Défense du professeur Raoult : une réflexion sur la médecine en temps de crise

Pendant la pandémie de Covid-19, le professeur Didier Raoult est devenu une figure incontournable du débat public en France. Ses prises de position sur l’hydroxychloroquine et sa gestion de la crise ont suscité de vives polémiques. Pourtant, en prenant du recul, je comprends pourquoi, malgré les controverses, je tends à défendre certaines de ses idées.

D’abord, il faut situer le contexte. Toute ma vie, j’ai été entouré de personnes convaincues des bienfaits de l’homéopathie et d’autres médecines dites alternatives. Bien que je considère l’homéopathie comme une charlatanerie, j’ai observé à quel point des thérapies sans fondement scientifique peuvent se légitimer à force de lobbying, de publicité et de remboursement par la Sécurité sociale. Ces pratiques sont souvent défendues par des professionnels de santé non pas pour leur efficacité scientifique, mais parce qu’elles semblent apporter un certain bien-être aux patients.

Dans ce cadre, je comprends mieux la stratégie de Didier Raoult. Contrairement à l’homéopathie, il a choisi de promouvoir un traitement basé sur un médicament réel, l’hydroxychloroquine, un choix symbolique mais cohérent. Il ne s’agissait pas de défendre une panacée, mais de répondre à une crise avec ce qu’il considérait comme une option possible, même si ses résultats étaient discutables.

Cependant, ce qui m’a convaincu chez lui dépasse largement cette controverse sur le médicament. Ses principes fondamentaux étaient profondément médicaux et humains :

1. Ne pas laisser une population sans soins.

Raoult s’est opposé à la stratégie consistant à demander aux malades de rester chez eux, de ne consulter qu’en cas de détresse respiratoire, et de limiter les hospitalisations. Pour lui, c’était une erreur grave de la part des autorités sanitaires. Face à une population malade ou angoissée, il défendait l’idée qu’un médecin doit agir, même en l’absence de solution parfaite.

2. Tester, isoler et prévenir.

Il a été parmi les premiers à insister sur l’importance des tests massifs et de la quarantaine pour limiter la propagation du virus. En tant qu’épidémiologiste, il comprenait l’urgence d’identifier rapidement les cas positifs, notamment parmi les voyageurs venant de zones à risque comme la Chine. Cette approche, rejetée par les autorités françaises au début de la crise, s’est révélée essentielle par la suite.

Ces deux points soulignent un problème plus large dans la gestion de la crise : une incapacité des autorités à écouter des voix divergentes et à réagir rapidement. Le refus de fermer les frontières ou de tester massivement a laissé place à des mesures tardives, alimentant des théories complotistes et une méfiance généralisée envers le pouvoir.

Enfin, le professeur Raoult incarne une génération de médecins pour qui ne rien faire face à un patient malade est inconcevable. Il a choisi de proposer quelque chose – un placebo ou non – car pour lui, cela répondait à un besoin humain et éthique : soulager, rassurer, accompagner. Cette vision, bien que critiquée, reflète un instinct profondément médical qui mérite d’être reconnu.

Ainsi, défendre Didier Raoult ne signifie pas cautionner toutes ses prises de position, mais reconnaître qu’au cœur de son action se trouvait une volonté sincère d’aider, dans un contexte où l’incertitude régnait.

Comment reconnaître une mauvaise idée politique ?

Visuel générée par une banque d’images libres de droit quand j’ai saisi « Bien commun »

Toutes les idées politiques ne se valent pas. Si la liberté d’expression garantit à chacun le droit de s’exprimer, cela ne signifie pas que toutes les idées doivent être considérées comme équivalentes. Certaines idées sont nocives pour le corps social, et il est crucial de les identifier pour protéger la santé collective.

Une analogie avec la santé du corps

Les idées, comme les états du corps, peuvent être saines, bénignes ou malades. Et les maladies peuvent être vues de manière plus ou moins négative :

Une maladie immuno-dégénérative sans traitement est un enfer sur terre.

Un corps atteint d’un cancer peut retrouver la santé mais après une épreuve terrible.

