L’imam Iquioussen accusé d’homophobie

Maintenant qu’il est dans l’actualité je vous recommande de regarder une seule vidéo de l’imam français de nationalité marocaine que Gérald Darmanin veut chasser de France. Cette vidéo s’intitule « Musulman et homosexuel ? ». Il faut la regarder pour prendre conscience du contexte.

L’imam réfléchit sur la question de savoir si l’on peut être un bon musulman tout en étant homosexuel.

Écoutez l’auditoire devant lui et appréciez le talent de pédagogue de Hassan Iquioussen. Imaginez-vous une seconde à sa place, comment vous débrouilleriez-vous ?

Car il ne parle pas seul devant une caméra, savez-vous. Il s’adresse à un public qui l’a invité à venir donner une conférence. La salle interagit avec lui et sur la question de l’homosexualité il a affaire à des mecs du bled qui n’aiment pas ça du tout. On entend des voix de vieux messieurs qui protestent que c’est très mal, que c’est un péché, que l’homosexualité « détruit la société ».

Or ce que fait Monsieur Iquioussen est très fort, en ce contexte, et je vous prie d’en prendre la mesure. Il réussit à se faire entendre d’eux, de ces hommes maghrébins conservateurs sur le plan des valeurs familiales. Et il réussit à leur faire admettre qu’il faut être tolérant avec les homosexuels, qu’il faut les aimer, qu’un jour peut-être leurs enfants leur avoueront une identité sexuelle imprévue, et qu’il faudra être à la hauteur de cette religion d’amour qu’est l’islam.

Alors bien sûr, en tant que religieux, il se doit de dire clairement que l’homosexualité est un péché, et il est obligé d’insister là-dessus pour être entendu de cet auditoire. Le fait que le ministre Darmanin, que Le Figaro et Valeurs actuelles, reprennent des mots de cette introduction pour qualifier l’imam de sale arabe homophobe est indigne. Il faut avoir l’honnêteté de regarder la vidéo quelques minutes de plus pour entendre l’imam leur dire, à tous ses hommes en colère, dans les yeux, qu’ils sont eux-mêmes des pécheurs, et qu’ils ne valent pas mieux que les homosexuels.

Puis il leur impose le silence avec le sourire, avec des histoires personnelles, avec des extraits du Coran, avec des paroles prophétiques et avec des scènes épiques de l’histoire sainte. Il compare tel personnage de l’Arabie médiévale avec Rambo. Il fait feu de tout bois pour amener les musulmans à être tolérants, fraternels, miséricordieux et respectueux. Et c’est ce genre d’individu que Darmanin veut mettre à la porte ?

Regardez cette vidéo et posez-vous les questions suivantes : cet homme est-il dangereux pour la France ? Diffuse-t-il un discours de haine ? Mérite-t-il l’opprobre et l’exclusion ? Darmanin ment-il ou dit-il la vérité sur le cas Iquioussen ?

Après avoir répondu à ces questions, posez-vous cette autre série de questions subsidiaires : quel genre d’homme remplacera Hassan Iquioussen s’il part de France ? Un homme plus ouvert ou un homme plus rigoriste ? Que cherchent la droite et l’extrême-droite en ciblant des hommes comme lui ? À pacifier nos quartiers populaires ou à augmenter la tension ?

En cet été caniculaire, le gouvernement nous donne le spectacle navrant d’une provocation doublée d’un acharnement pour exaspérer les bonnes volontés et faire exploser les violences. En cet été d’incendies causés par des pompiers, Darmanin est le parfait pompier pyromane.

Le souffle des Andes. À quoi tient un succès de librairie

Retour des pays chauds, je me rends à la librairie Sauramps de Montpellier où je découvre, à ma surprise, que le rayon de littérature des voyages se trouve près de l’entrée principale. Que se passe-t-il dans le genre ces temps-ci ? Y a-t-il un livre géographique incontournable qui fait fureur ? Un.e auteur.e étonnant.e qu’il faudrait découvrir toute affaire cessante ?

Le libraire me fait faire le tour des nouveautés et je fais l’acquisition d’un beau livre de Claudio Magris, d’un récit écrit à quatre mains d’Éric Faye et de Christian Garcin, d’un essai polonais sur les oiseaux d’un certain Stanislaw Lubienski. Le libraire me recommande avec énergie Le Souffle des Andes de Linda Bortoletto. Il a été vraiment touché par l’écriture de cette femme qui fut violée lors d’une randonnée en Turquie et qui cherche la guérison dans une autre randonnée en Amérique du Sud. Je me laisse convaincre car je m’intéresse aux voix féminines et aux questions de la santé dans le récit de voyage.

