Munich, le G20 et Philby

Harry Philby, dans sa tenue d’explorateur, près d’inscriptions archéologiques entre Yémen et Arabie Saoudite, 1936.

Ce matin-là, Munich accueillait le G20. Les rues de la ville, habituellement paisibles, étaient quadrillées par des forces de sécurité impressionnantes. Les dirigeants du monde entier se réunissaient pour discuter des grands enjeux planétaires : submersions migratoires de l’occident, liberté d’expression pour les suprématistes blancs, supériorité de l’Amérique. Pourtant, avant même que les discours ne commencent, un attentat à la voiture bélier venait rappeler que le monde est fragile, que la violence peut surgir à tout moment, et que les certitudes des puissants sont souvent éphémères.

Pendant ce temps, loin du tumulte médiatique et des barrières de sécurité, je me rendais à la Bayerische Staatsbibliothek (BSB), la bibliothèque d’État de Bavière. Mon objectif : plonger dans les récits de voyages de Harry St. John Philby, cet explorateur britannique qui a arpenté l’Arabie au début du XXe siècle, et dont j’avais commandé les éditions originales de 1922 et de 1952.

Philby, l’anti-héros méticuleux

Philby se désignant sobrement par « L’auteur », 1916.

Philby n’est pas Lawrence d’Arabie. Il n’a pas le panache romantique, ni la légende hollywoodienne. C’est un homme de terrain, un travailleur acharné, presque ennuyeux dans sa rigueur. Ses récits de voyages effectués dans les années 1915 et 1930 sont des modèles du genre : scrupuleux, respectueux des hommes et des réalités qu’il décrit. Il ne cherche pas à embellir, ni à dramatiser. Il observe, note, analyse.

Philby est le contraire exact de tous les voyageurs à la mode dont je tairai le nom car on en a trop parlé sur ce blog. Ces derniers se servent des territoires voyagés comme d’un écrin flou qui met en valeur leur corps, leur gueule, leur esprit plein de formules paradoxales qui ravissent les banquiers et les politiciens. Au contraire, on cherche Philby entre ces pages où les territoires sont précisément cartographiés, les bâtiments minutieusement observés, les us et coutumes respectés.

Ses photos, en particulier, m’ont frappé. Elles n’ont aucune prétention artistique. Ce sont des images documentaires, prises pour expliquer, pour témoigner. Et c’est précisément cette absence de fard qui les rend si puissantes. Chaque cliché est une fenêtre ouverte sur un monde disparu, un hommage à des visages et des paysages qui ont depuis été transformés par le temps, la guerre et la mondialisation.

Les yeux hallucinés du cheikh de Najran, 1936. Photo aujourd’hui reproduite dans les châteaux et les palais de Najran.

Une plongée dans un autre monde

En sortant de la BSB, j’étais sonné. Ces quelques heures passées avec les écrits et les photos de Philby m’avaient transporté dans une autre époque, un autre état d’esprit. J’avais l’impression d’avoir traversé un désert, d’avoir marché aux côtés d’un homme qui, malgré les préjugés de son temps, avait su voir dans les Arabes des êtres d’avenir, dépositaires d’un passé complexe et mystérieux.

Photo de famille avec « Ibn Saud himself », roi d’Arabie et fondateur devenu mythique du royaume. Philby était en adoration devant lui. 1915.

Pour Philby, l’Arabie n’était pas (seulement) une terre à conquérir, mais (surtout) une civilisation à comprendre. Il avait appris l’arabe, étudié les coutumes locales, et s’était immergé dans une culture qui, pour beaucoup de ses contemporains, était opaque, voire menaçante.

Le G20 et le discours de Vance : un monde en décalage

Pendant ce temps, au G20, le vice-président américain Mike Vance tenait un discours sur l’immigration, présentée comme le problème le plus urgent de notre époque. Un siècle après Philby, le ton avait radicalement changé. Là où l’explorateur britannique voyait des hommes et des femmes à respecter, les élites américaines d’aujourd’hui voient des menaces à contenir, des flux à contrôler, des vies à trier.

Pour des hommes comme Trump, Vance ou Musk, les Arabes ne sont plus des partenaires, mais des obstacles. Ils ne méritent ni compréhension ni empathie, mais des drones, des murs et des politiques sécuritaires. La déchéance du monde occidental, si déchéance il y a, se trouve peut-être là : dans cette incapacité croissante à voir l’autre comme un égal, dans ce refus de s’engager dans un véritable dialogue.

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