De l’esclavage des nègres : Montesquieu était-il ironique ?

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C’est un fait, et c’est un des bonheurs de vivre à l’étranger, on entend dire souvent que les « philosophes » des Lumières n’étaient pas aussi éclairés que cela, qu’ils étaient en fait plein de préjugés à l’égard des Noirs, et que l’image qu’on s’en fait (des gens à la pointe des droits de l’homme) est une propagande républicaine qui flatte la vanité des Français.

On entend dire, par exemple, que Montesquieu était en faveur de l’esclavage des noirs, qu’il était même raciste (!)

Vous avez envie de rétorquer gentiment : « Non, vous devez vous tromper, quelqu’un vous a fourvoyé. Montesquieu est au contraire connu pour être en faveur de la liberté des peuples. » Mais vous êtes impressionné par l’assurance des penseurs anglophones, alors vous ne dites rien. Vous n’avez pas fait, vous-même, de recherches particulières sur le commerce transatlantique des esclaves, et n’avez pas lu beaucoup de pages de Montesquieu. Vous connaissez Les Lettres persanes et avez lu en partie De l’esprit des lois. Insuffisant pour ne pas être ébranlé.

J’ai alors demandé à une camarade qui travaille sur le postcolonialisme de m’expliquer en deux mots ce que l’on reproche à Montesquieu. Elle m’a dit que cela tournait autour du fameux texte sur l’esclavage des noirs, au livre XV de L’Esprit des Lois. Elle m’a prêté son exemplaire, ainsi que deux livres de chercheurs postcolonialistes qui discutent la question.


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Je m’y attendais, j’avais le souvenir d’une thésarde chinoise, à Shanghai, qui avait déclaré lors d’une conférence que Montesquieu était raciste, ainsi que tous les penseurs des Droits de l’homme, et que ce passage en était la preuve. Une étudiante française présente dans la salle avait protesté que ce texte était de l’ironie, et que c’était une charge contre ceux qui tolèrent le racisme, une manière de les prendre pour des imbéciles. Mais la Chinoise, qui parlait pourtant très bien le français, persistait et citait à l’appui de sa thèse des auteurs anglais et américains. Je n’avais pas cherché à vérifier, j’avais laissé tomber la chose.

Citons Montesquieu, pour le plaisir :

 

De l’esclavage des Nègres

Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :

Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une manière plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.

Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

Des petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains : car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié.

 

Ce passage comique est aujourd’hui considéré avec suspicion par les postcolonialistes anglophones (et sans doute aussi francophones). Catherine A. Reinhardt, dans Claims to Memory (2006), écrit que « contrairement aux nombreuses représentations que l’on se fait des écrits antiesclavagistes, les « philosophes » ne gardaient pas une ligne d’attaque très claire contre l’institution de l’esclavage » (p.26, ma traduction). S’appuyant sur un livre de Tzvetan Todorov, elle va jusqu’à dire qu’ « il est difficile de déterminer si les Lumières étaient pour ou contre l’esclavage ».

Difficile de le déterminer ?


Les universitaires disent des choses tellement énormes, de nos jours, que je ressens souvent le besoin de répéter ce que j’entends ou ce que je lis. Vraiment ? Vous pensez que l’idéologie des Lumières était peut-être en faveur de l’esclavage ? Reinhardt dit que l’ambigüité des « philosophes » a été ignorée car l’école républicaine française a caché les passages où Voltaire et Montesquieu « révélaient leurs préjugés raciaux contre les Africains ». Dans la même page, on passe du fait que la dénonciation n’est peut-être pas si claire que cela, à un racisme avéré, mais elle arrive à cette conclusion sans aucune preuve. Magie de la rhétorique universitaire!

Elle aborde plus loin le passage ironique de L’Esprit des lois que j’ai cité, « De l’esclavage des Nègres ». Elle ne se prononce pas elle-même sur l’aspect sarcastique du passage, elle indique seulement que « des débats considérables entourent l’intention de Montesquieu dans ce passage car tous les critiques ne sont pas convaincus qu’il voulait être ironique » (29). Une note de bas de pages donne quelques noms de critiques et les titres de leur texte, sans qu’on sache quelles étaient leur position, et s’ils doutaient sérieusement. Pour changer de paragraphe, et toujours sans se mouiller, elle écrit : « Que Montesquieu ait été intentionnellement ironique ou non, son passage sur l’esclave des noirs a contribué à étendre les croyances ambigües sur la couleur de peau des Africains. »

Si cela n’est pas de la mauvaise foi, je ne sais pas ce que c’est. N’est-ce donc pas clair pour Mme Reinhardt que Montesquieu était sarcastique ? On peut se demander très sérieusement : est-elle capable de lire un texte littéraire ? Doit-elle attendre qu’il y ait un consensus universel parmi les critiques pour percevoir du second degré ? Comment fait-elle quand elle regarde les Monty Pythons à la télévision ? Elle attend que toute la nation britannique lui dise que c’était pour rire ?

J’en viens à me demander s’il n’y a pas un vrai problème au sein des Cultural Studies contemporaines, en France et ailleurs. Une tendance à tout lire au pied de la lettre et à ne plus accepter le moindre trait d’humour ou de sarcasme, lorsque cela permet d’accuser de racisme, de réactionnaire et de sexiste, un peu n’importe qui, et en particulier ceux qui avaient la réputation d’être progressistes. Je pourrais faire une liste très longue, rien que dans les études sur le récit de voyage, de textes interprétés de cette manière littérale pour conclure que l’auteur incriminé est colonialiste, phallocrate, impérialiste, ou tout simplement un gros con. Les chercheurs de l’université se sont transformés, insensiblement, en procureur. Ils passent leur temps à juger des gens plus intelligents et plus brillants qu’eux. Nietzsche, reviens-nous!, le ressentiment a pris le pouvoir.