Comment ai-je pu me laisser piéger aussi facilement ?

Il est pourtant évident qu’on sait tout à l’avance. Dès qu’on vous raconte le pitch, vous savez ce que vous allez trouver dans le livre et, en effet, il n’y aura aucune surprise ni aucun émerveillement. Il ne manquera aucun poncif de la littérature commerciale du voyage. La stratégie de démarcation est assumée quand la voyageuse rencontre des Français qui regardent des blocs de glace qui « se détachent d’un iceberg » :

Comme nous, ils se détachent de la masse.

Linda Bortoletto, Le Souffle des Andes, Payot & Rivages, coll. « Voyageurs », 2021

Vous lecteurs, je vous le dis tout net, vous êtes dans la masse, et vous l’êtes jusqu’au cou. Que dis-je, vous êtes la masse, vous êtes cette chose compacte et gluante dont il faut se détacher si l’on veut réussir sa vie. Les âmes d’élite n’ont que faire de votre vie sédentaire et endormie.

On trouvera aussi des clichés par centaines sur le désir, la vie, la mort et l’amour. Une page entière sera consacrée à l’amour et sur le fait que Linda B. a retrouvé l’amour, mais le lecteur borné que je suis sera étonné de lire qu’elle est une amoureuse sans objet ; elle est amoureuse de la vie.

Enfin que serait un récit de voyage des nouveaux explorateurs sans les habituels couplets sur la liberté.

Le vent souffle, encore, toujours. Il est froid, puissant. Libre.

Ibid.

À la fin, vous le savez, l’aventurière aura soigné sa douleur et elle sera devenue une autre en devenant elle-même. Ou inversement, elle sera devenue elle-même en devenant une autre. On ne dévoile rien quand on dit que la narratrice trouvera la paix intérieure et la sérénité. La randonnée comme exercice de spiritualité. On a lu cela des centaines de fois. Écoutez, si ça marche (sans jeu de mots), pourquoi se priver ?
Cette histoire est réelle et elle consiste en ce que les Américains appellent le Story telling. L’auteure utilise son histoire de manière à obtenir des suffrages.

En l’espèce il s’agit de vendre des livres, à quoi s’ajoutent des stages de toutes sortes. Il n’y a plus qu’à élargir le business model pour se lancer dans des huiles essentielles, des godasses de randonnée végétaliennes ou des produits de beauté spécial résilience.

Le business model des voyageuses : Linda Bortoletto

Le souffle des Andes de L. Bortolletto

J’ai acheté ce livre sur la recommandation d’un libraire de Montpellier. Il avait su trouver les mots pour me convaincre. Le récit est efficacement écrit mais il est malheureux qu’après coup, ce soit l’auteure elle-même qui fasse tout pour m’en éloigner en affirmant, elle aussi, que ce n’est pas un récit de voyage. Non, c’est surtout un récit de spiritualité et de résilience. Tant pis pour le récit de voyage. Mais ce n’est pas cela qui me fait le plus de peine.

Obéissant aux règles mercatiques de l’entreprenariat contemporain, Linda Bortoletto essaie d’être très présente sur les réseaux sociaux et cherche à transformer son expérience personnelle en machine à cash. Son créneau : le voyage spirituel, la reconstruction de soi, le développement personnel. Son livre Le souffle des Andes raconte en effet comment elle s’est fait violer lors d’une randonnée en Turquie, puis comment elle s’en est sortie grâce à d’autres voyages, notamment dans les Andes.

Mais la voilà sur les réseaux sociaux à faire de la publicité pour ses stages de remise en forme constitués de promenades en montagne, de méditation et de yoga. Elle poste fréquemment des photos d’elle tout sourire dans la nature, généralement les bras écartés, parfois les yeux fermés.

Linda Bortoletto sur sa page Facebook

Loin de moi l’idée de critiquer quelqu’un qui cherche à gagner sa vie, même en utilisant le voyage, la spiritualité et la santé. Le sage précaire serait le premier à vendre son corps et son image si cela pouvait lui rapporter de quoi vivre.

Je trouve seulement douloureux et poignant de voir ces grands sourires s’étaler car il me paraît évident que Linda Bortoletto préfèrerait méditer tranquillement dans ses refuges asiatiques, et se promener à pied sans rien demander à personne. Cette horreur économique où nous vivons : savez-vous que nous sommes assaillis de conseils pour les auteurs ? On nous conseille de passer un temps fou sur les réseaux sociaux et de créer une « communauté ». Quand on aura des centaines, des milliers de « followers », c’est dans cette communauté qu’on trouvera des clients qui dépenseront de l’argent pour acheter notre camelote : livres, produits de beauté, stage de méditation, que sais-je ?, support publicitaire.

