Je remarque un dédain consternant des jeunes vis-à-vis des vieux. Cela se conçoit dans la société marchande et médiatique, on sait l’arrogance écervelée qui constitue le fond de la jeunesse. Mais à l’université ? L’université devrait être le lieu où l’on respecte le savoir et les savants.
J’entends des paroles et des gestes emprunts d’un grand mépris. On prononce l’expression de « vieille école » pour désigner les façons de faire des plus anciens, on rend responsable ces derniers de tout ce qui ne va pas. Si quelqu’un a mal réussi sa thèse, il dit que c’est à cause de son directeur de recherche qui, étant très « vieille école », ne lui a pas appris à utilisé les théoriciens à la mode.
Il semble que, dans les universités britanniques, les études de lettres aient connu un profond changement entre l’après-guerre et aujourd’hui. Je suppose qu’un usage extensif de théories a commencé à être perçu comme obligatoire dans les années 90, avec le déferlement des Cultural studies venus des Etats-Unis. Ceux que l’on appelle les vieux sont ceux qui n’ont pas pris ce train des Cultural studies en marche. Et la rupture épistémologique entre les générations est telle que ces vénérables savants sont traités comme des membres superfétatoires de la communauté universitaire. On les ignore, on les accepte, mais sans les écouter, comme s’il n’y avait rien à apprendre d’eux.
Ce jeunisme commence très tôt. Moi qui n’ai pas quarante ans, on me condamne déjà. J’ai entendu à trois reprises qu’à mon âge, il n’y avait plus d’espoir de trouver un poste, car les facultés veulent des jeunes. Cela tombe bien, le sage précaire ne désire pas obtenir un « poste ».
Cela me choque peut-être parce qu’en France, les universitaires qui ont aujourd’hui entre 70 et 100 ans sont perçus comme des monstres de savoir. On les admire parce qu’ils viennent d’un temps où la culture était encore transmise et critiquée. Ils connaissent Descartes et Deleuze, il savent le latin et le nom des arbres, ils conversent avec Aristote et ils sont capables de fulgurations intellectuelles à couper le souffle. Le surréalisme et le marquis de Sade n’ont pas de secret pour eux. Les vieux sont ceux qui, soudain, s’arrêtent de parler et font des rapprochements inouïs entre des éléments sans rapports apparents. Nos vieux délirent et font rêver, ils savent écrire et ils savent être à l’écoute.
Je pourrais écrire une chanson, comme Jean Ferrat et Diam’s avec « leur France », qui s’intitulerait « mes vieux ».
Mes vieux à moi savent être indulgents car ils sont dans la fragilité de l’être et la passion des désirs insoumis. Ils ne paniquent pas pour rien, ils ne s’inquiètent pas pour eux-mêmes mais savent se soucier des autres, de loin, sans exercer de pression inutile.
Les jeunes, autour de moi, me paraissent alors respecter plus que tout l’apparence lisse d’un professorat technicien. Les jeunes ne veulent pas être inspirés par des intellectuels qui ont beaucoup médité ; ils veulent être accompagnés par des « profs » efficaces, maîtrisant les projections de powerpoint, et qui leur mâche le travail.
Respect pour les vieux. C’est en eux que je place le mince espoir de voir se lever une espèce de résistance face au projet totalitaire que l’administration met en place dans les universités du monde entier. Au moment où les jeunes obéissent avec zèle et transforment l’enseignement en fonction administrative où tout doit devenir quantifiable, évaluable, les vieux sont les seuls à pouvoir faire souffler un peu d’air frais, un peu d’intelligence et de rêverie, dans des salles de classes de plus en plus endormies.
Les vieux sont des bons à tout ..
Les jeunes des bons à rien …
(j’ai pas dit bons atouts ..)
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Je préfère « vieux jeu » à « vieille école »…
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Pourtant, on dit que l’université est l’endroit idéal où la convivialité rajeunit les vieux et encourage les jeunes. Heureusement, je suis encore de cet avis.
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OK
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