Voici un ouvrage incroyable qui marie une intimité absolue avec la péninsule arabique et avec la culture européenne.

S’il y avait un seul livre à posséder pour explorer les représentations de l’Arabie, ce serait Visions from Abroad: Historical and Contemporary Representation of Arabia de Mona Khazindar. Cet ouvrage est, sans exagération, le meilleur que j’aie eu entre les mains sur ce sujet. Bien plus qu’une simple monographie, il s’agit d’un trésor documentaire et artistique, une véritable mine d’or pour quiconque s’intéresse à l’art, au voyage, à l’histoire, et à la manière dont l’Arabie a été perçue à travers les siècles.

L’Autrice : une autorité modeste et passionnée
Mona Khazindar, figure majeure des arts et musées arabes, si l’on se fie aux interviews publiées dans la presse, est aussi connue pour son travail à l’Institut du Monde Arabe à Paris, qu’elle a dirigé avant de rejoindre son Arabie Saoudite natale. Avec ce livre, elle démontre une approche rare et précieuse : elle se met au service de l’art et des artistes, sans chercher à imposer un discours politique ou à briller personnellement. Son écriture, modeste et élégante, soutient un travail de curatrice accompli, où chaque image et chaque document sont choisis avec une érudition et une précision remarquables.
Ce qui frappe le plus est justement la qualité des illustrations, et c’est ce qui fait de ce livre un manuel pour tout apprentis commissaire. Quand vous mettez en place une exposition, votre talent consiste à rechercher les œuvres adéquates puis à sélectionner celles qui feront l’identité de l’exposition. Commissaire, curateur comme on dit aujourd’hui, est un travail méconnu du grand public mais qui demande un œil et une intelligence limés à la fréquentation assidue des œuvres et des discours sur l’art. En lisant Visions from Abroad, on n’est pas surpris d’apprendre que Mona Khazindar a dirigé le département « art contemporain et photographie » de l’Institut du Monde Arabe, pendant des années. Le livre fonctionne comme une biennale d’art contemporain. Je retrouve là mes émotions de jeune homme quand j’animais les biennales de Lyon dans les années 1990.
Une structure éclairante et originale
Le livre est divisé en chapitres thématiques qui abordent des aspects variés de l’Arabie. Entre autres chapitres on trouve :
• The Gates of Arabia : Les portes d’entrée comme la ville de Djeddah, points de passage historique.
• The Center of the World : Une exploration de La Mecque, centre spirituel et géographique pour des millions de musulmans.
• Ship in the Dunes : Une réflexion sur les chameaux, surnommés les “vaisseaux des dunes” dans la langue arabe.
• Fortune in Fossils : Un chapitre fascinant sur le pétrole et son impact esthétique, culturel et économique.

Ces thèmes, parfois attendus, sont revisités avec une richesse visuelle et narrative qui évite tout cliché orientaliste. Khazindar transcende les oppositions simplistes (dominants/dominés, occidentaux/orientaux) qui saturent les études postcoloniales pour offrir une vision nuancée, où les représentations de l’Arabie sont autant le fait d’occidentaux que d’artistes arabes eux-mêmes.
Un Musée Imaginaire
Ce livre est un musée à lui seul. Cartes anciennes, photographies ethnographiques, œuvres d’art, cartes postales, archives documentaires, mais aussi photos de mode et créations contemporaines s’y mêlent dans un équilibre impressionnant. Chaque chapitre est une galerie d’exposition qui relance l’attention et l’intérêt. Cette richesse visuelle s’accompagne d’un texte précis qui éclaire sans jamais alourdir.

Une alternative aux héritages de l’orientalisme
Khazindar offre une alternative bienvenue au discours critique souvent stérile des études post-orientalistes. Elle ne se contente pas de dénoncer les erreurs ou biais des représentations passées ; elle documente, analyse et valorise une pluralité de perspectives sur l’Arabie. Le résultat est une véritable “bible” pour tous ceux qui travaillent sur les expositions, les musées ou les représentations culturelles du monde arabo-musulman.
Un Chef-d’œuvre pour chercheurs et amateurs d’art
Je n’ai qu’un regret : ne pas avoir découvert Visions from Abroad quand je faisais ma thèse sur la littérature de voyage. En particulier quand je travaillais sur les alternatives aux discours dominants sur la critique des voyageurs. Pour les chercheurs, les commissaires d’exposition, les amateurs d’art ou simplement les passionnés de l’Arabie, c’est une lecture incontournable. Avec ce livre, Mona Khazindar ne crée pas seulement un ouvrage de référence : elle ouvre une porte sur un monde visuel infini, à la fois historique et contemporain, qui continue d’enrichir notre compréhension de l’Arabie.
Merci beaucoup pour votre article, il m’a été très utile !
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Avec plaisir, Valentine Truchard. Il vous a été utile pour quelle tâche ?
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