Linda Bortoletto sur sa page Facebook

Pour ce faire, Linda Bortoletto poste des photos d’elle-même car, comme le disent tous les consultants en écriture : « votre produit, c’est vous-même. Le lecteur, d’une manière ou d’une autre, il veut acheter votre livre car il a développé un feeling avec le personnage que vous mettez en scène sur les réseaux. » Obéissante à ces mots d’ordre commerciaux, l’auteure voyageuse fait semblant de ne pas vendre ses stages en écrivant sous ses photos de petits billets d’humeur qui donnent à penser aux « amis » :

Outre les bienfaits sur le plan physique, la joie d’être au grand air, l’émerveillement de se sentir en lien avec les éléments – le vent, les arbres, la terre, le soleil, la pluie, les rivières – la marche m’a appris que notre corps était probablement l’outil le plus puissant pour ramener notre attention sur le moment présent. D’où la sensation de calme et d’apaisement qui en découle.

Linda Bortoletto, sur son profil Facebook

Il va sans dire que de telles considérations figurent certainement dans le contenu des ateliers payants de l’aventurière. C’est ainsi, il faut donner beaucoup d’éléments gratuits pour espérer, paraît-il, attirer des clients. Je ne sais pas s’il faut s’en réjouir ou en pleurer. Transformer sa vie en business model. Il serait facile de s’en moquer. Ceux, surtout, qui ont un job, un bon salaire, qui ont hérité de quelque chose, pourront à peu de frais critiquer les efforts de cette randonneuse adepte du yoga et du cacao. Mon coeur se serre quand je vois le sourire de ma Facebook friend que je n’ai jamais vue.

J’espère en tout cas que ses « retraites Expansion » lui rapporteront beaucoup d’argent car elle le mérite, au vu de la débauche d’énergie qu’elle investit dans sa petite entreprise de spiritualité portative :

La semaine dernière, j’étais en vadrouille dans les Pyrénées Orientales pour ressentir de mes propres pas l’énergie des lieux. Quand je suis arrivée dans la ferme catalane où se passeront mes retraites Expansion, je me suis dit, émerveillée : « Ouahhh ! Quelle beauté et quelle tranquillité ! Quelle énergie sublime ! »

Linda Bortoletto sur son profil Facebook

James Salter, une littérature de petit mec

Je voulais lire Et Rien d’autre, de James Salter depuis longtemps, influencé par la presse élogieuse et les reportages dithyrambiques qui ont accompagné la parution de ce roman.

On nous dit que James Salter est un des meilleurs écrivains américains (il est mort en 2015). Moi, je suis d’accord que c’est bien écrit et que la lecture est très plaisante. Salter a une façon de raconter les histoires sans intrigue, sans ordre perceptible. Comme dans un rêve, des bouts de récits et de souvenirs s’enchaînent et finissent par prendre corps Dieu sait comment.

C’est très bien mais on lit cela depuis Tchekhov, et les Américains comme Raymond Carver excellent dans cet art poétique depuis longtemps. Le grand Hemingway faisait cela aussi dans ses grands romans.

Ce qui gêne la sagesse précaire, dans Et rien d’autre, c’est le rôle joué par les femmes et par le sexe.

Le roman raconte l’histoire d’un homme qui, après avoir fait la guerre dans la marine, devient éditeur à New York, gagne plutôt bien sa vie, boit beaucoup d’alcool et passe son temps dans les restaurant et autres lieux ennuyeux. Il se marie quand il est jeune, puis il divorce. Il a une maîtresse à Londres, puis une dans la campagne américaine, et encore après une autre ailleurs, et enfin, à la fin de sa vie, il rencontre une jolie trentenaire.

Ce qui embête la sagesse précaire, c’est de se trouver devant une littérature de mâle, écrite par un mâle pour les mâles, éditée et publiée par des mâles. Ce qui me plaisait tant dans la lecture d’Elena Ferrante, c’était notamment d’entrer dans la psychè de filles et de femmes. Dès le début de la lecture de James Salter, je retrouve la vieille indifférence aux femmes

On me dira que le femmes sont omniprésentes dans Et rien d’autre, mais je suis dans l’incapacité de les différencier les unes des autres. A part leur prénom, je ne vois pas ce qui les distingue. James Salter est un écrivain qui parle toujours de la même manière des épouses, des maîtresses, des belles inconnues et des vieilles connaissances. Entre Christine et Enid, je ne vois aucune différence, ni physique, ni sur le plan de la personnalité. Quel contraste avec les amants de la narratrice d’Elena Ferrante, qui sont si singuliers, si riches en couleurs et en description.

