De la difficulté de comprendre les femmes

Que se passe-t-il dans une femme ? Que veut-elle, qu’est-ce qui lui fait plaisir, qu’est-ce qui lui déplaît, qu’est-ce que le bonheur pour elle ? Les femmes savent-elles vraiment ce qu’elles veulent ? Nikki Gemmel, romancière australienne, répond que non. Journal intime d’une femme trentenaire, The Bride Stripped Bare (traduction française : La mariée mise à nu, publiée en poche) explore les désirs et les déceptions d’une épouse modèle qui oscille entre la jouissance et la déprime, le dégoût du sexe et l’obscénité la plus crue. Les féministes, dont je suis, réagiront peut-être en disant : « Encore ce vieux cliché qui enferme la femme dans une alternative pute/maman, etc. »

Mais là, c’est une femme qui se décrit ainsi. Et tout porte à croire que la situation de couple, la survie petite bourgeoise, les conventions sociales qui donnent d’elle l’image d’une petite épouse rangée, sont un carcan pour tout individu, quel que soit son sexe, qui veut s’émanciper. Alors, clandestinement, elle écrit un journal et elle fait des expériences illicites.

Peut-on être sûr de savoir ce qui satisferait une femme ?

Pour le savoir, il y a une solution que seule la fiction peut proposer. Une femme prend la plume et imagine un homme vierge, véritable table rase qui ne sait rien de rien, et elle lui apprend tout. L’héroïne rencontre l’homme en question, et s’emploie à l’initier aux joies de l’amour. Elle en fait sa chose, son amant parfait, elle lui enseigne tout ce dont elle a besoin, elle, pour trouver le plaisir. Il se trouve qu’en plus, grâce à la liberté donnée par la fiction, l’héroïne qui n’a jamais connu d’orgasme, « mouille » abondamment lors de ses rendez-vous avec le bel homme objet. Elle prend beaucoup de plaisir, elle le découvre dans son ampleur. Elle devrait donc être heureuse, et l’histoire devrait s’arrêter là. Or, elle décide d’en finir avec lui et de retourner à son mari qui ne lui donne pas de plaisir et qui n’est pas à l’écoute.

On a vu la même chose dans un film de Catherine Breillat. L’héroïne rencontre un personnage, incarné par un acteur porno tout à fait bien membré, qui l’aime, qui la respecte et l’honore exactement quand elle veut et comme elle veut. Il n’est pas qu’une machine à sexe, il est aussi disposé à se perdre dans d’interminables conversations avec elle ; bref un homme, un vrai, selon les fantasmes de la réalisatrice. Cela n’empêche pas l’héroïne du film de partir aussi, « de peur de tomber amoureuse », dit-elle.

C’est une grande différence entre les narrations féminines et masculines, et la grande force des premières : le lecteur n’a aucune idée de ce qui pourrait mettre un terme à l’insatisfaction de l’héroïne. Dans les narrations masculines, l’aspect tragique des choses vient de ce que le spectateur, qui s’identifie à un ou plusieurs personnages, ne voit pas d’issue devant des intérêts, des priorités ou des valeurs fondamentaux mais irréconciliables (la passion et le devoir, la haine et la pitié, etc.) Il y a conflit, mais on reste dans la maîtrise d’un sujet compréhensible. Le spectateur, le lecteur, sait ce qui apporterait le bonheur au(x) personnage(s), même s’il sait que c’est impossible (qu’Œdipe n’ait pas tué son père, qu’Andromaque soit laissée veuve ou qu’on lui rende son Hector, etc).

Dans les narrations féminines, le lecteur est tout à fait démuni à cet égard. Ce n’est pas que le bonheur soit impossible, au contraire l’héroïne ne désire que des choses réalisables, mais rien n’est suffisant, ou tout est décevant. L’héroïne de The Bride Stripped Bare court volontairement à son malheur, à son dépit, comme les héroïnes de Catherine Breillat, et même comme Emma Bovary.

La fin du roman devrait faire parler dans les estaminets : elle a un enfant et tout s’arrange. L’auteur préfère arrêter son roman avant que l’enfant devienne aussi une réalité décevante, c’est ce qui déçoit un peu le lecteur qui trouve un peu facile de terminer sur la gloire de la maternité comme étant la clé de tout. « Si tu veux guérir une femme, disait Zarathoustra, fais-lui un enfant. » Arrivera-t-on, et faut-il vraiment, sortir de ces clichés anti-féministes ? 

