Ramadan 2025 : encore un effort vers la sagesse

Photo (c) Hajer Thouroude, mars 2025, Munich

Je m’aperçois, en ce début de ramadan, que mon billet précédent était inopportun. Il contenait des critiques qui, bien que fondées, n’avaient peut-être pas leur place en cette période. C’est une chose que mon épouse me rappelle souvent : pendant le ramadan, on doit veiller à la pureté de ses paroles. Il lui arrive parfois, à ma chère et tendre, de commencer à dire du mal de quelqu’un, puis de s’interrompre brusquement : « Non, je ne dois rien dire, pas pendant le Ramadan. » Cette discipline, je l’admire et je tente moi aussi de la cultiver.

Je ne retire pas le billet en question, car ce que j’y écris sur Michel Onfray a sa place dans la réflexion que je mène sur la littérature de voyage depuis vingt ans et qui se manifeste par la myriade de billets épiphaniques et scrupuleux sur ce blog même. Néanmoins je regrette d’avoir publié cet article précisément en ce mois sacré. Cette prise de conscience me ramène à une réflexion plus large sur le ramadan et ses bienfaits.

Lire aussi : Les bienfaits du ramadan

La Précarité du sage, 2022

J’ai déjà écrit, il y a quelques années, un billet sur les vertus du jeûne, et je ne vais pas me répéter ici. Cette année, le Ramadan 2025 a une saveur particulière pour moi. Il m’apporte un bien-être que je n’avais peut-être jamais autant ressenti auparavant. L’an dernier, je l’avais mal commencé, pris au dépourvu que j’étais à cause de notre vie nouvelle à Munich. Cette fois-ci, je l’attendais avec impatience. Je l’avais préparé, à la fois mentalement et matériellement. J’ai anticipé, fait quelques provisions, cuisiné à l’avance pour éviter la faim des longues journées de jeûne.

Et les effets se font sentir. Physiquement, je me sens remarquablement bien. Je me lève tôt, reposé, concentré dans mon travail. Mon sommeil, cette année, est particulièrement harmonieux. Après le repas du soir, je ne cherche pas à prolonger la nuit. Vers 21h30, je me prépare à dormir, ce qui relève d’une certaine discipline. Mais cela me permet de me réveiller bien avant l’aube, en pleine forme, sans cette sensation de manque de sommeil qui peut parfois accompagner le jeûne.

Chaque ramadan apporte son lot d’enseignements pour soi et pour son rapport avec son corps. Un jour, peut-être, quand je serai vieux, j’aurai appris à l’accomplir avec une sagesse absolue, tel un samouraï de la pensée. Pour cela, il me faudrait un ermitage – une petite mosquée que je vais bâtir de mes mains, quelque part dans les montagnes cévenoles, là où ma source m’attend, là où ma terre, délaissée, espère encore mon retour.

S’installer dans le mois du jeûne et se croire guéri du mal

Alors que ce n’est même pas vrai

Je vous raconte rapidement

Le deuxième jour du ramadan fut plus heureux que le premier. Le premier jour de jeûne fut très pénible à cause de la réaction violente de mon corps au régime nouveau auquel je ne l’avais pas préparé.

Si j’étais mystique, je dirais que mon corps s’est révolté toute la journée sous l’influence de satan ou des démons qui refusaient violemment la bonté du jeûne et de la prière. De ce point de vue, le jeûne opère à la fois comme révélateur du mal en soi, et comme arme de combat contre lui. Le mal se voyant menacé, il refuse la défaite et vous utilise comme instrument de sa révolte : fatigue, énervement, faim, soif, déprime, perte d’équilibre, accident, chute, tentation, sommeil, vous passez par toutes ces étapes parce que le mal, en vous, cherche à vous faire rompre le jeûne et vous ramener vers la vie de pécheur jouissif et oublieux qui a toujours été la vôtre.

Le deuxième jour de jeûne, déjà, a vu le sage précaire beaucoup plus serein et de bonne humeur. Peu de fatigue, moins de déprime. Peu de soif ni de faim. Une sensation diabolique d’envie, cependant, dans la délicieuse boulangerie qui se trouve à côté du supermarché Aldi. Les retraités prenaient des viennoiseries à se damner et ils commandaient des cafés noirs à consommer sur place. Il était neuf heures du matin, je jeûnais depuis cinq heures et en temps normal je me serais laissé tenter aussi. J’ai pris cette sensation d’envie aigüe comme une épreuve du ramadan : rappelle-toi comme on souffre quand on est dans le besoin et que les autres profitent de la vie. Arrête d’envier ces gens et concentre-toi sur ta lecture. Pour ce faire, trouve-toi un espace sans odeur de bouffe et sans bruit. La Bibliothèque ! Dieu merci, les bibliothèques existent. Retour instantané de la bonne humeur.

Un candide pourrait croire hâtivement le mal dompté et soumis à la puissance du jeûne et de la prière, mais ce serait présomptueux. Non, soyons réaliste, le sage précaire n’est pas devenu un homme bon en une journée, il n’a pas soumis ses démons du mal en 24 heures. D’ailleurs, dans sa voiture avec sa moitié, il a encore dit des choses malveillantes sur des gens, il a traité de con un automobiliste, et il a crié F**k *ff! à un cycliste qui avait failli causer un accident.

Ce qui est plus probable, c’est que le génie du mal a compris que ce n’était que du jeûne et qu’il ne courait pas un danger extrême dans la peau du sage précaire.