Sémiologie du bol

C’est une chose qui étonne les étrangers, notre grand bol dans lequel nous buvons notre café, notre café au lait ou notre chocolat chaud.

« Why don’t you use normal cups ? », me dit un jour un Autrichien, en faisant le geste de tenir une tasse par la anse de préhension.

De fait, nous connaissons depuis longtemps la technologie, sommaire, qui consiste à ajouter au contenant, une anse. La persistance du bol doit être reliée à des valeurs plus profondes, des signes de reconnaissance plus ancrés. Car l’explication qui se contente d’invoquer le trempage de la tartine pour justifier le bol n’est pas suffisante : nous aurions pu tout aussi bien tremper nos croissants et nos tartines dans de larges tasses, munies de grandes anses.

Non, les Français tiennent au bol évasé, qui brûle les doigts, dans lequel le visage encore endormi se contemple, le bol paysan.

Des étrangers croient que nous prenons notre petit-déjeuner dans des tasses à café, comme dans les cafés, et certains Français le prennent ainsi pour ne pas décevoir l’attente de l’ami étranger (ceci est à creuser.)

D’autres ne peuvent prendre leur café que dans des bols, et les emportent avec eux dans leurs déménagements à l’étranger. Il faut certainement y voir l’attachement à la terre, à la matière, au corps, que manifeste le Français qui se lève, par opposition à l’Anglais qui veut montrer une plus grande sophistication des manières, une spiritualisation dans son rapport à la bouffe. Le tea time et l’afternoon tea est un cérémonial qui éloigne l’homme de la matière, en soulevant la soucoupe, en levant le petit doigt, en buvant du bout de lèvres, les yeux mi-clos. En ingérant séparément les biscuits et le thé. Sans le bruit effroyable que les Français produisent quand ils mangent leur tartine, penchés en avant et laissant couler le café du pain vers le bol.

L’utilisateur du bol se rêve en aristocrate catholique qui a une conception de l’être enracinée dans un sol, un terroir et où l’homme n’est qu’un reflet passager. Le buveur de tasse est un libéral humaniste qui rejette l’animalité et la nature.

15 commentaires sur “Sémiologie du bol

  1. « Pas de Bol », « Raz le Bol », « Le Bol D’Or », « la coupe au Bol »…, et n’oublions pas ces paroles du Christ à Gethsémani : « Père, si c’est possible, éloigne de moi ce Bol. »

    Deux ou trois ajouts pour complèter cet essai de sémiologie : n’oublions pas que, si l’Anglais, après avoir saisi l’anse de sa tasse entre l’index et le pouce (en appui sur le majeur), lève le petit doigt et, se regardant pour ainsi dire de l’extérieur, saisi devant la noblesse de sa pose, il se prend pour la Reine ; bref, le Français, lui, s’il refuse de se brûler les doigts sur le côté du bol, dans sa rusticité primitive, pour ne pas dire sa rustrerie, n’hésite pas à pincer son bol par le haut, entre le pouce et l’index ; ce qui implique que l’index se trouve à l’intérieur du bol, qu’il peut donc tremper dans le liquide, la différence est donc avant tout dans un rapport à l’hygiène, semble-t-il.

    Deux : je vois bien l’humanisme, si on veut, de la tasse, mais pas son libéralisme. Pour moi, je dirais que le tassiste est plutôt un pur produit de la Réforme qui cache son puritanisme et sa peur du contact physique derrière un hygiènisme normatif. on voit bien ici, en passant, que la volonté humaniste d’améliorer l’homme par l’hygiène n’est que l’effet d’une pulsion phobique, ce que j’ai toujours dit, mais pas de libéralisme là-dedans, sauf si on veut aller chercher les thèses de Max Weber sur le rapport entre l’esprit du protestantisme et le capitalisme libéral.

    Trois : si on veut donner à notre sémiologie une dimension comparatiste, on notera avec intérêt que le Chinois utilise des bols de toute sorte pour boire son thé, manger son riz, engloutir sa soupe, avec cette différence nouvelle qu’introduit l’usage des Baguettes ; mais là, on va trop loin, on quitte la sémiologie du couple Bol/Tasse pour entrer dans celle du trio Baguettes/ Cuiller/Fourchette et tout se complique.

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  2. Merci pour ces commentaires. Je n’avais pas pensé au sens de chance du mot bol. Avoir du bol, avoir du pot…
    Le libéralisme de la tasse, Ben, est évident du point de vue de la tolérance qui préside à la préhension. Aucune technique à apprendre, aucun esprit de corps, chacun soulève sa tasse comme il l’entend, et dans le même temps tout le monde aura l’air civilisé. Nulle initiation n’est requise, comme dans les sociétés libérales.
    Avec le bol, on va de l’objet de culte ou de raffinement extrême (les bols de thé japonais) à un usage animal où le bol ressemble à une auge (ma pratique lorsque j’étais enfant). Une éducation, un milieu, un enracinement doivent précéder l’usage du bol et, au final, le sens qu’il prendra aux yeux du sémillant sémiologue.