Une gastro-entérite peut faire mal mais ça passe et ça permet de se purger au bout de quelques jours.

Ses maladies sont naturelles et inévitables, elles témoignent d’un mauvais état du corps, tout comme une société traversée par des idées destructrices. Ces idées, chacun de nous peut en être atteint, comme des maladies citées plus haut ; il n’y a pas lieu ni de les respecter, ni de les interdire.

Il existe aussi des états de santé, des conditions, qui ne sont en rien handicapante mais qui reflètent un dysfonctionnement. Une calvitie par exemple, bien que non pathologique, ne représente pas un idéal de santé. Ainsi, une idée politique peut être problématique sans être immédiatement toxique.

Les idées nocives : un diagnostic

Une idée peut donc être qualifiée de médicalement dangereuse, de saine, de temporairement malsaine, ou de discutable, comme un cancer, un état de forme rayonnant, une gastro ou une calvitie.

Lorsqu’elle prône l’exclusion ou la persécution d’une partie de la société, l’idée est cancéreuse. Le racisme, l’antisémitisme ou les théories comme le “grand remplacement” en sont des exemples. Ces idées envisagent le corps social comme malade, identifiant un groupe comme une “tumeur” à extraire pour retrouver une prétendue pureté. Historiquement, ces visions ont conduit à la violence, à la division, et à la destruction de la paix sociale.

En 1572, l’idée selon laquelle les protestants sont une maladie qui rongent la santé de la France, est répandue dans le royaume, et elle est parfaitement naturelle. Elle est aussi naturelle que la maladie. Mais la prendre pour boussole de l’action est aussi absurde que si l’on prenait l’état fiévreux comme l’état idéal d’un corps, auxquels tous les corps devaient tendre.

Le bien commun comme boussole

Les idées saines visent le bien commun, l’inclusion et la justice sociale. Une société ne peut prospérer que si elle rejette les logiques d’accaparement des richesses et d’exclusion. Par exemple, défendre l’existence de milliardaires toujours plus riches est une idée nocive. Cela ne signifie pas qu’il faut persécuter les milliardaires, mais leur situation doit être réformée pour favoriser une meilleure répartition des richesses et une cohésion sociale.

L’importance du « bien commun » dans la réflexion du sage précaire signe son inscription dans la philosophie des Lumières, donc dans le libéralisme de droite que j’assume. Ceux qui défendent la présence de milliardaires, comme Sarah Knafo et Éric Zemmour, ne défendent pas un modèle liberal, mais une idée anti-républicaine. Du point de vue du bien commun, il est sain que des gens soient plus riches que d’autres, dans la mesure où leur fortune provient directement de leur activité, mais il est nocif que quelques individus accaparent des ressources colossales, les fassent disparaître dans des paradis fiscaux, et empêchent à la « richesse des nations » de circuler dans le corps social.

Par conséquent, le libéral bon teint que je suis souhaite la saisie en douceur de tous les biens de nos milliardaires et l’installation de chacun de ces anciens milliardaires dans une maison modeste et confortable de la province de leur choix, où ils pourront couler des jours heureux, entourés de leur famille, et dans la beauté sans tache d’un potager. Leurs milliards, eux, serviront à financer nos services publics.

Le rôle de la liberté d’expression

Être attaché à la liberté d’expression, comme un libéral peut l’être, ne signifie pas renoncer à critiquer des idées toxiques. Laisser les idées s’exprimer ne signifie pas les valider. Le débat démocratique exige de distinguer les idées constructives de celles qui fragilisent le tissu social.

En somme, reconnaître une mauvaise idée politique repose sur un principe simple : est-elle bénéfique pour la société dans son ensemble, ou engendre-t-elle des divisions et de la misère ? Les idées racistes, exclusives ou concentrées sur l’intérêt d’une minorité fortunée ne peuvent que nuire à la santé d’une société ou d’un pays.

S’installer dans le mois du jeûne et se croire guéri du mal

Alors que ce n’est même pas vrai

Je vous raconte rapidement

Le deuxième jour du ramadan fut plus heureux que le premier. Le premier jour de jeûne fut très pénible à cause de la réaction violente de mon corps au régime nouveau auquel je ne l’avais pas préparé.

