Liseuse, Facebook, portable, blog : l’éternel réflexe technophobe

Ces conversations sur la liseuse numérique nous rappellent celles que nous avions autrefois vis-à-vis de chaque nouvelle technologie qui entraient dans nos vie.

Rappelez-vous les années 90 et 2000, vous n’aviez pas encore de téléphone portable. Rappelez-vous ce que vous disiez des téléphones portables. Je m’en souviens bien, moi, car mon amoureuse m’en avait offert un en cadeau de rupture. Les gens disaient jusqu’en 2002 ou 2003 qu’ils n’en posséderaient jamais, et ils trouvaient de nombreux arguments contre cet instrument inoffensif. Ils disaient que cela encourageait la frime, le narcissisme, l’infidélité, le manque de fiabilité et tous les vices de Sodome et Gomorrhe.

Et bien entendu, comme d’habitude, ils reprochaient au portable un manque d’authenticité. L’authenticité est toujours invoquée quand il s’agit de dénigrer une technologie, quelle qu’elle soit.

Lorsque l’usage du mobile a vraiment progressé, il s’est trouvé des « résistants » auto-proclamés qui annonçaient avec fierté qu’ils n’en avaient toujours pas. J’ai des amis qui organisaient des repas entre mobile free people. Je ne sais pas s’ils avaient d’autres points communs entre eux que de préférer le téléphone fixe au téléphone portable. Mais à l’époque, ils faisaient leur petit effet, en soirée, quand ils faisaient part de leur particularité.

La même attitude se retrouve aujourd’hui avec les réseaux sociaux. On peut encore frimer en disant : « moi, Facebook, connais pas ». Ce qui n’empêche pas, en général, de se plaindre d’un réseau social trop restreint, car l’attitude technophobe est fondamentalement illogique.

Rappelez-vous encore les débuts d’internet en France. C’était surréaliste de connerie, ce qu’on entendait dans les « médias traditionnels ». Des imbéciles professionnels tels que Philippe Val, dans les colonnes de Charlie Hebdo, ou sur les ondes de la radio, déversaient une haine incompréhensible et obscurantiste contre les sites ouèbe. Puis ils s’y sont fait et n’y trouvent plus rien à redire.

Et les blogs alors ? Encore aujourd’hui, j’aurais honte d’avouer que j’ai un blog, si je n’étais pas un sage précaire, et que je n’avais pas encore bu toute honte. Le blog est, dans l’esprit des technophones de la décennie 2002-20012 l’exact synonyme de mauvaise écriture, style relâché, absence de forme, indigence intellectuelle, nombrilisme et, pour faire bonne figure, inauthenticité.

La liseuse électronique n’est qu’une pierre de plus à l’édifice des techniques qui ont été snobées avant d’être adoptées.

 

La liseuse de mon père

Quand mon père a commencé à se faire vieux, il avait des difficultés pour lire les livres et les journaux. Il fallait des loupes, des lumières, des lunettes.

Un jour je lui ai présenté ma liseuse électronique. Mon père n’était pas doué avec les nouvelles technologies, mais il n’était pas technophobe non plus. Sans a priori, il s’est emparé de ma liseuse et l’a considérée sans enthousiasme particulier.

Très vite, il a compris qu’on pouvait agrandir la taille des lettres. Son oeil s’est soudain éclairé. Voilà un progrès utile ! Il a vu ensuite que l’on pouvait télécharger gratuitement de nombreux classiques du répertoire et se faire à moindre coût une bibliothèque légère et facilement lisible.

Je lui ai prêté ma liseuse pendant un ou deux mois, le temps qui nous séparait de notre prochaine rencontre. Plutôt que d’acheter un objet électronique sur un coup de tête, autant l’avoir en main quelque temps pour s’assurer qu’on en appréciait l’usage.

L’expérience fut concluante. Mon père reprenait goût à la lecture grâce aux livres électroniques. Il relisait Montaigne, Virgile et Saint Augustin. Il prit aussi connaissance de livres contemporains que j’avais achetés et prit bien du plaisir avec Touriste de Julien Blanc-Gras.

Je décidais donc de lui offrir une liseuse sans attendre. Il la reçut par la poste et fut agréablement surpris de ce « Noël en octobre ». Ensemble, nous ouvrîmes un compte chez Amazon et nous téléchargeâmes de nombreux classiques. Il acheta Touriste, du même Julien Blanc-Gras, ainsi que quelques oeuvres complètes. Et il n’a plus quitté sa liseuse jusqu’à la mort.

C’est ainsi que la liseuse est la meilleure amie à la fois des fous furieux de l’existence et des grands-pères en fin de vie.