Le livre de Bernard Ollivier se présente comme celui d’un marcheur, d’un voyageur solitaire qui n’est pas un écrivain. Après Nicolas Bouvier qui avait mentionné cette lacune (pour montrer que c’était en fait une qualité) chez Ella Maillart, cela interpelle le lecteur moyen. Cette fois, pour La longue marche de Bernard Ollivier, on dirait que l’éditeur – Phébus Libretto – en a fait un argument de marketing : ne vous inquiétez pas, ce livre n’est pas une affaire d’écrivain. Comme s’il fallait tourner le dos à la littérature pour vendre des bouquins.
En quatrième de couverture, Pierre Lepape, du Monde, écrit : « B. Ollivier est un voyageur, il ne se prend pas pour un écrivain. Le résultat est qu’il écrit souvent mieux que les écrivains patentés. » Tout est dans « ne se prend pas pour ». Il n’a pas de prétention, il a le coeur pur, sa langue est celle de la sincérité. Il n’y a pas d’effet de style, pas d’effet de manche…
Bien. Mais moi qui lis ce récit de voyage, je peux dire sans hésiter qu’Ollivier est un écrivain, ni plus ni moins qu’un autre. Que pour atteindre cette sobriété, cette simplicité, il faut avoir une solide pratique de l’écriture derrière soi. Sa façon de raconter son arrivée dans le village de Pakhtakor, à l’est de Samarcande, est le fait d’un auteur expérimenté, au sens où il a acquis des techniques de narration et d’expression pour que le lecteur ressente la fatigue du voyageur, la faiblesse qui l’empêche de refuser les invitations répétitives, le besoin de sommeil qui tourne à la torture. Avec des raccourcis qui font que le récit ne quitte jamais un ton plaisant, presque comique.
C’est donc du marketing, et je ne sais si on doit s’en inquiéter : il est plus vendeur de dire que l’écrivain voyageur n’est que voyageur. Que l’écriture n’est qu’un détail pour raconter, mais surtout pas un obstacle entre le lecteur et le paysage. Par là, on définit en creux une image de l’écrivain comme celui qui fait enfler le langage, qui l’encombre, qui fait des phrases. Le voyageur « non écrivain » utiliserait la langue de manière transparente, invisible. Cela est impossible naturellement, tous ceux qui ont essayé d’écrire un carnet de route, un blog ou une histoire quelconque le diront.
Bonne question, Bruce Chatwin, Peter Handke, d’autres écrivains marcheurs ou macheurs écrivains. « Solvitur ambulando » proverbe maure, celà se résoud en marchant. Et encore, il vaut mieux marcher sans savoir où l’on va que de rester assis sans rien faire…
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Oui Totem, encore qu’ils soient reconnus comme écrivains en premier lieu. Le cas, non isolé, de Bernard Ollivier, semble indiquer que la littérature de voyage cherche à séduire un autre public : des gens qui aiment lire mais qui se méfient de la littérature et des écrivains.
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Pour une raison que j’ignore, ce billet a été lu plusieurs fois ce matin, et sa présence inhabituelle dans les statistiques de l’administration de mon blog me l’a fait relire.
Il faudra peut-être changer de titre, car il ne rend pas compte de la problématique esquissée dans le billet, pourtant cruciale pour mes recherches : l’incertaine « littérarité » du récit de voyage.
En attendant, voici la phrase de Nicolas Bouvier sur sa compatriote Ella Maillart, paru la première fois en 1971 :
« La fraîcheur saisissante de l’observation, une langue extrêmement précise, enfin une philosophie du voyage qui permet à l’auteur de vivre son aventure sans trop vouloir la gouverner, remplacent avec avantage la « prétention de faire oeuvre littéraire » et me confirme dans l’idée qu’on a souvent plus de profit à lire les voyageurs qui écrivent que les écrivains qui voyagent. La véritable « connaissance de l’Est » n’est pas toujours du côté que l’on croit et s’il s’agit de faire un bout de route en Asie, je préfèrerai de beaucoup la compagnie d’Ella Maillart à celle de Paul Claudel. »
Oeuvres (Quarto Gallimard, 2004), p.1065.
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j’ai été passionnée tout le long de cette grande marche quand je suis arrivée à 50 pages de la fin je me suis dit que j’allais m’ennuyer après et demandé ce qui pourrait m’intéresser autant après c’est dire !!!!!!!!!!!!!
bien sûr qu’il existe des chefs-d’oeuvre dans la littérature (je pense à mes « idoles » marguerite Yourcenar, Paul Auster, Le Clézio ……..) mais là, il n’y a pas d’intrigue sinon un homme qui affronte tous les risques (climatiques ou politiques, par ex) gratuitement, au péril de sa santé et même de sa vie……..et qui se demande « qu’est-ce que je fais là ??? » si on veut la réponse ce n’est pas en une phrase qu’on la trouve comme une devinette c’est en lisant les trois livres de cette randonnée fantastique.
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