Si j’étais mystique, je dirais que mon corps s’est révolté toute la journée sous l’influence de satan ou des démons qui refusaient violemment la bonté du jeûne et de la prière. De ce point de vue, le jeûne opère à la fois comme révélateur du mal en soi, et comme arme de combat contre lui. Le mal se voyant menacé, il refuse la défaite et vous utilise comme instrument de sa révolte : fatigue, énervement, faim, soif, déprime, perte d’équilibre, accident, chute, tentation, sommeil, vous passez par toutes ces étapes parce que le mal, en vous, cherche à vous faire rompre le jeûne et vous ramener vers la vie de pécheur jouissif et oublieux qui a toujours été la vôtre.

Le deuxième jour de jeûne, déjà, a vu le sage précaire beaucoup plus serein et de bonne humeur. Peu de fatigue, moins de déprime. Peu de soif ni de faim. Une sensation diabolique d’envie, cependant, dans la délicieuse boulangerie qui se trouve à côté du supermarché Aldi. Les retraités prenaient des viennoiseries à se damner et ils commandaient des cafés noirs à consommer sur place. Il était neuf heures du matin, je jeûnais depuis cinq heures et en temps normal je me serais laissé tenter aussi. J’ai pris cette sensation d’envie aigüe comme une épreuve du ramadan : rappelle-toi comme on souffre quand on est dans le besoin et que les autres profitent de la vie. Arrête d’envier ces gens et concentre-toi sur ta lecture. Pour ce faire, trouve-toi un espace sans odeur de bouffe et sans bruit. La Bibliothèque ! Dieu merci, les bibliothèques existent. Retour instantané de la bonne humeur.

Un candide pourrait croire hâtivement le mal dompté et soumis à la puissance du jeûne et de la prière, mais ce serait présomptueux. Non, soyons réaliste, le sage précaire n’est pas devenu un homme bon en une journée, il n’a pas soumis ses démons du mal en 24 heures. D’ailleurs, dans sa voiture avec sa moitié, il a encore dit des choses malveillantes sur des gens, il a traité de con un automobiliste, et il a crié F**k *ff! à un cycliste qui avait failli causer un accident.

Ce qui est plus probable, c’est que le génie du mal a compris que ce n’était que du jeûne et qu’il ne courait pas un danger extrême dans la peau du sage précaire.

Un début de ramadan poussif

Le premier jour du ramadan ne fut pas glorieux pour le sage précaire. Loin d’être une journée spirituelle, ce fut un long tunnel de déprime et de mauvaise humeur. Je n’ai pas réussi à me réveiller de toute la journée et c’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de catastrophe. Je n’ai cessé de renverser des choses, de faire tomber d’autres choses, de laisser des entreprises en état d’inachèvement.

Le soir, de retour à la maison après être allé chercher Hajer au travail, l’appartement était tout enfumé : j’avais oublié d’éteindre le feu sous la soupe tunisienne d’orge que j’avais préparée difficilement. Depuis, et jusqu’à ce matin, notre appartement et nos vêtements dégagent une odeur de brûlé qui a troublé notre sommeil.

Le jeûne sec provoque parfois de ces tourments sur le corps, et force l’individu à se recentrer sur des gestes simples.

Bon ramadan à tous

Nous commençons ce jour le mois sacré du jeûne et de la solidarité.

Le sage précaire a mis le réveil à 4 h 00 pour prendre un petit-déjeuner roboratif, et apporter celui de son épouse restée au lit. Voici le contenu de ce repas nocturne : eau, café, avocat, fromage, œufs, pain et porridge.

L’heure de la prière de l’aube sonnait aujourd’hui à 4 h 38. Demain ce sera quelques minutes plus tôt, et ainsi de suite jusqu’au passage à l’heure d’été qui interviendra au dernier tiers du mois saint.

Quand arrive l’heure de l’aube, on laisse la nourriture et on va faire ses ablutions : on passe à l’eau fraîche ses mains, sa bouche, son nez, son visage, ses oreilles, son crâne, ses avant-bras et ses pieds. On le fait en se concentrant sur la possibilité d’accéder à une forme de pureté, avant de se rendre sur un tapis de prière.

