Tabuk, des découvertes en cascades

Regardez ce mouvement du chasseur ! La gravure rupestre que je place en tête de ce billet m’est apparue dans un chaos de rochers dans la région de Wadi Disah. Mon vieil ami bédouin, après m’avoir fait crapahuter, avait de nouvelles surprises à me révéler.

Les ancêtres néolithiques des Arabes savaient créer de véritables scènes de cinéma. Homme armé et protégé d’un bouclier, le lion semble être sur la défensive. Cela ressemble autant à une chasse qu’à un combat de gladiateurs préhistoriques, où un homme seul affronte une bête féroce.

Cette autre gravure m’intéresse pour cette ligne ondoyante au centre de l’image. J’ai spontanément songé que c’était une stylisation de la rivière ou du wadi qui séparait deux paysages, deux tribus ou deux systèmes de chasse.

Il m’a paru évident que c’était un ancêtre épigraphique des hiéroglyphes d’Egypte. Un long signe qui participe à la fois de la représentation et de la signification.

À moins que ce ne soit un serpent monstrueux, une espèce de monstre du Lochness arabique. Un être mythique qui tient du dragon chinois et qui préside à la création de l’univers.

C’est l’avantage et la limite de découvrir des sites archéologiques. Il n’y a aucune raison de s’interdire a priori la moindre interprétation.

Notre pérégrination avec l’ancêtre bédouin Abu Mahdi nous mena vers une mosquée perdu au pied d’un montagne. C’était l’heure de prier.

Il y avait assez d’eau dans les citernes pour faire nos ablutions et nous nous refîmes une virginité avec quelques traits de filet d’eau éclaboussé et une demie-douzaine de versets coraniques chantés et psalmodiés.

Sortis de la mosquée, nous avions encore de nombreux paysages à traverser et Abu Mahdi s’impatientait car il était le seul à savoir tous les trésors nabatéens qu’il nous restait à découvrir. Comme il ne nous disait rien à l’avance, je croyais à chaque minute que c’était la fin du voyage et qu’on avait fait le tour des découvertes.

Seule la tombée du jour a pu sonner la fin de notre excursion.

Le Sage précaire en mission archéologique

Depuis que je fais des missions pour le monde de la culture en Arabie Saoudite, j’ai visité plusieurs sites archéologiques. Trois d’entre eux figurent depuis quelques années sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Sur le papier, je pensais visiter des lieux bien connus, déjà étudiés, qui s’ouvrent peu à peu au public. En réalité, ce que j’ai vu m’a surpris à deux niveaux : c’est à la fois exceptionnel et, pour beaucoup d’éléments, d’une rareté presque totale.

Lion, site de Shuwaimis

Je travaille en ce moment sur un texte para-journalistique et je cherche des illustrations dans l’art rupestre saoudien. Ce qui me frappe, et qui me met face à une petite perplexité professionnelle, c’est l’absence presque totale de reproductions de haute qualité et l’absence d’analyses scientifiques accessibles sur certaines des figures que j’ai photographiées.

Cavaliers combattants et chasseurs, Bir Hima

À Bir Hima, dans la région de Najran, j’ai vu des gravures et des dessins en tout point remarquables : des silhouettes humaines, des scènes de danse, de guerre et de chasse, des motifs dont la facture m’a paru originale et puissamment évocatrice.

Œuvre rupestre la plus extraordinaire qui m’ait été donnée de voir. Bir Hima. Chef d’œuvre qui impose le silence au sage précaire.

Mais quand je me tourne vers les sources scientifiques, je ne trouve pas l’aide dont j’ai besoin pour en parler. Bibliothèques en Allemagne et en Arabie, revues archéologiques européennes et Saoudiennes (notamment les numéros d’ATLAL qui rendent compte des missions franco-saoudiennes dans la province de Najran menées entre 2007 et 2012), catalogues d’expositions (Roads of Arabia, 2020) me laissent dans le silence de mon ignorance. Je ne trouve ni images en haute résolution ni études détaillées centrées sur mes panneaux préférés.

Figure humaine masquée, divine, épigraphique ? Probablement un peu tout cela à la fois. Site de Bir Hima

Je me suis posé plusieurs hypothèses. Peut-être que des restrictions empêchent la diffusion d’images, peut-être que certaines recherches existent mais ne sont pas publiées ou restent cloisonnées. Puis, plus simplement, j’ai fini par accepter l’idée que beaucoup de ces œuvres n’ont tout simplement pas encore été étudiées en profondeur. Il n’est pas impossible que je sois l’un des rares êtres humains à avoir vu, et photographié, certaines figures humaines du Néolithique sur ces parois.

Je me croyais visiteur, je me retrouve témoin d’un patrimoine inconnu.

Rencontre entre le Sage précaire et des figures masquées, mi-humaines mi-animales, d’il y a 7 000 ans. Décembre 2024.

Je ne cherche pas la mise en lumière pour elle-même. Mon objectif est pragmatique : terminer mon texte avec des images et des informations fiables, rendre compte de ce que j’ai vu sans l’embellir inutilement. Cela exige du temps de recherche, de la vérification rigoureuse et parfois des démarches pour retrouver des archives ou des chercheurs qui ont travaillé sur le terrain. C’est aussi un rappel de ce que signifient aujourd’hui les missions de terrain : on peut croire qu’on visite des lieux « connus » et découvrir qu’ils restent, sur bien des points, mystérieux.

Couple de musiciens pastoraux du Néolithique, visées par des tirs de carabines bédouines

Si ce billet a une portée narcissique, c’est celle-ci : la pratique du terrain et l’arpentage des terres arabes ont fait de moi un voyageur digne de la chasse au trésor. À force de petites visites, je me rends compte que je fais un travail d’exploration. Ce constat est davantage qu’une marque de prétention, c’est une prise de conscience qui change la manière dont je regarde mes photos, mes notes et les lieux eux-mêmes.

Je poursuis donc ma recherche documentaire et photographique pour alimenter le texte. Mon ambition est de rester fidèle à ce que j’ai vu, d’éviter les phrases toutes faites et les effets littéraires qui n’apportent rien, et d’offrir au lecteur une description claire, audacieuse mais plausible : ce qui est là est précieux, souvent silencieux et parfois encore en attente d’un regard scientifique attentif.

Je me croyais en promenade, j’étais en mission scientifique.

Je me croyais simple touriste, appareil photo en bandoulière, curieux de ce que l’UNESCO avait déjà validé comme patrimoine mondial. En fait, sans le savoir, je me suis retrouvé explorateur. À la manière de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose « sans qu’il en sût rien », le Sage précaire se découvre en chercheur de trésors discrets. À son insu.