Art et randonnée font bon ménage. Le musée Franz Marc

Kolch am see, février 2024

À une heure de route au sud de Munich poussent les Alpes, où se lovent de grands lacs, que le peintre Franz Marc a élu pour domicile après la première guerre mondiale.

Notre intention était d’abord d’aller nous promener au bord de l’eau et prendre le soleil, mais sur le point de prendre la route du retour, nous avons fait un saut au Musée Franz Marc, établi dans la propriété de l’artiste où sa veuve a vécu jusqu’à sa mort.

Au Musée Franz Marc

Ce n’est pas une bicoque, qu’on s’entende bien. Le peintre devait être un bon gros bourgeois pour s’offrir une telle demeure en surplomb d’un grand lac au pied des Alpes. Et cent ans plus tard c’est toujours vrai si je puis dire : nous devons être de bon gros bourgeois pour avoir les moyens de nous délecter d’art moderne dans la campagne bavaroise, à une heure de Munich, à 9 euros 50 le prix du billet d’entrée.

Est-ce que voir quelques tableaux et sculptures vaut de payer 10 euros ? Pour moi oui, mais c’est parce que je suis un salaud de privilégié, je dois le confesser. J’ai pris un gros kiff de bourge supérieur et intellectuel : voir enfin pour de vrai des toiles qu’on n’a vues qu’en reproductions, c’est un plaisir des sens et de l’intellect.

Au XVIIe siècle, pour définir le plaisir propre à l’art, Poussin (je crois) parlait de « délectation », une jouissance sensuelle élevée par une satisfaction spirituelle. Pour nous, devant les tableaux de Marc, de Kandinsky, de Macke et de toute la petite bande du mouvement Der Blaue Reiter, se mêlait à la délectation une jubilation puérile de reconnaître des choses vues et étudiées ailleurs.

Le ménage à trois des artistes munichois

Franz Marc, Deux femmes sur la montagne, 1908

Les deux femmes représentées sur cette esquisse faite à Munich ne sont pas choisies au hasard. Le peintre était amoureux d’elles, elles l’amaient en retour, et les trois connaissaient les sentiments de tous. Ils se sont mariés l’un avec l’autre, à tour de rôle. Ils formaient un trio amoureux et créatif qui n’étaient pas complètement étranger aux mœurs des Européens progressistes de la belle époque.

Les deux femmes étaient plus âgées que l’homme et cela ne dérangeait personne. Maria avait quatre ans de plus que Franz mais ils ne pouvaient pas se marier car Franz était déjà marié à Marie Schnür, de treize ans son aînée. Cette dernière avait déjà un enfant qu’elle avait eu à Paris, fruit de la vie de Bohème des jeunes Européens.

C’est peut-être pour adopter cet enfant conçu à Paris que Franz se maria avec Maria. On ne sait rien de cela car il ne reste pas grand chose de cette relation.

Les trois protagonistes de cette histoire étaient peintres et très influencés par les impressionnistes qui révolutionnaient l’art depuis trente ans en France. Ils cherchaient la bonne recette pour vivre en adéquation avec leur spiritualité, la modernité, les problèmes et les désirs de leur temps. Quand ils ne peignaient pas, ils montaient des coopératives socialistes, quand ils ne se caressaient pas en pleine nature, ils créaient des collectifs d’artistes tels que le Blaue Reiter à Munich.

Marie Schnür, Maria Marc et Franz Marc, en détente relative pendant l’été 1906.

Ce monde d’espoir, de crises et de créativité était précaire. La guerre de 14-18 approchait et Franz n’a rien fait pour l’éviter. Il est mort en soldat sur le sol français dont il a tellement aimé la culture d’avant-garde. Dans ses carnets de tranchée, des dizaines de chefs d’œuvres griffonnés, dans lesquels transparait la passion de Franz pour l’art, et ses tentatives inlassables de comprendre le monde par des mouvements de crayon.

Sa deuxième épouse, Maria Franck, a survécu dans ce village de Bavière où ils expérimentaient l’amour libre et naturiste, pour s’éteindre à près de 80 ans.

Sa première épouse en revanche, Marie Schnür, on ne sait pas ce qu’elle est devenue, et on a perdu toute trace de son enfant. Apparemment, elle a mal vécu ce « ménage à trois », et elle semble avoir mis un terme à sa carrière artistique peu après la guerre. Je pense, pour ma part, qu’elle a changé de nom et d’identité. Comme elle vient d’une famille riche et protestante de Cobourg, sa vie dissolue faisait mauvais genre et il fallait tout dissimuler pour espérer une fin de vie respectable. Si elle était morte avec cette identité connue de Marie Schnür, les historiens auraient retracer la trame de son existence.

Franz Marc, Nu avec chat, 1910

Le Cavalier bleu : enfin une école artistique de Munich

Alléluia, après d’âpres recherches, j’ai enfin trouvé les artistes qui peuvent incarner le génie de Munich, au même titre que les « actionnistes » incarnent Vienne, les « cubistes » Montparnasse, ou « Support-Surface » Nice.

Der Blaue Reiter est le nom du groupe fondé dans les années 1910 par des peintres devenus célèbres qui étouffaient dans l’académisme bourgeois de la capitale de la Bavière.

Franz Marc, Vassili Kandinsky, Maria Marc, Auguste Macke et compagnie, ont trouvé là le lieu de création où ils pouvaient laisser libre cours à leurs recherches, inspirés par les avant-garde de Paris.

V. Kandinsky, Maisons de Munich, 1908

Vous ne saviez pas que l’immense Kandinsky était de Munich ? Vous aviez tendance à l’associer à Moscou, à Berlin et à Paris ? Moi aussi, mais c’est ainsi, il vivait et enseignait la peinture à Munich dès le tournant du siècle. Il a acquis la nationalité allemande et c’est en Bavière qu’il a fondé et animé Der Blaue Reiter, ce collectif d’artistes que le sage précaire a connu adolescent quand il s’intéressait à l’expressionnisme.

Lenbachhaus, l’un des plus beaux musées de Munich, octobre 2023.

On peut voyager dans les oeuvres de ce collectif dans le beau musée Lenbachhaus, non loin des grandes « Pinacothèques » qui font le bonheur des amateurs d’art.

Le fameux Cheval bleu de Franz Marc au milieu de plusieurs toiles du Blaue Reiter.

Lenbachhaus est une belle maison de maître de la belle époque, appartenant à un peintre influent du début du siècle. Aujourd’hui on s’y promène et on y contemple des tableaux de l’expressionnisme vibrant de la scène munichoise.