La prière qui ouvre la journée est la plus courte des cinq prières quotidiennes.

C’est le mois de la charité et de la santé. Ne vous étonnez pas si, sur ce blog, le sage précaire se prête moins à la critique et au sarcasme. Il est possible qu’il s’astreigne à des éloges et des paroles de protection.

Sous le signe de Beethoven

Entre Bonn, où j’ai visité le musée qui lui est consacré, et Munich où sa musique est jouée à l’Isarphilarmonie, mon séjour allemand se place sous le signe de Beethoven. Le sage précaire, pourtant, a toujours été plus enclin à écouter d’autres compositeurs. Beethoven, il l’écoute depuis l’adolescence mais presque plus par devoir que par attirance instinctive.

C’est la lecture de Kundera (il parle de Beethoven dans presque tous ses livres) qui l’a poussé à écouter en boucle les Variations Diabelli. Sa pratique théâtrale lui a fait découvrir la magnifique septième symphonie (les Baladins de Péranche avaient utilisé le poignant deuxième mouvement comme accompagnement de notre mise en scène du Journal d’Anne Frank en 1990). La « neuvième », qui se termine par l’Ode à la joie, c’est Nietzsche qui l’a convaincu d’aller y voir de plus près (Naissance de la tragédie). Mais à chaque fois, le stimulus vient d’ailleurs. Le sage précaire n’est pas aussi passionné de Beethoven qu’il l’est de Bach, de Berlioz, Schubert ou de Josquin.

C’est pourtant la symphonie n° 5 que nous sommes allés écouter à la salle de concert hyper moderne du complexe culturel Gasteig HP8. Nous fûmes très impressionnés par la salle, son esthétique visuelle et son acoustique. J’étais ému de voir tant de monde payer si cher le billet d’entrée (plus de 40 euros) pour assister à un concert de musique classique. J’ai retrouvé mes Allemands. Les Allemands comme je les aime et les désire, passionnés de musique et de science. Les Allemands bien rangés sur leur siège mais communiant avec la rage échevelée de Beethoven. Les Allemands fous d’amour pour le romantisme, même s’ils nous regardaient d’un sale œil lorsque nous prîmes d’assaut des sièges mieux situés à l’entracte.

Nous savons tous que Beethoven est devenu sourd, mais dans sa maison de Bonn, transformée en musée, sont exposés les instruments de torture que le musicien s’introduisait dans l’oreille, au bout desquels ses visiteurs devaient hurler pour se faire entendre. Ce spectacle est pathétique, et on n’en finit pas de se lamenter sur la malédiction de l’artiste qui perd l’usage du seul sens dont il a besoin. C’est à devenir fou.

Justement, la symphonie numéro 5 est connue dans l’histoire de la musique pour incarner la lutte de l’homme sain avec la folie. Le morceau lui-même, sa composition, avec ou sans exécution orchestrale, faisait vaciller la santé mentale des auditeurs : en 1830, Goethe ne sortait plus au concert, mais il se faisait jouer au piano ce qu’il y avait d’intéressant. Quand Mendelssohn joua au piano la cinquième, le vieux maître reconnut la charge de trouble mental qui habitait la composition :

« Cela le remua étrangement. Il dit d’abord : cela n’émeut en rien, cela étonne seulement, c’est grandiose ! » Il grommela encore ainsi, pendant un long moment, puis il recommença, après un long silence : « C’est très grand, c’est absolument fou ! On aurait peur que la maison s’écroule…

Felix Mendelssohn, cité par J. & B. Massin, dans Ludwig van Beethoven.

Voilà, c’est ça, Beethoven voulait faire s’écrouler la maison. Et les Allemands adorent ça parce que ce sont des gens adorables, qui construisent des maisons bien solides mais qui rêvent d’océans et de tempêtes.

