Comment j’ai publié mon premier livre

Tout a commencé en 2010 ou 2011. J’avais écrit plusieurs livres depuis l’âge de quinze ans mais aucun de ces manuscrits n’avaient trouvé d’éditeurs. À l’approche de la quarantaine, j’étais donc ce qu’on appelle communément un raté. Je travaillais alors sur une thèse de doctorat consacrée à l’histoire et la philosophie des récits de voyage.

Un jour, dans le cadre de mes recherches doctorales, je lis une interview d’un couple d’éditeurs qui sont en charge d’une collection de livres de voyages très intéressants et qui renouvellent, à mes yeux, la littérature ethnologique. Marianne Paul-Boncour et Patrick de Sinety expliquent dans cette interview les attendus de leur collection, ce qui me donne envie de leur proposer ma contribution.

Plutôt que d’écrire un manuscrit et de chercher un éditeur après coup, j’écris d’abord un mail à ces deux éditeurs sans avoir la moindre idée de la moindre ligne d’un manuscrit.

Je leur dis qui je suis et ce que je fais. Habitant en Irlande du nord, je propose un livre de voyage sur cette province magnifique. Comme cette collection s’intéresse à des peuples méconnus, minoritaires et fantasmatiques, je leur parle de communautés nord-irlandaises que je trouve passionnantes, loin des stéréotypes touristiques et journalistiques des Irlandais.

Mon mail semble produire son effet. Je reçois une réponse de Patrick de Sinety qui se dit intéressé par une ligne, au milieu de mon message. Il aimerait en savoir plus sur ce peuple nomade que j’appelle les « Travellers », et il voit tout de suite, en bon éditeur, le potentiel livresque d’une population pareille.

Le plus dur était fait. Un éditeur était ferré. Je pouvais répondre à sa demande en entrant à fond dans son imaginaire d’écrivain voyageur enthousiaste.

Rendez-vous est pris avec Marianne et Patrick à Paris pour discuter de tout cela autour d’un café. Moi, surmotivé par cette perspective, je promets de leur envoyer avant ce rendez-vous un document Word de dix ou vingt pages pour qu’ils se fassent une idée plus précise de mon style d’écriture.

La rencontre est un petit coup de foudre amical entre nous. Je suis d’emblée sous le charme de ces deux trentenaires souriants et intelligents, qui se complètent et s’épaulent. Ils forment le duo le plus efficace et le plus puissant que j’aie jamais vu. En combinant leurs qualités et leurs compétences respectives, ils forment une équipe qui est à la fois visionnaire, rigoureuse, énergique, réfléchie, organisée, enthousiaste, intelligente, prospective, synthétique, empathique et commerciale. Depuis cette époque, j’ai appris que Patrick était décédé dans une noyade et que Marianne avait disparu des radars. Leur collection a disparu avec eux. Revenons à nos moutons.

Comme ils ont lu mes dix pages, ils ont obtenu de leur patron, l’avocat et écrivain Emmanuel Pierrat, de me faire signer un contrat, mon tout premier contrat d’éditeur.

Comme le stipule ce contrat, ils me donnèrent un chèque de 500 euros et la même somme me serait versée à la réception du manuscrit dans sa version finale et approuvée. Je sortis du café dans un état de grande joie.

Il fallut alors battre le fer tant qu’il était chaud et je me mis à enquêter, à écrire, à lire toutes les publications en langue anglaise sur les Travellers irlandais. En français, je ne lisais rien pour une raison simple : il n’y avait rien. Sans abandonner ma thèse de doctorat, je passais mes soirées et mes fins de semaine à composer ce qui allait devenir mon premier livre. Mon excitation ne retomba pas une seconde pendant les mois que dura l’aventure.

Marianne et Patrick allaient extrêmement vite dans leur traitement des chapitres que je leur envoyais. Je pensais leur communiquer des versions préparatoires, à retoucher en fonction de leur ligne éditoriale. Ils me renvoyaient mes chapitres réécrits, corrigés, améliorés et recadrés. Moins d’une année s’est écoulée entre mon premier mail et la parution de mon livre.

Les éditions Cartouche et le renouveau de l’aventure ethnologique

Ce n’est pas un livre, c’est une collection. Tous les livres de cette collection sont des récits de voyage, et tous consistent à aller rencontrer – puis à présenter au lecteur – une minorité ethnique, quelque part dans le monde. Tous possèdent donc le même titre : Voyage au pays des (mettre ici le nom d’un peuple minoritaire).

Le premier fut un voyage chez le Gagaouzes, un peuple turcophone qui vit aujourd’hui en Moldavie. Il y a eu aussi des récits sur les Baloutches d’Iran, les Salars de Chine, les Micmacs du Canada, les Chleuhs du Maroc, les Bobos du Burkina Faso, les Mapuches du Chili, etc.

J’ai découvert cette collection il y a quelques années, lorsque je travaillais sur le Xinjiang, cette région occidentale de la Chine, où les populations non-hans sont musulmanes. Je m’étais procuré Voyage au pays des Ouïghours, de Sylvie Lasserre. Je trouvais rigolo cette idée de donner au récit de voyage l’objectif de présenter un peuple, son histoire et sa vie actuelle, sa façon de résister et de s’identifier. Inversement, je trouvais intéressant que la connaissance des peuples se fasse à travers un récit de voyage et non un essai d’ethnologie, ou de politique internationale.

C’est de l’ethnologie au galop. Avec des références scientifiques pour ceux qui veulent approfondir le truc.

La plupart des auteurs de cette collection sont des spécialistes qui font de ce livre un moment de détente littéraire, une respiration entre deux monographies scientifiques. Le récit sur les Baloutches, par exemple, est écrit par Stéphane Dudoignon, islamologue distingué, spécialiste de l’Asie centrale. Celui sur les Lau des îles Salomon est, de même, du fameux Pierre Maranda, anthropologue canadien qui a travaillé avec Lévi-Strauss en son temps. On compte ainsi, dans le catalogue de ces voyages, des chercheurs au CNRS, des professeurs, des journalistes, et on sent dans leur Voyage un évident plaisir d’écriture, une volonté de jouer avec leur propre savoir, de le transmettre de manière légère et plaisante.

Le genre du récit de voyage possède, il faut le dire, cette particularité de jouer avec la science, et ce sont les scientifiques eux-mêmes qui s’emparent de cette propriété. C’est l’objet d’une autre collection, prestigieuse et ancienne déjà, « Terre humaine », publiée chez Plon depuis 1955. Tristes tropiques de Lévi-Strauss, L’Afrique ambiguë de Balandier, L’Eté grec de Lacarrière, tous ces livres publiés chez « Terre humaine » donnaient à leur auteur la liberté de faire des collages littéraires, des récits non chronologiques, experimentaux voire carrement speculatifs par moments.

La collection « Voyage au pays des … » (Cartouche ed.) est, dans une certaine mesure, la version populaire, rock’n’roll ou BD, de « Terre humaine ». Dans ces guides de voyage, les spécialistes se décloisonnent et donnent libre cours à leur sens de l’aventure, à la loufoquerie de leur imagination.

Cela donne des petits livres de voyage nerveux, joyeux, vivaces, tenaces et cocasses, vite écrits et vite lus.