Tous passaient sans effroi, de Jean Rolin

Le dernier livre de Jean Rolin (2025) est un court opus, qui se lit lentement car c’est comme une randonnée en montagne quand on est fatigué, malade ou vieux.

Jean Rolin se concentre sur les Pyrénées et les passages que faisaient tant de résistants et de juifs qui fuyaient vers l’Espagne. L’auteur, vieux de 75 ans, témoigne de ses difficultés à gravir les sommets et même à atteindre les cols. Il doit rebrousser chemin bien vite.

On suit les destins de gens célèbres comme le penseur allemand Walter Benjamin qui se suicida en Espagne après la traversée, et comme le cinéaste Jean-Pierre Melville qui, sous son vrai nom, fit le voyage jusqu’au bout. Le livre raconte l’histoire du cinéaste et surtout celle de son frère Jacques qui fut assassiné par l’homme même qui était censé l’aider à passer la frontière. Du coup, on suit aussi le destin de ce passeur/meurtrier qui demandait des sommes folles aux exilés pour les faire passer de l’autre côté des Pyrénées. Cet escroc fut à la fois un héros qui a sauvé la vie à de nombreux juifs et un salaud qui a dépouillé et liquidé des pauvres gens qui mettaient toute leur vie entre ses mains.

Sans nous le dire explicitement Jean Rolin nous parle des passeurs de migrants, prêts à faire mourir, prêts à tuer, à voler, et à l’occasion à venir en aide.

Son livre est un peu analogue à une promenade de septuagénaire élégant : des bribes d’histoires et une reconstitution incomplète des passages des Pyrénées sous l’Occupation. Quelques oiseaux et autres reptiles. Ou plutôt : le livre commence avec l’observation d’un oiseau assez rare, le cingle, et se termine avec un serpent qui fait sa mue, et qui immobilise le narrateur. L’auteur, lui, prend la décision selon laquelle s’arrêter un instant pour observer un serpent est une raison suffisante pour mettre fin au récit.

On n’ose pas voir dans cette mue un symbole de quoi que ce soit.

Le lecteur que je suis a aimé cette fin, abrupte comme un accord de piano dissonant.

8 commentaires sur “Tous passaient sans effroi, de Jean Rolin

  1. Belle lecture, merci beaucoup Guillaume. J’aime cet aspect promenade un peu essoufflée, c’est vrai, même si je l’ai lu d’une traite, car le livre est court, cette méditation un peu triste du promeneur sur les passages et les passeurs, et sur ceux qui ne sont pas passés. Et l’ombre de Roland qui plane sur ces derniers dont il fait partie, lui sur le chemin du retour, et derrière lui celle de ton lointain parent….

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    1. Merci à toi Dominique, tu es vraiment un lecteur supersonique. Je n’ai pas ressenti l’ombre ni de Roland ni de Turold, malgré le titre. Mais tu as raison, Jean Rolin songe longtemps à ses titres et celui-ci n’a pas été pris au hasard.

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      1. Le livre m’a tellement plu que je suis retourné à la Librairie le lendemain pour en acheter un autre exemplaire à un ami, grand passeur (de littératures et d’idées) et comme moi admirateur presque inconditionnel de Melville. C’est surtout le passage sur la mort de son frère qui m’a fait penser à Roland

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  2. Très belle critique, tu donnes toujours envie de lire les livres dont tu parles, c’est une très grande qualité. Je viens de faire une petite randonnée aléatoire dans tes anciennes critiques, des passeurs des Pyrénées à Alexis Jenni en passant par Bondoufle, c’est un peu comme Rolin qui repasse toujours par des endroits où il est déjà passé… des textes de ton blog que j’avais déjà lus mais oubliés, des livres dont je m’étais déjà dit que je devais les lire mais toujours pas encore lus, des commentaires qui suscitent encore la surprise ou l’amusement, et on voit bien le plaisir de relire.

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