Pourquoi j’ai arrêté l’alcool et ce que les musulmans peuvent nous apprendre

J’ai arrêté de boire en 2016 mais ce n’était ni grâce à une prescription médicale ni un interdit religieux. C’était pour faire plaisir à la femme que j’aime et qui ne pouvait pas supporter l’idée de vivre avec un homme qui buvait. Ce n’était pas négociable.

Nous nous sommes donc disputés plusieurs fois sur ce sujet car je pouvais arrêter l’alcool au quotidien, mais il était malsain à mes yeux d’interdire toute consommation, même un bon verre, parfois, en compagnie familiale, autour d’un bon repas.

Nous avons commencé à vivre ensemble sans que je promette la sobriété totale. Je me réservais le droit de boire sous certaines conditions.

Puis j’ai décliné de moi-même des propositions qu’en d’autres temps j’aurais trouvées alléchantes. Petit à petit, sans m’en rendre compte, je devenais sobre. Même en famille, même avec mes vieux amis, je ne buvais plus que de l’eau.

J’étais fier aussi, je le confesse, de dire que je faisais ce sacrifice pour la femme de ma vie. Dans un recoin de mon esprit, je trouvais cela romantique.

La réalité est que la sobriété est comme une barrière, et chacun vit d’un côté ou de l’autre de cette barrière. Depuis que je suis sobre, je ne vais pas mieux car je n’ai jamais souffert d’alcoolisme, ni attrapé de maladies causées par l’alcool. En revanche j’ai ouvert les yeux sur les méfaits de ce fléau dans nos sociétés et suis étonné de la tolérance avec laquelle notre société appréhende cette drogue.

Il ne fait pas de doute que les lobbies des alcooliers, représentant les intérêts des producteurs, des diffuseurs et des débits de boissons, corrompent nos politiciens pour les empêcher d’adopter des mesures qui protègeraient les populations les plus touchées.

Et pendant ce temps, nos compatriotes musulmans vivent en famille et font la fête sans alcool. De ce point de vue ils ont beaucoup de choses à nous apprendre, je m’étonne que personne n’en parle dans les médias. Ce pourrait être un angle d’attaque pour tenter un rapprochement entre plusieurs segments du peuple. Qui ne voit qu’il y a là l’opportunité d’apprécier et de valoriser le mode de vie de ceux qui sont d’ordinaire stigmatisés ?

Si on avait envie de s’intégrer les uns et les autres dans une nation fraternelle et en bonne santé, on pourrait commencer en demandant aux musulmans comment ils font pour être aussi gourmands sans alcool.

Le Traité des passions de Germain Malbreil, dernières missives

Mascate, le 23 février 2021.

Cher Germain,
Je voulais vous dire, à propos de votre Traité, qu’il me tarde de le lire.
Si je m’en souviens bien, vous m’avez écrit en 2018 que vous étiez sur le point de le terminer. Est-ce fait ? Avez-vous trouvé un éditeur ?
Quoi qu’il en soit, s’il vous plaît gardez-moi un exemplaire, même si le texte vous paraît encore perfectible. Je tiens absolument à en avoir une copie.
Je me souviens d’un courriel ou d’une lettre que vous m’avez envoyé à l’époque où j’habitais en Chine, dans lequel vous tissiez un lien entre « ambition » et « ambulatoire », et vous me disiez que ma passion première devait être la colère, car de la colère procède l’ambition, donc l’ambulation, donc le voyage.
Rien que pour cela, pour des éclats de pensée comme ça, je tiens à lire votre Traité.
À très bientôt,
Guillaume

La réponse à ce mail constitue l’ultime message que j’ai reçu de mon vieil ami. Il me rassure car c’était l’époque de la grande pandémie Covid 19, et que je m’étais inquiété de sa santé auprès de son fils.

Conhilac, le 05 mars 2021

Cher Guillaume,

Tranquillisez-vous : j’existe encore, et dès que possible je vous écrirai la grande lettre que vous méritez.

C’est que je sors d’une crise qui a duré plus d’une année, en fait d’hospitalisations. Maladie qui a été une cata-strophe, au sens où je n’ai pu m’élever à la moindre ana-lyse. Où j’ai été privé d’écriture, où j’ai traversé un AVC, vécu sans ordinateur, auprès d’affolantes infirmières, toutes tatouées et charmantes. Avec le péril de tomber : je survivais en état de casse, corseté. J’ai pu enfin réintégrer ma maison, réappris à marcher sans canne. Et me voici en proie à la procrastination, tout étonné de n’avoir pas songé à joindre mes amis.

