Statut des étrangers

 

Il est vrai que les étrangers préfèrent vivre au Royaume-Uni qu’en France.

Que désire un étranger ? Trouver du travail, trouver un logement, changer de travail, changer de logement.

Que déteste un étranger ? Qu’on lui demande des papiers, l’administration sous toutes ses formes, les remarques racistes.

Or, le Royaume-Uni offre plus de tranquillité aux étrangers que la France. La France ne veut pas que ses étrangers lui échappent, elle veut qu’ils deviennent des Français, elle leur apprend l’histoire de France, leur inculque les valeurs républicaines.

La France est le seul pays au monde où un rappeur à la mine terrible et à l’accent des banlieues, rejette les sketches d’un comédien au nom de « principes républicains ».

Les Britanniques ne cherchent pas à faire de ses étrangers autre chose que des étrangers. Leur idéal est que chaque communauté s’organise comme elle le veut, dans le respect des autres communautés. Ils appellent cela le « multiculturalisme ». La limite de ce modèle, elle est double : que devient l’individu qui ne veut pas appartenir à une de ces communautés ? Et que faire des groupes communautaires qui non seulement ne se sentent pas britanniques, mais en plus veulent nuire au pays lui-même ?

Pour moi, je préfère tout de même vivre dans un pays anglo-saxon. Je m’y sens accepté comme étranger, sans obligation d’intégration, sans soutien, sans impression de faire partie d’un projet commun. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir apporter quoi que ce soit et que jamais on ne me demandera quoi que ce soit.

Tout cela est sans doute plus ou moins explicatif du fait qu’en France, deux des comédiens les plus populaires soient Jamel Debbouze et Gad Elmaleh : deux personnes issues du Maghreb, l’un étant musulman et l’autre juif. Leur popularité n’a rien à voir avec des décision de discrimination positive, elle vient de leur talent, qui touche tous les jeunes Français. Et leur humour touche tous les jeunes Français parce qu’au fond, ils ont tous la même culture. Ils ont tous les mêmes références culturelles parce que la France a voulu faire de tous, des petits Français, etc.

Cela est aussi explicatif du fait que lorsque les banlieusards se révoltent en France, c’est pour réclamer plus d’intégration dans la société. Ils réclament plus d’assimilation, alors que l’assimilation est le pire des concepts dans l’idéologie libérale et communautaire des Britanniques.

Cela rejoint d’ailleurs la fameuse enquête du Pew Research Center, en 2006, sur les musulmans d’Europe. On y découvre avec effarement que les musulmans de France ont une bien meilleure image des chrétiens et des juifs que ceux des autres pays. Et aussi que ceux qui se définissent d’abord par leur nationalité, et ensuite par leur religion, sont largement plus nombreux en France. Et quand on sait que la France possède à la fois la plus grande communauté de musulmans, et la plus grande communauté de juifs de toute l’Europe, on mesure la difficulté de la tâche a priori.

Les Britanniques (communauté des chrétiens blancs -mon Dieu, comme je déteste parler ainsi!) tolèrent les étrangers, mais ils n’écoutent pas d’autre musique que l’anglo-américaine, ne rient pas d’autres choses que des comiques anglo-américains, ne voient pas d’autres films. Ils sont tolérants avec les Pakistanais, les Polonais, les Africains et les Asiatiques qui vivent sur le territoire, mais ils ne partagent rien avec eux, (sauf dans la littérature, où l’on trouve quelques écrivains d’origine pakistanaise et indienne.)

Etanchéité communautaire. C’est l’image qu’on a, quand on est français, du modèle britannique.

Conclusion : les étrangers vivent mieux au Royaume-Uni en temps de croissance économique, mais il est peut-être (je dis bien peut-être, car tout cela n’est qu’hypothétique) préférable, sur le long terme, et pour ses enfants, de faire partie de la nation française. Le choix est un peu : rester étranger ou pas.

Moi, je choisis de rester étranger, mais je vis à court terme.