J’ai lu ces deux auteurs en même temps, pour ainsi dire, pendant les mêmes vacances, lors du même voyage. C’est pourquoi je les entremêle et les compare tant.

La scène centrale d’Et rien d’autre est un dialogue entre le héros et sa maîtresse Christine. Cette dernière compare le plaisir du sexe avec celui de la prise d’héroïne. Le héros se sent un peu con car il n’a jamais essayé l’héroïne, et voici ce que les personnages se disent :

Je n’ai pas envie que tu penses que je suis juste un gentil garçon.

Tu n’es pas un gentil garçon. Tu es un homme, un vrai. Et tu le sais.

Tour ce qu’il avait voulu être, elle le lui offrait.

Et rien d’autre, p. 283.

Voilà. Tout tourne autour de l’ego d’un petit monsieur qui est obsédé par l’idée d’être un vrai mec. C’est quand même extrêmement pauvre.

Mon terrain cévenol : pas de frontières, mais un coeur

Je me suis rendu en Cévennes avec Ben et ses trois garçons, comme chaque été, et avec un Philippe célibataire qui avait envoyé femme et enfant à l’étranger.

C’était une bonne chose de pouvoir fouler une dernière fois mon terrain avant de partir pour l’Arabie. Mes cerisiers sont toujours vivants, malgré la sécheresse de cet été, et la source n’a cessé de s’écouler et de faire une boue délicieuse pour les sangliers.

Ma source d’eau pure à laquelle je bois avec un plaisir si inapproprié qu’une nuit, dans la cabane, j’ai rêvé que je faisais l’amour avec Brigitte Bardot. Celle de 1965, pas celle de 2015. Je pense que ce rêve était associé à ma source et à mon terrain car la bouche de BB était fraîche et abondante. Mes terres cévenoles, je les envisage comme un jardin d’amour, une oasis torride cachée dans la forêt. Les Brigitte Bardot du XXIe siècle y viendront se reposer et se ressourcer, à mes côtés ou en mon absence.

Mes amis ont donc eu l’opportunité de fouler cette terre, chacun ayant ses rêveries et ses intérêts propres. Ils savent quoiqu’il en soit qu’ils y seront toujours les bienvenus pour des vacances en famille, des retraites spirituelles et des escapades (il)légitimes. Mais pendant que Ben réfléchissait aux potentialités concrètes des lieux découverts pas à pas, Philippe ressentait une gêne. Il voulait savoir exactement où commençait, où finissait mon terrain, et la raison pour laquelle j’étais incapable de lui donner satisfaction.

Je lui disais là-bas, grosso modo, on est plus ou moins sur mes terres.

Et ce rocher, par exemple, sur notre droite ?

Bon, eh bien ce rocher, on va dire que c’est plutôt hors de mon terrain.

Mais là où nous marchons, c’est chez toi ou pas ?

Ah oui, nous sommes chez moi, là, les gars.

Tu en es sûr ?

Oui, pour moi on est chez moi. Dans mon coeur, je suis convaincu qu’on est chez moi.

Ce langage ne peut pas convenir à Philippe. Ce dernier n’a jamais vu les plans du cadastre, donc il est dans l’obscurité la plus totale. Moi, j’ai plusieurs fois exploré la montagne les plans à la main, soit avec mon frère, soit avec l’ancien propriétaire qui m’a vendu ces parcelles. A chaque arpentage, chaque promenade, les limites restaient peu claires, mais cela ne me dérangeait pas. Nous savions que les lieux de vie les plus significatifs (la source et les terrasses plates propices au jardinage) étaient bien situés sur lesdites parcelles, et rien d’autre ne m’importait.

C’est là que j’ai perçu une différence fondamentale entre Philippe et moi. Il disait souvent : « mais où est-il ce terrain ? » comme Henri Michaux sur le fleuve Amazon : « Où est-il ce voyage ? » Certains pensent que la première chose à faire, quand on achète un bien, est de le délimiter et éventuellement de l’encadrer par une barrière ou une corde. Pour ma part, je ne vois pas l’intérêt de faire une chose pareille. Je me contente d’une frontière floue, à la limite de l’inexistence.

Il faut dire que la première fois que nous sommes allés sur mon terrain avec Philippe, sa femme et son fils, nous nous sommes perdus dans la forêt et ne l’avons jamais trouvé. On avait garé la voiture sur la route du Puech Sigal et notre idée était d’atteindre le terrain en descendant par la forêt du haut, chemin que je ne connaissais pas bien. Après une heure d’égarement, je leur ai dit que nous essaierions le lendemain, en montant depuis le terrain de mon frère. Je maîtrise mieux la géographie par le bas, c’est ainsi.