Enveloppé de honte, la vergogne, une sorte de peur, la crainte qui vole sur moi. Traité des passions inachevé, sa fin qui me hante. L’impression d’avoir essayé de réhabiliter une sorte de mélancolie, de tristesse ; c’est pourquoi j’hésite à répondre à votre demande. Il faudrait une plus grande confiance en moi. J’ai noté vos propos sur l’architecture de mon bureau, j’ attends votre visite et celle de votre mystérieuse épouse. On me dit à l’instant (Susie), qu’elle serait heureuse de vous revoir. Elle avait été très impressionnée par votre père.

Bonjour à vous deux. Recevez mon intacte affection.

G.M.

Proust et la fin de vie

En 1921, Marcel Proust n’a plus qu’une année à vivre. Il est à l’agonie quand paraît Le Coté des Guermantes. C’est maintenant un écrivain reconnu qui a reçu le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs en 1919. Il n’a plus rien à prouver. En revanche il doit vivre assez de temps pour finir son cycle romanesque, À la recherche du temps perdu.

Finir n’est pas le mot, car Proust a fini depuis longtemps son cycle romanesque. En 1907, il a dit à Céleste, la gouvernante, « Cette nuit, j’ai commencé et terminé un très gros livre. » Il a donc écrit sa conclusion, ses dernières scènes, ce qui explique que le dernier tome du cycle, Le Temps retrouvé, se lit si facilement. C’est probablement le tome le mieux travaillé, le plus parfait.

Proust sait qu’il lui reste peu de temps à vivre quand il termine Le Côté des Guermantes, ce qui a plusieurs conséquences. D’abord il se fiche éperdument d’être divertissant ou élégant. Il peut se permettre des longueurs effroyables s’il les considère comme utiles à l’économie générale de l’œuvre. Ensuite, il peut faire dire à Swann qu’il est mourant car c’est ce que lui, l’auteur, ressent.

Enfin cela explique l’incroyable impudeur et impolitesse de Swann à l’endroit du duc et de la duchesse de Guermantes. J’ai déjà parlé de cela dans un autre billet.

L’auteur est mourant, il panique, son personnage préféré est mourant aussi, il brise toutes les règles de politesse : en passant par la fiction, Marcel Proust essaie de s’accrocher à la vie en faisant de son personnage un plaintif casse-pied.

Un long fleuve intranquille : l’action culturelle et la psychiatrie

Cécilia de Varine, 2023

Cécilia de Varine est à la fois une artiste, une médiatrice culturelle et une administratrice. Un peu comme le sage précaire, si à la place d’artiste on écrivait « blogueur », à la place de médiatrice « chercheur en littérature/prof de philo », et à la place d’administratrice « dictateur en puissance ».

Il fallait pour ce profil hors norme un métier incroyable, une activité insoupçonnée. Après avoir travaillé en musées, Cécilia a trouvé sa place chez les fous. Elle dirige depuis des années le service culturel d’un hôpital psychiatrique de Lyon, non pas le Vinatier, mais le Saint-Jean de Dieu.

Pour parler de son action et de cet hôpital, elle a rendez-vous tous les mois au micro d’une station de radio qui lui ouvre son antenne. Là encore, un concept d’émission très original, inouï sur les ondes traditionnelles des chaînes majoritaires.

La chronique de Cécilia est très bien faite. Elle tresse les histoires passionnantes de l’hôpital psychiatrique, de la ville de Lyon, et de l’exposition qu’elle met en place pour commémorer le bicentenaire de l’hôpital.

https://www.rcf.fr/bien-etre-et-psychologie/un-long-fleuve-intranquille-rcf-lyon?episode=403894&fbclid=IwAR3R8cVeiOYkm1VTSGqn5VziVxPwqORS1EdUZrP362rokMWdwjMoCmGPZ30&share=1