Pour nous aider à sortir de nos préjugés sur les touristes, une des issues pourrait être d’aller voir dans le passé, au début de la littérature inspirée par le tourisme.
Charles Louandre, essayiste du XIXe siècle, a écrit quelques articles dans La revue des deux mondes qu’il intitulait « Statistique littéraire de la production intellectuelle ».
Entre la géographie et l’histoire, il intercale les récits de voyage. Il parle des grands voyages faits avec Napoléon et de la littérature des explorateurs. Mais il traite d’un autre type de voyageur. Si le désir d’aventure attire des hommes dans de grandes solitudes,
« la simple curiosité, le désir de connaître des lieux illustrés par de grands souvenirs, le charme des beaux paysages et même l’attrait des bonnes tables peuplent chaque année toutes les routes de l’Europe d’un nombre considérable et toujours croissant de voyageurs qui courent le monde civilisé sous la sauvegarde du passeport par les chemins de fer ou les voitures publiques, et s’arrêtent là où finissent les hôtelleries et les routes carrossables. »
C’est une définition possible du tourisme : se déplacer dans tous les espaces investis par les transports mécaniques. Le plus beau arrive juste après :
« Cette seconde espèce forme le genre touriste, qui lui-même se subdivise en une foule de variétés, telles que le touriste romantique, le touriste archéologique, le touriste politique, etc. De ces nombreuses variétés sont les Guides, les Promenades, les Séjours, les Scènes et les Souvenirs de telle ou telle contrée, et enfin les Impressions de voyage, dans lesquelles le touriste parle de tout et principalement de lui-même. » Revue des deux mondes, n°4, 1847
De qui parle-t-il, exactement ? D’ouvrages en vogue écrits pas des gens comme Stendhal, Georges Sand, Gérard de Nerval, Flora Tristan. Nous connaissions déjà les Mémoires d’un touriste de Stendhal, mais c’est un mouvement d’une plus grande ampleur que prévu.
Excellente idée. Il ne faudrait plus parler de touristes – groupe trop hétérogène, mot trop flou -, mais de touristes romantiques, de touristes paresseux, de touristes blasés, de touristes curieux, de touristes organisés, de touristes indépendants, etc.
On dirait « Je pars faire du tourisme de repos », ou « Je suis un amateur de tourisme éprouvant physiquement ». Tout serait plus clair, on se comprendrait mieux.
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Ma charmante directrice de recherche m’a envoyé l’info d’un colloque sur le sujet Travel and Trauma. On y parlera de « dark tourists » et aussi de « thanatourists » pour ceux qui visitent des « sites of devastation and destrction ». Jean-Didier Urbain, qui s’est fait démollir pour son dernier essai (« Le voyage était presque parfait ») au Masque et la Plume la semaine dernière, a écrit un livre sur les cimetierres, par ex, comme lieu touristique, et travaille souvent sur les catacombes, ainsi que sur des problématiques liées au déchets et à la déjection. A mon avis, Urbain est un Punk reconverti à l’anthropologie.
Bref, entre les gentlemen anglais qui faisaient leur « Grand Tour » en Europe (origine du mot « touriste »), les écrivains du XIXe et la recherche actuelle, on a toutes les arms en mains pour faire évoluer nos représentations.
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Je viens de lire le calamiteux dernier roman de David Lodge (en français, « la Vie en sourdine »), où il s’adonne à un bel exemple de thanatourism en allant visiter Auschwitz. Il en ressort si bouleversé que ses problèmes conjugaux se résolvent d’un coup. Mieux, il réussit à refaire l’amour à sa femme (alors qu’ils n’y arrivaient plus) en se montrant, je cite, « très performant ».
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