Depuis, quand on parle de mon terrain, Philippe n’est pas négatif mais il énonce calmement qu’il faudrait encore savoir où il se trouve. C’est ici que je vois cette différence entre lui et moi. Une différence métaphysique. Pour Philippe, un être a besoin d’être délimité pour être. Ceci ne s’applique pas dans le cadre de la sagesse précaire.

Dans la métaphysique de la sagesse précaire (au livre gamma bien sûr, mais on peut trouver la même idée dans le delta et bien d’autres livres), certes un être a besoin d’être individué pour être, mais son individuation ne passe pas par sa délimitation. Il s’agit plutôt d’une présence immanente et rayonnante, qui irradie depuis son milieu. Je me tue à le dire, l’individuation est une question d’événement, et non d’espace-temps.

J’avais avancé une idée équivalente à propos des oeuvres d’art, des livres et des films, ce qui compte dans un lieu ce n’est pas son confin mais son coeur. Ce qui le distingue de son voisin ce n’est pas sa frontière, contrairement à ce que l’on dit trop souvent.

L’identité de mon terrain tient dans sa source et les terrasses qui se trouvent en contrebas. Tout le reste c’est de la friche. De la friche essentielle, mais de la friche. De la forêt, du bois, de la montagne. Une montagne indispensable pour la venue au monde de mon oasis érotique, site incontournable, mais non équivalent avec mon terrain.

Laissez venir à moi les femmes savantes

Molière se moque des femmes qui ont des prétentions intellectuelles. Je regardais Les Femmes savantes avec Hélène, qui a des qualités intellectuelles indéniables. Molière peut dire ce qu’il veut, celles qu’il poursuit de ses moqueries étaient pour certaines de merveilleuses personnes qui ont beaucoup apporté à la culture française.

Tenez ! Quelques années avant et après la création des Femmes savantes (1672), Madame de Lafayette faisait paraître La Princesse de Montpensier et La Princesse de Clèves. C’est ainsi qu’une « Précieuse », sans faire de vague et gardant l’anonymat, révolutionnait l’art du roman pendant que la cour se gaussait de Bélise et de Philaminte.

Plus je fréquente des femmes docteurs, des femmes doctorantes, des femmes professeurs, des femmes scientifiques, plus j’aime les femmes en général et l’humanité tout entière. Ce que je trouve émouvant dans les personnages de Molière, c’est leur désir de savoir, de s’élever, d’être autre chose qu’une femme. Au fond, le plus ridicule des personnages, c’est le snob Trissotin, qui s’intéresse davantage à l’argent d’une éventuelle héritière à épouser qu’à la grandeur d’âme de la maisonnée où il s’incruste.

Alors je sais qu’il ne faut pas généraliser, mais la sagesse précaire est à deux doigts de décréter que :

1- Les femmes savantes sont sensuelles, sexy et douces au contact.

2- Elles sont drôles et piquantes.

3- Certaines d’entre elles savent même faire la cuisine (mais ce n’est pas la majorité de celles que la sagesse précaire soutient).

4- Vivre auprès de femmes intellectuelles aide à se sentir bien dans la vie, car elles apportent tout ce dont un sage précaire a besoin.

Intervention (2) Femmes sujet de l’art

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Deuxième intervention au centre Charlie-Chaplin de Vaulx-en-Velin, à côté de Lyon. Cette fois, je parlais des femmes sujets de l’art.

J’ai voulu commencer avec Sonia Delaunay. Ses rythmes, ses toiles abstraites qui cherchent la cinesthésie, la correspondance entre les sens. Comment rendre le rythme par l’image. Mais surtout, à mes yeux, Sonia Delaunay, c’est la grande dame d’un projet qui me fait rêver : La Prose du Transsibérien, le livre-poème de Blaise Cendrars.

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Là aussi se pose la question du rythme, du voyage, du chemin de fer : comment rendre la vie saccadée des trains en poésie, en peinture, en livre ? Je donnerais cher pour avoir un fac-similé de cette oeuvre de 1913. Il paraît que Cendrars, pour écrire ce texte, n’a jamais mis le pied dans le fameux train.

Or, Sonia Delaunay, c’est encore de l’art moderne. Là où les femmes se sont révélées le plus, c’est dans l’art contemporain. Cela peut paraître paradoxal, mais pas pour ceux qui, comme le sage précaire, pensent que les femmes se distinguent davantage par leur intellectualité que par leur sensibilité. Les femmes ont pris d’assaut les ouvertures de l’art contemporain pour y imposer leurs gestes, leurs concepts, et ont créé des espaces nouveaux pour mettre en scène leurs peurs, leurs désirs, leurs fantasmes.

