Le mépris au cœur de l’expérience humaine

La vie et l’œuvre de Golda Meir sont remarquables, comme le démontre ce documentaire radiophonique. Mais ce qui est aussi clairement mis en lumière, c’est son indifférence pour la population arabe vivant là, en Palestine. Pour elle, ils n’existent pas plus que des nuisibles.

On retrouve aujourd’hui chez certains Français et Israéliens cette attitude mentale. Les Palestiniens n’existent pas, il n’y a pas de peuple palestinien, leur souffrance est une donnée historique négligeable. Il suffit de regarder les émissions de télévision financées par l’homme d’affaire Bollorée, qui ambitionne d’unifier la droite et l’extrême-droite. Leurs émissions depuis l’attque du Hamas du 7 octobre 2023 sont un excellent révélateur de ce qu’est, aujourd’hui, l’extrême-droite : considérer les chrétiens et les juifs comme des êtres humains en danger, les arabes musulmans comme des sous hommes, des barbares.

En face, les mouvements de défense pour la Palestine ne donnent pas très envie non plus. On voit des mouvements de foule, des cris, des chants de haine contre Israël qui font mal au cœur. Mépris contre mépris.

Crier Allahou akbar dans les rues de Paris et de Londres, très peu pour moi. Amoureux de la culture arabe et amoureux de l’islam, je ne reconnais pas ce que j’aime dans ces manifestations.

Le pire pour moi est de voir ces amis qui mettent en scène leurs enfants, ici en Europe, et les filment en train de crier des paroles de rejet d’Israël. Un pauvre petit récite sa leçon : « aujourd’hui c’est mon anniversaire mais je ne le fêterai pas parce que des enfants meurent à Gaza. » Les enfants, la sagesse précaire ne s’en soucie guère, mais quel type d’adulte cela va-t-il produire ?

L’éternel mépris pour l’autre semble être au cœur du cerveau d’Homo sapiens. Il doit être indispensable à sa faculté extraordinaire pour l’usage de la violence et sa soif de pouvoir. L’homme nous déçoit. Pas seulement les pro-israéliens et les pro-palestiniens, mais l’espèce humaine dans son ensemble.

Des insectes et des hommes : S’organiser et cohabiter

C’est beau qu’il y ait encore des médias où l’on paye des gens pour réaliser des documentaires de longue haleine sur des sujets aussi peu d’actualité que les fourmis, les termites ou les blattes.

« Des insectes et des hommes (1/4) : S’organiser et cohabiter  » sur https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/des-insectes-et-des-hommes-14-sorganiser-et-cohabiter via @radiofrance

Bien sûr, le documentariste tisse des liens entre la vie des hommes et la vie des insectes, donc on trouvera toujours des liens avec l’actualité. Par exemple ici, dans ce premier épisode d’une série de quatre documentaires, on parle de logements, d’architecture, de coopération entre générations et même entre espèces, toutes choses qui nous concernent directement.

Mais ce que j’admire le plus, c’est la possibilité de proposer des programmes où des entomologistes peuvent parler pendant des heures. Et cela arrive dans la France de Macron.

Liseuse, Facebook, portable, blog : l’éternel réflexe technophobe

Ces conversations sur la liseuse numérique nous rappellent celles que nous avions autrefois vis-à-vis de chaque nouvelle technologie qui entraient dans nos vie.

Rappelez-vous les années 90 et 2000, vous n’aviez pas encore de téléphone portable. Rappelez-vous ce que vous disiez des téléphones portables. Je m’en souviens bien, moi, car mon amoureuse m’en avait offert un en cadeau de rupture. Les gens disaient jusqu’en 2002 ou 2003 qu’ils n’en posséderaient jamais, et ils trouvaient de nombreux arguments contre cet instrument inoffensif. Ils disaient que cela encourageait la frime, le narcissisme, l’infidélité, le manque de fiabilité et tous les vices de Sodome et Gomorrhe.

Et bien entendu, comme d’habitude, ils reprochaient au portable un manque d’authenticité. L’authenticité est toujours invoquée quand il s’agit de dénigrer une technologie, quelle qu’elle soit.