8 commentaires sur “De la difficulté de comprendre les femmes

  1. C’est interessant car , par plus tard qu’il y’a deux heures, je parlai a quelqu’un de cher de l’affaire « Manaudou » et de toute la pression qu’avait cette femme avec son ancien entraineur -que personnelement bof, enfin…-, sa pression, ses larmes, ses amours, ses désirs contadictoires de victoires disons « professionelles » et ses désirs de libertés, de vie afectives plus épanouies et le fait que les deux choses n’aient rien à voir, malheureusment ou heureusement pour elle (la différence des points de vue est capitale).On va me dire que tout cela n’a rien à voir avec un billet sur une romanciére australienne, mais je ne crois pas. J’ai tenu un disours typiquement féministe à ce sujet, féministe version seventies , c’est à dire à la sauce -maintenant dépassée maman/putain justement; ici plutot : notre nageuse nationale esclave, machine sportive et ou/amante, femme libre, épanouie avec son cher amant italien). Personellement je préfére une Maud Fontenoy (la victoire plus discréte et moins « people »), mais avec le « cas » Manaudou ,avec la pression médiatique et quasi hystérique qu’elle subit (il n’y a qu’a entendre le disocurs des journalistes sportifs oscillant entre hyper réprimande et hyper atermoiement gentiment assis devant un micro sur leur tabouret et sans se… « mouiller » ce qui est le cas de le dire…hum faire des leçons de morales ) je me demande ce qu’en pense les féministes contemporaines et cette auteur australienne. Le film de Breillat m’a un peu décu, tout comme le livre de DESPENTES (« Baise moi » u peu dans le meme style) qui a fait scandale sans que je comprenne vraiment pourquoi car je n’y ai vu aucune provocation (mis a part jouer avec des acteurs pornos, mais le porno est-il vraiment devenu provocant aujourd’hui ?…). Mais ce qui m’interpelle dans ce billet c’est la question de la maternité come résolution ultime : est-ce que finalement, avec tout ça, sans le voir et de façons subtiles, on ne passerait pas, on ne tendrait pas , vers le futur, d’une société totalitaire marquée par le « patriarcat »(les cinquantes derniéres années) vers un autre totalitatrimse, un féminisme déformé, dévoyé, qui ne respecte pas la femme, un régime totalitaire marqué par le « matriarcat » (les cnquantes prochaines). Matriarcat dans lequel le « matrimonial » a toute sa place mais reste un terrain de jeu -sans plaisir sinon commercial-, dans lequel toutes notions de réelles complicités, de « reel » dialogue entre homme et femme est aboli. (« Totalitarisme matriarcal » ?oh qu’est ce que je vais prendre…bon on peut discuter quand même, femmes je vous aime !).

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  2. Ouais bon…, en ce moment je dévore JiangRong(Le totem du loup),IrisChang(Le viol de Nankin), Lin Yutang(Un moment à Pékin)…
    Sans l’ érudition de notre Sage Précaire où serions-nous..?
    Alors je serais bien mesquine de déblatérer sur un aussi beau -jeune-déjà-vieux-homme-bien dégarni de cheveux -et pourtant tellement précairement sage depuis tant de temps….
    R.T.

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  3. « Les » hommes ?
    « Les » femmes ?
    Penser en ces termes sous-entend une homogénéité des caractéristiques et des comportements selon les sexes biologiques.
    Or les études du cerveau humain ont mis en évidence que les différences entre les caractéristiques des cerveaux des hommes et des femmes n’existent qu’en termes statistiques. Les moyennes des résultats « hommes » et des résultats « femmes » sont moins significatives que les différences entre individus au sein des deux groupes considérés.
    Certes il y a un effet de nivellement par les conditions socio-culturelles, qui imposent un style « homme » et un style « femme » aux individus.
    Il y a surtout des différences entre les individus, et même si certains comportements s’avèrent fréquents statistiquement parlant, il faut se méfier de les généraliser à l’ensemble des personnes d’un même sexe biologique.

    Et… qu’en est-il de la référence à Marcel Duchamp (The Bride stripped bare by her Bacherlors, even ?) que convoque le titre de ce livre ?

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  4. La référence à Duchamp est minime, je crois. Comme l’oeuvre est à la National Gallery de Londres (La mariée mise à nu par ses célibataires même), l’héroïne la voit en compagnie d’autres personnages, mais rien n’en est dit de particulier, et l’oeuvre n’est pas exploitée plus avant dans le roman. Je suppose qu’il s’agit seulement de reprendre un titre célèbre pour illustrer le journal intime d’une épouse qui se met à nu.

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  5. je découvre par hasard ce blog et j’aime bcp.
    justement, je venais d’écrire un truc sur Lucas, l’entraîneur à la sauce mac, en passant par ici pour évoquer les « entraîneuses »
    l’insatisfaction permanente, j’ai bien peur de m’y reconnaître.
    ça me laisse songeuse. je reviendrai.

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  6. Je ne suis pas vraiment d’accord avec le propos de mystère que « les hommes viennent du Mars, mais les femmes du Vénus ». On a en effet les mêmes désirs et les mêmes envies, sauf la façon différente d’exprimer les sentiments. Il faut juste un petit effort attentionné pour la communication. Mais ça n’empêche des jeux de chacun pour susciter l’amour. Tong

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  7. J’aime bien votre remarque : « C’est une grande différence entre les narrations féminines et masculines, et la grande force des premières : le lecteur n’a aucune idée de ce qui pourrait mettre un terme à l’insatisfaction de l’héroïne. » et la comparaison que vous établissez entre littérature écrite par des hommes ou des femmes.. Effectivement leurs rapports au savoir et à la vie en général n’est pas le même… Mais est-ce seulement vrai en littérature ? ou y butons nous d’incompréhension tous les jours ?

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  8. Ce n’est certainement pas vrai que dans la littérature, si jamais c’est un peu vrai dans la littérature… Mais je m’attendais, à vrai dire, à ce qu’on me traite de sexiste, je suis heureux que ce ne soit pas le cas.

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