Louise Bourgeois, par exemple, propose de gigantesques araignées. Leur titre ? Ma mère. Spontanément, on pense que les relations familiales étaient tendues. Or, l’artiste dit un jour : « Ma mère était ma meilleure amie. Elle était aussi intelligente, aussi patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu’une araignée. »

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Par cette déclaration, on comprend que l’araignée doit être appréhendée avec tendresse et intelligence. Après tout, c’est vrai qu’une araignée est une pure merveille : légère et fragile, elle tisse des chefs d’oeuvre de textile, silencieusement. C’est vrai qu’elle est propre et patiente, l’araignée. Qu’elle est élégante et admirable.

C’est à cela que sert l’art, incidemment, revoir les choses dans une lumière nouvelle. Débarrasser les choses de leur image stéréotypée. Ma mère cette araignée, brodeuse et tricoteuse, nourricière et minutieuse.

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Une autre femme se veut moins minutieuse, et moins patiente. Niki de Saint Palle entre avec fracas dans la carrière avec des oeuvres cibles, des tableaux qui suintent de peinture quand on leur tire dessus à la carabine. Devenue célèbre avec ses peintures-cibles, elle crée de grosses sculptures féministes qu’elle baptise « Nanas ».

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Colorées, monstrueuses, maternelles, provocantes, les Nanas de Saint Phalle bouffent la vie et n’ont pas le temps de chercher à plaire. Elles nous engloutissent et ne nous demandent pas notre avis, comme ces femmes séductrices qui prennent les hommes, et qui n’attendent pas qu’on leur fasse la cour.

Ann Hamilton, le texte du textile

J’ai tenu à mentionner ma préférée de toutes, l’artiste américaine Ann Hamilton, née en 1956. Le Musée d’art contemporain de Lyon (MAC) lui avait consacré une rétrospective en 1997. À cette époque, j’étais employé par le musée comme animateur-conférencier. C’est un de mes plus beaux souvenirs d’art contemporain. Ce fut un véritable privilège de travailler pour cette exposition, même si je fus payé à coups de lance-pierre. Déjà à l’époque, le sage précaire se faisait allègrement exploiter et se donnait sans compter.

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Les trois étages du musée étaient consacrés à l’oeuvre de l’artiste américaine. C’était phénoménal, gigantesque, presque exhaustif. En plus des oeuvres passées et des traces diverses des anciennes performances et autres installations, Ann Hamilton avait aussi créé des installations in situ.

Pour nous, animateurs, c’était un bonheur sans précédent de concevoir ces visites qui étaient autant de déambulations dans l’imaginaire d’une femme. Jour après jour, nous trouvions toujours plus de cohérence et de complexité dans le défilement des oeuvres et leur mise en écho.

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Au deuxièmes étage, elle avait créé Bounded, une installation où elle brodait autour des symboles de la ville de Lyon : la soie, les métiers à tisser Jacquard, l’église catholique. Une grande installation rigoriste et sévère, immaculée de blanc, un espace austère et minimal, où l’on reconnaissait vaguement la forme des métiers à tisser face à un mur blanc.

"Bounden", d'Ann Hamilton. Lyon, 1997.

Or, en s’approchant, on aperçoit des gouttes d’eau qui suintent du mur et dégoulinent. Hamilton avait créé un mur qui pleure, un mur en larme. Les rideaux aux fenêtres ainsi que sur les cadres étaient brodés de textes. Le texte était, je crois, le monologue de Molly Bloom dans Ulysses de James Joyce. Les rayons du soleil servaient de projecteur du texte sur le mur, et la tristesse du texte faisait pleurer le mur.

Ann Hamilton, détails.

Au dernier étage du musée, un seul grand espace sans mur. Entre les spectateurs et le plafond, l’artiste a tendu un ciel de soie orange, tiré par un moteur pour créer un effet de vagues. Au dessus de ce ciel orange, une chaise d’arbitre trône et un personnage déroule une bandelette qui entoure sa main, et fait passer cette bandelette des étages supérieurs aux étages inférieurs.

"Mattering", d'Ann Hamilton. Lyon, 1997.
« Mattering », d’Ann Hamilton. Lyon, 1997.

Le MAC de Lyon étant infiniment modulable, on avait percé un trou dans les planchers pour faire passer la bandelette du plafond jusqu’au rez-de-chausée, où elle s’entassait en un gros tas qui s’agrandissait au fil de l’exposition.

Quand nous faisions visiter nos groupes, les gens s’interrogeaient sur ce gros tas de bande bleue, qui n’était rien d’autre que la bande encrée des machines à écrire. Nous en parlions avec les visiteurs d’une oeuvre abstraite qui se suffisait à elle-même, sans dévoiler que nous retrouverions ce fil bleue au second et au troisième étage.