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  3. Questions : peut on imaginer dans un futur proche boire dans un bol tout en étant un aristocrate disons « réformé », ou protestant plutôt ? euh peut-on etre liberal humaniste et boire dans un bol aussi ? Personnelement je fais le même bruit effroyable avec une tasse c’est grave ? autant de questions qui me taraudent…

    Anecdotes : j’ai connu un prof de philo qui voyait dans le bol à la française une sorte de symbolique à la rustique du sexe féminin ce qui rejoint par certains aspects certains passages de ce billet.

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  4. « la tolérance qui préside à la préhension »… Il faut le voir pour y croire. Comment ne pas remarquer que la préhension de la Tasse pleine de liquide brûlant est un acte tout sauf « tolérant » ? Essaie donc, si tu le peux, de boire du thé sans en renverser dans une vraie tasse à thé, ce genre de porcelaine en biscuit très fin, avec des petites bergères peintes sur les côtés en bleu de Saxe, qui imite le style Ming.
    La lourdeur de l’objet, la finesse des parois qui transmettent immédiatement la chaleur et interdisent donc toute préhension franche et contact avec le récipient lui-même, alors même que l’angle que fait l’anse avec l’arrondi de la tasse en augmente le poids ; la torsion latérale du poignet impliquée par le maintien à l’horizontale du liquide, sans oublier le maniement de la sous-tasse qui empêche la main gauche d’aider la droite (et il faut encore veiller à garder la cuiller en équilibre sur la sous-tasse), tout augmente au contraire la difficulté de la préhension : soulever une vraie tasse de thé, sans en renverser, tout en entretenant une conversation mondaine extrêmement ennuyeuse, est une épreuve select et qui devait servir aux membres de la Gentry à se reconnaître entre eux. En vérité, la Tasse est snob, voilà tout. Quant au Mug, il ne constitue qu’une démocratisation du snobisme, une simplification bâtarde de la Tasse : le Mug est à la Tasse ce que le Boulon-Ecrou est au Tenon-Mortaise : le Mug, c’est la Reine-Mère en string à la une des tabloïds, l’infini à la portée des caniches, comme disait Céline.

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  5. Je ne voudrais pas rivaliser sur le plan littéraire, et je ne le pourrais pas, mais je persiste à croire que tenir une tasse par l’anse est facile. Tout dépend de l’artisan qui a fabriqué la tasse. Si tu étais tassiste, Ben, tu choisirais tes tasses en fonction du confort de ta main, de la quantité de contenu que tu aimes boire, etc. et tu n’aurais aucun problème avec les conversations mondaines qui doivent se développer avec des vieilles dames en zibeline assises sur des caniches.
    François, ton prof de philo était un obsédé sexuel, comme bcp de philosophes, ce qui ne garantit pas nécessairement un taux de pertinence très élevé au moment de parler du sexe de la femme.

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  6. J’ai dit : « j’ai connu un prof de philo » nuance, ce n’était « mon » prof de philo heureusement, le mien, en terminal, était brillant et aurait dit des choses bien plus pertinentes et interessantes sur le bol ou la tasse qui vaut son pesant d’or conceptuel… quoique il était plus branché herméneutique, Gadamer, Kant et Hegel , philosophie allemande et post structuralisme., je ne sais pas si il se serait permis des digressions littéraires sur ces objet…(et Ponge il a rien dit sur le sujet au fait ? a mon avis si, il faudra jeter un oeil) tout cela pour te suggérer peut-etre un billet sur la chope de biére (il y’a beaucoup à dire sur le sujet aussi) ; celui dont je parle : il s’agissait effectivement d’un pauvre fou (comme beaucoup de philosophes aussi) qui sévissait alors dans le lycée et qui faisait et disait n’importe quoi : genre à faire écouter des cassettes new waves en début de classe aux éléves, ne pas corriger les copies, comparer le bol au sexe féminin…

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  7. Une fois j’étais dans un resto chinois en Allemagne, il ne m’avaient pas donné de bol pour manger. Je me suis aperçu que je savais dire « bol » en chinois, et pas encore en allemand (je l’ai appris à cette occasion: « eine Schale ».)

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  8. En relisant cette discussion, je me rends compte que la Chope pan-germanique est très proche de la Tasse anglo-sxonne, tandisque le Bol rapproche Français et Chinois. En Afrique, on boit volontiers la bière à la Bouteille (les bouteilles qui contiennent 65 centilitres de bière se vendent moins d’un euro). Je me demande ce qu’il faut tirer de tout cela, en termes sémiologiques. L’inspiration, c’est plus ce que c’était.

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  9. Une fois, j’ai donné en cadeau à un dominicain pour son ordination « un bol athée » avec mission de le convertir, mais je crains que mon ami n’ait pas compris l’allusion, il a sans doute trouvé cet humour fort médiocre…

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  10. De l’eau a notre moulin.
    Dans le tres magnifique Victoria and Albert Museum, a Londres, il est question de l’origine du the anglais. Au debut, au XVIIe, on le buvait a la chinoise. Non seulement sans lait et sans sucre, mais dans des tasses sans anse. Des petits bols…

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