12 commentaires sur “Statut des étrangers

  1. Plusieurs ami chinois ayant habité en France et aux Etats-Unis se sentaient mieux intégrés aux US, ils n’avaient pas l’impression d’être différents dans ce pays d’immigration alors qu’en France, ils le ressentaient souvent.

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  2. Oui, c’est ce que je dis, les étrangers se sentent mieux dans un pays anglo-saxon. Intégrés, non, le mot est mal choisi, je pense, mais « laissés tranquilles » oui, respectés au sens large, certainement.

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  3. Il ne faut pas faire intervenir l’Amérique, à mon avis. C’est un pays basé sur l’immigration, et en plus, leurs frontières sont plus fermés que les notres. C’est contradictoire mais c’est vrai. Alors, un étranger qui a finalement la green card, oui, c’est sûr que lui, il se sent plus intégré qu’un Arabe qui débarque à Paris. Mais ils sont combien, à obtenir la green card ?

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  4. Ce n’est pas faux, Fred. Restons sur l’Europe.
    Par ailleurs, Silouane, c’est vrai que beaucoup de gens en France se sentent français, mais ont l’impression que les autres ne les voient pas tels. C’est amusant, comme phénomène, et sans doute symptomatique de quelque chose d’intéressant.

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  5. Il y a aussi, dans le gestion des populations étrangères, un facteur lié à l’histoire coloniale. Les immigrés français sont issus des anciennes colonies, et j’imagine que c’est aussi le cas, majoritairement, au Royaume-uni, et ça change la façon dont ils sont perçus.
    Il y avait, me disent les historiens avec qui je déjeune chez la Sénégalaise, deux colonialismes différents. Le colonialisme anglais se contentait de contrôler les élites politiques locales sans les remplacer et, pour le reste, exploitait les possiblités économiques locales. Le colonialisme français imposait une administration française, des écoles françaises, des missions françaises. Les connaisseurs de l’Afrique prétendent que le colonialisme anglo-saxon a eu un effet bénéfique : les élites locales existaient déja quand les Anglais sont partis, par exemple en Afrique australe, la décolonisation s’est bien passé, et les Etats concernés n’ont pas sombré; par contre, en Afrique équatoriale, quand les Français sont partis, les Etats ont été confisqués par des dictateurs parce qu’il n’y avait pas d’institutions locales solides et que le modéle d’administration français était inapplicable. (un gros bémol, cependant, c’est le Nigeria, qui est le contre-exemple absolu, avec une apocalypse post-coloniale durable)
    Je pense qu’aujourd’hui, les Anglais se sentent relativement détachés par rapport à leur passé impérial et donc aussi à leurs minorités issues de ce passé colonial, parce qu’ils n’ont pas le sentiment d’avoir vraiment fait leur les pays colonisés, d’avoir été chez eux dans leurs colonies. Donc, pas vraiment de passé commun, pas non plus de responsabilité. La France a au contraire complètement intègré l’Algérie, par exemple, et ça complique considérablement les rapports : responsabilité+culpabilité+ressentiment. De la même manière, en Afrique équatoriale, il y a un truc pas clair du tout.
    En même temps, il y a peut-être aussi la possibilité d’une « amitié franco-africaine », du fait d’un long passé commun. Les Français et les Gabonais sont un vieux couple, me disait une fois un Gabonais dans une file d’attente.

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  6. Ce que tu dis sur les différents colonialismes est très vrai. D’ailleurs, je crois que les Britanniques nous trouvent plus coupables qu’eux, et qu’ils pensent par dessus le marché ressentir plus de culpabilité. Je crois – et j’ai lu des choses allant dans ce sens dans de nombreux journaux – qu’ils nous voient comme d’immondes égoïstes qui ne s’encombrent pas de principes, pour qui la vie est simple car nous recherchons notre intérêt sans nos poser de questions de morale.
    L’ironie de l’histoire est que, si cela se trouve, cet assimilationnisme qui a fait tant de mal dans les pays colonisés, aura peut-être des effets positifs dans l’avenir des relations inter-communautaires en Europe.