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Aucun artiste ne m’a marqué autant qu’Ann Hamilton. L’exposition était d’une richesse infinie, et les installations étaient toutes ludiques, sensibles et intelligentes. J’ai tout appris de l’art à cette époque, dans cette exposition.

J’ai terminé ma conférence avec les oeuvres de mon amie Chen Xuefeng, qui était présente dans le public. J’ai déjà beaucoup écrit sur son travail. Par pudeur, je n’en dirai rien ici.

De la mort à l’amour

Le hasard a bien fait les choses. Le jour même de la mort de mon père, arrivait dans ma ville natale la femme que j’aime. Nous nous sommes rejoints le soir, dans un bel appartement de la Croix-Rousse.

Nous avons passé de belles journées, de belles soirées et de belles nuits.

Je suis passé du corps vieilli, malade et cadavérique de mon père, au corps magnifique, plein de jeunesse et de santé, de celle qui peuple mes rêves. Je me suis repu d’amour physique, de beauté, de fraîcheur. J’ai bu à cette source comme on boit à une fontaine de jouvence.

Je n’oublierai jamais cette journée, qui a débuté avant le lever du soleil, à veiller le corps jaune de mon père, et qui s’est terminée dans une chambre coquette, à aimer ton corps éclatant de blancheur

La vie s’est révélée digne d’elle-même, plus forte que la mort, merveilleuse et grandiose. La vie ne se laisse pas abattre par le chagrin et la détresse, et ça, c’est mon cadeau de noël de 2013.

Femmes, devenez clientes de prostitués

Quand on parle de prostitution des hommes, le sujet devient passionnant. Qui ne voit qu’il y a là une gigantesque promesse de développement économique ? Qui ne voit l’immense marché que constituent les femmes insatisfaites, seules et mal accompagnées, en perte de confiance et en recherche de quelque chose ? Plutôt que de se perdre dans la religion, la bouffe, l’alcoolisme, la maternité ou le travail excessif, elles devraient essayer la prostitution avec des mâles à l’écoute. Leurs caresses, le contact avec leur sexe en érection, leurs regards langoureux, pourraient aider ces femmes à se sentir mieux dans leur corps.

Je le pense car c’est ainsi que mes passages chez des prostituées m’ont aidé, dans des périodes creuses de ma vie. La prostitution n’est pas une solution finale, c’est une aide possible. Cela coûte cher, c’est vrai, mais beaucoup moins que toutes ces médecines de charlatans qui gagnent des fortunes sur la crédulité des clients. La prostitution, plus que la plupart de ces traitements alternatifs, mérite le titre de « médecine douce ». Elle ne règle rien, mais elle apporte du bien-être.

La sagesse précaire est un humanisme. Le sage précaire est un loup pour l’homme. Le sage précaire est un ami des femmes. Il milite pour que les femmes se libèrent des millénaires d’oppression qui les ont conduites à prétendre qu’il leur faut des sentiments pour pouvoir jouir. Les femmes doivent apprendre à compartimenter leur vie affective et sensuelles, comme savent le faire les hommes, pour leur plus grande satisfaction.

Elles doivent apprendre à se dire : je paie ce mec, il va me dire que je suis belle sans le croire vraiment, il va bander pour moi sans me désirer vraiment, il va simuler son intérêt pour moi et c’est de cela dont j’ai besoin en ce moment. Tout cela sera réalisé sous forme de contrat et d’échange d’argent, et ça va me faire du bien. Après, je retournerai vers mon mari, qui n’est pas un mauvais bougre, mais qui est très emmerdant en ce moment. Et puis j’oublierai pendant une heure ou deux, dans les bulles de vin mousseux et dans les déhanchements de cet homme qui me caresse, ces insupportables mioches que j’ai mis au monde pour une raison qui m’échappe aujourd’hui.

Une fois qu’on a établi cette évidence, que les femmes méritent autant que les hommes de pouvoir se payer des putains, une double problématique émerge, qui exigera des générations pour être bien circonscrite.

1 – Qu’attendre concrètement du prostitué (compte tenu que bander, pénétrer et éjaculer demande plus d’investissement libidinal que se laisser pénétrer) ? Quels services proposer, pour quelle durée, pour quels prix, etc.

2 – Et inversement, du point de vue des travailleurs du sexe, qu’apporter aux clientes, sachant qu’aujourd’hui encore, les femmes sont plus difficiles à satisfaire que les hommes ?

Sur ces deux derniers points, il faudra beaucoup de billets, et beaucoup d’expérimentation.