Lorsque l’usage du mobile a vraiment progressé, il s’est trouvé des « résistants » auto-proclamés qui annonçaient avec fierté qu’ils n’en avaient toujours pas. J’ai des amis qui organisaient des repas entre mobile free people. Je ne sais pas s’ils avaient d’autres points communs entre eux que de préférer le téléphone fixe au téléphone portable. Mais à l’époque, ils faisaient leur petit effet, en soirée, quand ils faisaient part de leur particularité.

La même attitude se retrouve aujourd’hui avec les réseaux sociaux. On peut encore frimer en disant : « moi, Facebook, connais pas ». Ce qui n’empêche pas, en général, de se plaindre d’un réseau social trop restreint, car l’attitude technophobe est fondamentalement illogique.

Rappelez-vous encore les débuts d’internet en France. C’était surréaliste de connerie, ce qu’on entendait dans les « médias traditionnels ». Des imbéciles professionnels tels que Philippe Val, dans les colonnes de Charlie Hebdo, ou sur les ondes de la radio, déversaient une haine incompréhensible et obscurantiste contre les sites ouèbe. Puis ils s’y sont fait et n’y trouvent plus rien à redire.

Et les blogs alors ? Encore aujourd’hui, j’aurais honte d’avouer que j’ai un blog, si je n’étais pas un sage précaire, et que je n’avais pas encore bu toute honte. Le blog est, dans l’esprit des technophones de la décennie 2002-20012 l’exact synonyme de mauvaise écriture, style relâché, absence de forme, indigence intellectuelle, nombrilisme et, pour faire bonne figure, inauthenticité.

La liseuse électronique n’est qu’une pierre de plus à l’édifice des techniques qui ont été snobées avant d’être adoptées.

 

Prostitution et journalisme

Prostituées chinoises

Il est ironique de voir les pieux journalistes de Libération s’étonner devant le côté lugubre de la prostitution, car le journalisme moderne fonctionne sur un modèle économique assez proche de celui qui a amené Jade a accepté la brutalité sexuelle de DSK.

Peut-on penser sérieusement que les journalistes de Libération sont payés convenablement ? Qu’avec ce travail digne et prestigieux, ils sont en mesure de loger et nourrir leur famille ?

Prenez le cas du tout jeune homme qui a écrit le reportage sur les prostituées chinoises de Belleville (nord-est de Paris). Il est pigiste donc il est payé à l’article (lorsque celui est publié). Ce reportage lui a été payé moins de 400 euros, et lui a valu plus d’une semaine de travail. On n’infiltre pas un réseau de prostituées chinoises en quelques jours. Une rapide recherche sur internet montre que ce journaliste publie en moyenne un article par mois depuis moins d’un an, il gagne donc trop peu pour se loger à Paris. Vue la teneur de ses articles, il ne bouge guère de Paris, donc il réside chez ses parents, ou ses parents l’aident, ou il bénéficie d’un héritage.

En tout cas, comme la prostituée, sa vie va vite tourner au lugubre s’il ne se sort pas du journalisme avant l’âge de quarante ans.

Ouvrez n’importe quelle chaîne de télévision : le reportage en Afrique de quelques minutes, produit par l’AFP, a été payé 600 euros à un journaliste qui s’est débrouillé pour le transport, l’enquête, le logement, le tournage et le montage. On versera les mêmes émoluments pour un reportage réalisé à deux pas de la boîte de production.

Allumez la radio, le reportage qui vous tient en haleine pendant une heure a demandé des semaines de travail et a été payé 800 euros, sans prise en charge des frais de déplacement.

La question des frais de déplacement est essentielle car elle explique la centralisation de nos médias. Même les émissions de voyage finissent par multiplier les sujets centrés sur la capitale, non parce que c’est intéressant, mais parce que les journalistes ne peuvent plus dépenser la totalité de leur rémunération en frais de transport.

