’intelligence artificielle c’est qu’il est désormais beaucoup plus simple qu’au temps de l’Abbé Bethleem d’établir des listes d’oeuvres à proscrire, et on peut le faire pour le monde entier. Et ce qu’il y a d’encore mieux c’est qu’on devrait pouvoir aussi s’en remettre à elle pour composer des oeuvres ne risquant plus de choquer personne, nulle part.
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Je ne crois pas à la cancel culture. Je pense que le terme a été inventé par des dominants qui ne veulent pas voir disparaitre leurs privilèges. Ils trouvent normal qu’on rebaptise des rues Hitler parce que le nazisme leur est devenu odieux après-guerre, mais ils trouvent ridicule qu’on s’élève contre des caricatures de peuples dominés, ou des histoires de filles agressées. « Ben quoi, disent-ils comme un seul homme, on est des gaulois, on s’amuse, vous êtes vraiment des puritains qui veulent effacer notre culture, vous les wokistes. » Effacer, non, je ne vois pas d’effacement, mais une mise en musée et en bibliothèque d’un certain nombre de manifestations brutales de la domination des uns sur les autres.
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