Le sage précaire se prostitue

Le débat sur la prostitution a pris, en France, un tour dogmatique et affreusement moralisateur. Des gens, qui s’auto-proclament féministes, postulent que la prostitution est mal et qu’il faut l’éradiquer. Ces gens sont dangereux et devraient être invités en présence de contradicteurs, dans les médias traditionnels. Le risque existe qu’ils soient entendus par une jeunesse influençable, et qu’ils découragent celles et ceux qui projettent de s’investir dans le service sexuel honnête et rémunérateur.

Je passe sur la loi qui sanctionne le client, cela est secondaire et ridicule. La vraie question, du point de vue de la sagesse précaire, ce n’est pas de trouver les meilleures solutions pour éradiquer la prostitution, mais au contraire de la libéraliser, d’en tirer tous les profits possibles pour la communauté entière, tout en la protégeant, au même titre que toutes les activités professionnelles.

Surtout, on oublie trop souvent qu’il y a encore une marge de progression immense dans ce secteur d’activité. Tous les rapports le disent, 98 % du personnel est féminin. Cette inégalité sexuelle est inacceptable. Il faut prendre des mesures pour inciter les hommes à se prostituer, et encourager les femmes à consommer. Si l’on veut que l’économie française reprenne du poil de la bite (jeu de mot), nous devons nous remonter… les manches. Achetez français et baisez français, c’est le slogan de la sagesse précaire, qui se découvre moins cosmopolite, plus patriote qu’elle ne le croyait elle-même.

Lutter contre l’esclavage, le trafic des corps, et au contraire, encourager l’esprit d’entreprise des prostitués, c’est le grand projet que le XXIe siècle attend en Europe. Il nous faut donc, pour ce faire, valoriser les clients, et non les sanctionner. Clients, la sagesse précaire vous soutient dans votre volonté de redresser… le PIB et le pouvoir d’achat des ménages. Vous êtes des consommateurs comme les autres, et grâce à vous, l’argent sort des coffres forts pour circuler plus librement.

Nous devons faire de notre pays le haut lieu de la culture du service sexuel, au moment même où nous sommes distancés par des pays aussi peu sexy (dans l’imaginaire globalisé) que l’Allemagne.

J’ai déjà été client de prostituées et n’ai aucun problème pour le dire. Je recommande à tous ce type d’expériences. On me dit que c’est facile à dire quand on est client, mais qu’il faut penser aux pauvres être qui se prostituent. Je recommande donc qu’on se prostitue plus librement. J’avais envie d’écrire un billet pour dire que le sage précaire était d’accord pour se prostituer, mais je me suis aperçu que ce billet existait déjà.

Il date d’octobre 2011 et s’intitule De la prostitution dans la sagesse précaire. Je n’ai rien à modifier à ce que j’ai écrit il y a deux ans. La seule différence est qu’à l’époque, je disais que j’aurais pu me prostituer si j’étais plus beau et plus « doué pour les choses du sexe ». Mais après tout, qui suis-je pour juger ? C’est aux clientes de le dire si je ne suis pas assez beau, ni assez satisfaisant au lit.

(Je dis « au lit », mais je précise tout de suite que la chose peut se passer ailleurs, en fonction des fantasmes de la cliente, et après négociation.)

Alors je passe à l’acte. Mes tarifs, je les cale sur ceux de cette étudiante, prostituée « occasionnelle » qui a témoigné dans lemonde.fr. Elle prend 300 euros de l’heure, choisit ses clients sur internet, exige une photo, annonce ce qu’elle fait et ne fait pas. Par exemple, elle refuse de faire des fellations, car pour cette pratique, elle a besoin « d’être amoureuse ». Bizarre, non ? Moi, je suis nouveau dans le business, je me demande s’il y a des choses que je ne peux faire qu’en étant amoureux.

Aujourd’hui, par exemple, je suis très amoureux, d’une femme qui me rend heureux. Il faudrait peut-être que je lui demande s’il y a des pratiques qu’elle voudrait voir exclues de mes prestations avec les clientes.

Mon coeur de cible, si je puis dire, ce sont d’abord les femmes qui sont contre la prostitution. Celles, de tous âges, qui militent contre elle. Interdire, interdire, elles ont la passion de l’interdiction. Il doit y avoir quelque chose de sexuel là-dessous. Venez essayer cette chose qui vous répugne tant, le sexe tarifé, avec un homme qui est libre de mettre son corps à votre service. Aucune mafia ne le force à le faire.

Le sage précaire vous ouvre les bras, pour 300 euros de l’heure (500 pour deux heures, prix spécial pour vous). Vous verrez que l’acte prostitutionnel peut être tendre, noble et enrichissant pour l’esprit.