La rémunération des pigistes explique aussi pourquoi les enquêtes sont bâclées et pourquoi le journalisme ne peut plus honorer sa mission d’information : notre reporter de Libération n’a pas « infiltré » de réseaux chinois à Belleville, il s’est borné à prendre rendez-vous avec Médecins du Monde, et en un seul jour son article était virtuellement bouclé. L’association lui a montré ce qu’elle voulait, lui a fait rencontrer qui elle voulait. Ne restait plus au jeune homme, tout juste sorti de l’école, d’écrire pour donner l’impression d’une plongée au coeur des ténèbres urbaines.

prostituees

Alors, franchement, entre la prostituée du Carlton de Lille, qui n’était qu’une mère aimante poussée à bout, et le journaliste prêt à tout pour joindre les deux bouts, je ne vois pas de différence fondamentale. Le même délabrement moral et économique préside à leur destinée.

Mes reportages radio viennent au jour à Lausanne

MARS 2014 195

Les studios de la Radio Télévision Suisse (RTS) se trouvent à Lausanne, près d’un parc qui jouxte le périph’, sur les hauteurs de la ville.

J’y suis allé pour « faire les micros » de mes reportages. C’est moi qui ai voulu me rendre sur place, pour enfin rencontrer les producteurs, animateurs et réalisateurs de l’émission de reportages à laquelle je collabore depuis un an.

MARS 2014 187

La façon de procéder, habituellement, est la suivante : je leur envoie mon reportage par séquences de dix minutes, en les téléchargeant sur un site spécial. Quand les responsables décident de le diffuser, ils confient ces séquences à un réalisateur qui transforme mes sons en un produit fini et audible. Puis le jour de la diffusion du reportage, l’animatrice introduit la chose et propose des transitions entre les différentes séquences. Pour ce faire, quand le reporter est loin, on organise une interview en direct, mais en duplex dans des studios de radio partenaires. L’année dernière, j’avais fait ces duplex chez France Bleu Hérault, à Montpellier.

MARS 2014 223

Cette année, comme il y a un paquet de trois reportages effectués en Californie, je me suis proposé de me déplacer dans la maison mère. J’ai bien fait, ce fut une excellente expérience. Madeleine Caboche, la productrice-animatrice de l’émission Détours, fut charmante avec moi tout le long de mon séjour, ainsi que le furent les autres membres de l’équipe. Avec Carmen et Denis, les réalisateurs, j’ai appris des choses essentielles sur la prise de son et sur la réalité ondulatoire du son lui-même.

MARS 2014 189

C’était un vrai stage de formation pour moi. Je savais qu’être présent, physiquement, dans les studios, enrichirait ma connaissance et augmenterait mes compétences de reporter.

Après ma première journée d’observation, je suis allé me promener jusqu’au centre ville. Dans le parc, on peut monter dans une tour en bois grâce à un escalier à double révolution, comme dans le château de Chambord. Du haut de cette tour, une vue magnifique sur le lac Léman.

Puis les chemins descendent. Lausanne est très agréable pour le piéton. Plus bas, la fondation de l’Hermitage propose une exposition sur l’époque et l’entourage de Diderot. C’était fermé à mon passage.

MARS 2014 203

J’ai descendu les pentes de la ville jusqu’au café où j’avais rendez-vous pour dîner avec Madeleine. Elle me demanda si j’étais bien installé et elle se confondit en excuses de ne pas pouvoir m’héberger chez elle. J’ai prétendu que j’avais réservé une chambre dans un hôtel modeste et que tout allait bien. C’était faux, je n’avais rien réservé, je comptais dormir dans la voiture pour économiser les indemnités que verserait la RTS.

Le lendemain, j’ai continué mon stage d’observation et ai enregistré l’émission en direct, celle qui diffusait mon reportage sur une ferme urbaine au plein cœur d’une ville sinistrée de la baie de San Francisco.

J’adore les ambiances de studio. J’aime la concentration qui s’en dégage, la lumière tamisée, l’équipement technologique qui permet de donner sa plénitude au son.