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  7. Je suis complétement d’accord avec Ben sur ce « pas clair » a propos des rapports franco-africain , du ressentiment et de la culpabilité post colonial français mal digéré (même pas du tout en fait si on regarde bien… et qui explique, en parti,je dis bien en parti le malaise des banlieues, les problémes sur l' »intégration » des 2emes,3emes générations… reste a définir « intégration »…mouais complexe en fait tout çà vu de france…).

    La France aura fait un grand pas quand elle aura définitivement compris, décortiquée et « intégrée » ce passé post colnial avec toute sa complexité (la vraie intégration est la sans doute) ce malaise qui depuis au moins cinquante ans est une vraie pollution pour les esprits…avec le temps peut etre… pour l’heure, en france c’est encore source de réels problémes humains et c’est vrai que le modéle anglais parait séduisant (« parait », c’est un peu léger l’apparence a coté de la lourdeur des souffrances humaines que ce post colonialisme a engendré…) ;je pense même que quelque part la France aura en effet sa carte a jouer si elle met en avant cette complexité (qui lui est propre) dans le cadre d’un programme européen. Quand aux rapports amicaux franco-africain elle ne dépend que de la volonté et des désirs propres a chaque individu.

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  8. Comment se passe la protection sociale des étrangers sans revenus?
    Un exemple pour la France, en 2000 ma fille était dans une maternelle parisienne, dans sa classe il y a vait un petit chinois né dont les parents originaires de Wenzhou venaient juste d’avoir leur papiers. Alors que je payais la cantine pour ma fille, c’était gratuit pour lui car les parents officiellement n’avaient pas de travail. Ils avaient l’APL, les allocations familiales et une protection sociale.
    Lors des émeutes dans les banlieues parisiennes, les journaux chinois aimaient dire que cette révolte était la conséquence de notre attitude envers les étrangers. Je citais ce genre d’exemple à mes interlocuteurs, ça les calmait tout de suite.

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  9. heureusement que ce blog est la pour parler de ces statuts de l’étranger (qu’ils viennent de Chine ou d’ailleurs…) et d’autres thémes tout aussi passionnant, c’est vraiment trés interessant.

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  10. L’exemple de la petite Chinoise, Silouane, on entend la même chose au Royaume-uni. Les journaux tabloïd se font l’écho d’étrangers qui habitent dans des maisons super chers car ce sont des logements sociaux et que les dits étrangers ont des familles nombreuses, alors que les travailleurs britanniques de la classe ouvrière se sentiraient abandonnés, voire trahis par leur gouvernement, etc.
    Mais ce n’est qu’un invariant de la plainte. Dans tous les pays, une partie des gens se plaignent des impôts, quel que soit le niveau des impôts. Même chose des étrangers, dont la prise en charge frustre nécessairement une partie des « nationaux ».

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  11. en ce moment quand j’ai le temps, je lis Deleuze, une envie comme çà, une petite lichette par ci de « dialogues », une petite lichette par la d’un autre…Dans la partie IV de Dialogues (« politiques »), dans la premiére partie, il parle de tout un truc sur le fait que « individus ou groupes, nous sommes faits de lignes »,la reflexion qu’il poursuit sur groupes, lignes devenirs, lignes de segmentarisations, de de territorialisation, de devenir etc…et bien ca me semble s’appliquer trés bien au probléme de l’étranger et de son « statut » tel qu’il est défini dans ce billet.Peut etre qu’il y’a d’autres textes plus précis sur ce sujet de l’étranger de Deleuze, dans ce cas l’un des deleuziens habituels qui hante ce blog pourrait t-il (si il s’en souvient bien sur et surtout si il a le temps) en préciser d’autres références sur ce sujet précis qui m’interesse beaucoup. Merci d’avance…

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