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Je suis ravi d’être là, en compagnie de Madeleine dont je ne connaissais que la voix jusqu’à présent. Sa voix est très reconnaissable, un timbre très spécial. Il y a une magie des voix. La plupart des voix sont monocordes, celle de Madeleine est chatoyante et presque polyphonique. Quand on écoute une voix, des images apparaissent, en correspondance. Quand j’écoute celle de Madeleine, ce sont des fleurs, comme dans un tableau de l’époque de Diderot.

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Plus tard, nous avons enregistré d’autres « micros » pour d’autres reportages.

Reportage californien (2) Oakland, une ferme dans le ghetto

Ci-dessous le lien de mon reportage radio sur la ferme urbaine d’Oakland, dans la baie de San Francisco.

www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/5679526-detours-du-25-03-2014.html

 

Reportage californien (1) : Nobody Walks in LA

Ci-dessous le lien de mon reportage radio à Los Angeles, diffusé sur la Radio Télévision Suisse.

www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/5683336-detours-du-26-03-2014.html

J’étais en Californie en octobre 2013. Le décalage horaire et la santé précaire de mes parents provoquaient en moi des angoisses épouvantables. En même temps, je bénéficiais d’une chance incroyable, étant logé luxueusement par un gentleman comme on n’en fait plus.

C’est donc dans un état de conscience altéré que je me suis contraint à sortir mon micro-enregistreur et suis allé battre le pavé pour prendre du son. Dans la banlieue favorisée où j’habitais, j’explorais les alentours à pied, j’allais visiter les centres commerciaux, j’essayais de ne pas me ruiner en fruits bio délicieux. En marchant dans les zones résidentielles, je me sentais devenir fantôme, ou pire, rôdeur. Ne pas avoir de voiture vous rend suspect.

En revanche, le bus est très agréable. C’est en prenant le bus que j’ai pensé à cet angle de reportage : comment évoluer à Los Angeles sans voiture ?

En Europe et en Asie, attendre et prendre le bus m’ennuient tellement que je me déplace à vélo la plupart du temps. Ici, dans la culture de la voiture, prendre le bus devient grisant, excitant à bien des égards.

D’abord c’est compliqué. Ces sont des systèmes de pensée à part. Il faut étudier la chose, jongler avec des brochures, comprendre qu’il y a plusieurs compagnies, plusieurs systèmes, plusieurs logiques. Intellectuellement, c’est assez stimulant. Réussir à se rendre d’un point A à un point B apporte une réelle satisfaction d’ordre narcissique. On y est arrivé et on n’en est pas peu fier.

C’est tellement complexe que les compagnies de bus proposent des cours pour se familiariser avec la technique. La brochure le stipule : « Prendre le bus pour la première fois peut être intimidant« , d’où la nécessité d’une session de cours intensifs, adaptée à l’âge et au niveau de l’usager désireux d’en savoir davantage.

Ensuite, les bus sont des lieux passionnants à observer. On y voit des vieux, des handicapés, des femmes de ménage latinas, des gens qui n’ont plus de permis, des gens qui n’en ont jamais eu. Peut-être aussi des gens qui prennent le bus par choix environnemental.

On y fait des rencontres, car les usagers latinos sont plus bavards que les « blancs anglo-saxons ». Une dame du Salvador m’a parlé pendant tout un trajet. Elle est divorcée, ses deux enfants sont grands et mariés quelque part aux Etats-Unis. Elle fait des ménages dans les banlieues huppées et elle rentre chez elle, dans le sud de la ville. Elle n’a pas refait sa vie car « les hommes ne sont pas fiables ». Il y en a trop qui, paresseux, ne cherchent à se marier que pour obtenir des papiers.

Un Latino lit le Los Angeles Times un crayon à la main, et souligne des mots, met des croix un peu partout. Sans doute apprend-il l’anglais par ce moyen, pendant ces longs trajets qui le mènent à ses chantiers d’ouvrier en bâtiment.

Beaucoup de gens dorment. Peut-être sont-ils sous le coup du décalage horaire, comme moi. Car mes yeux commencent à me bruler vers 4 ou 5 heures de l’après-midi.