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Christopher L. Miller, dans The French Atlantic Triangle (2008) revient sur la grande affaire Montesquieu. Alors, a-t-il été ironique, ce salaud de Montesquieu ? Miller semble admettre que oui, ce ne fut que de l’ironie. Ouf.

Miller reproche à Montesquieu, en revanche, d’être ambigu dans d’autres passages de L’Esprit des lois, où il semble moins révolté qu’il ne devrait l’être de la situation des esclaves africains.

Sauf que…

Sauf que Miller ne cite qu’une phrase ou deux sans la remettre dans son contexte, et sans montrer que Montesquieu, loin de justifier l’esclavage, explique qu’il y a des lieux où le climat est tel que personne ne peut agir autrement que sous la crainte d’une force coercitive. Selon Montesquieu qui se fie aux relations de voyage de son époque, dans un tel climat (disons, l’Afrique équatoriale, par exemple), les hommes sont « lâches », ils n’ont plus de volonté, quelle que soit la couleur de leur peau. Le maître est lâche avec son prince, l’esclave est lâche avec son maître. Dans ces régions, dit Montesquieu, « l’esclavage choque moins la raison ». Et dans ce sens seulement, on peut dire que dans certains coins du globe, l’esclavage est « fondé sur la raison naturelle », mais n’est en aucun cas une question de race. Au contraire, il rappelle sa foi dans l’égalité de tous les hommes. Citons encore L’Esprit des lois pour être bien sûr qu’on parle de la même chose.

« Il y a des pays où la chaleur énerve le corps et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison.

Aristote veut dire qu’ il y a des esclaves par nature ; et ce qu’il dit ne le prouve guère. Je crois que, s’ il y en a de tels, ce sont ceux dont je viens de parler. Mais, comme tous les hommes naissent égaux, il faut dire que l’esclavage est contre la nature, quoique, dans certains pays il soit fondé sur la raison naturelle, etc., etc. »

Bon, admettons que cela ne soit pas politiquement correct, et que tout cela, lié à sa théorie des climats, ne fait pas de lui un militant très ferme de l’anti-esclavagisme. Cela ne fait pas de lui non plus un raciste ni un esclavagiste (il dit clairement que l’esclavage est « contre la nature »). La « raison naturelle » qu’il évoque ici n’a rien à voir avec la couleur de la peau, mais avec la naturelle – et supposée – faiblesse de la volonté dans des climats hostiles. Mais de là à fonder sur cette phrase une déconstruction totale de la pensée de Montesquieu, cela est un peu fort. Si ce texte était une sorte de Bible, il serait plus facile de se baser dessus pour interdire l’esclavage où que ce soit, que pour l’introduire ou le faire perdurer.

Pour corser le tout, dans une note de bas de page, Miller dit que Voltaire critique Montesquieu, alors qu’il en fait l’éloge. C’est donc une habitude, chez les critiques des Cultural studies, de mentir ou de déformer la réalité ? Miller cite Voltaire dans son « Commentaire de L’Esprit des lois » : « Si quelqu’un a jamais combattu pour rendre aux esclaves de toute espèce le droit de la nature, la liberté, c’est assurément Montesquieu ». Or, le terme « jamais » dans cette phrase n’a pas le sens négatif de never, mais celui positif de « déjà » (pour le dire autrement : si quelqu’un, au grand jamais, a lutté pour eux, c’est lui. Si un homme a déjà lutté pour eux, c’est lui.) Donc, basé sur cette citation, il est inexact de dire que Voltaire ait « jamais » critiqué Montesquieu.

Il faut donner des cours de français aux postcolonialistes, c’est une mesure d’urgence.

Bref, on nage dans une véritable semoule, et plus j’avance, plus je lis, plus je sens qu’à cause de cette semoule, des milliers de brillants étudiants anglo-saxons se font de nos classiques une image tellement déplorable qu’ils en seront dégoûtés à vie. Or, comment prendre du plaisir dans la vie, si l’on n’est pas capable de lire les grands auteurs du siècle des Lumières ?

Et comment se former à l’ironie littéraire si l’on ne lit les grands auteurs que par fragments, pour monter des dossiers d’accusation ?

 

 

52 commentaires sur “De l’esclavage des nègres : Montesquieu était-il ironique ?

  1. « Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais  »
    Ils ne connaissent pas le mode du conditionnel nos amis des postcolonialist studies ? …
    Devraient faire un peu de grammaire française…

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    1. Il me semble qu’il est temps de clore ce débat sur Montesquieu avec des citations précises de L’esprit des lois.
      Pour comprendre l’utilisation de l’ironie dans le chapitre 5 du livre XV, qui ne représente l’attaque finale contre les chrétiens qui agissent en « brigands » avec l’esclavage, il faut retracer le parcours des 4 précédents chapitres.
      En voici des extraits qui ne laissent aucune ambiguïté quant à la position de Montesquieu sur le sujet:

      Chapitre 1: « Mais, dans le gouvernement monarchique, où il est souverainement important de ne point abattre ou avilir la nature humaine, il ne faut point d’esclaves. Dans la démocratie, où tout le monde est égal, et dans l’aristocratie, où les lois doivent faire leurs efforts pour que tout le monde soit aussi égal que la nature du gouvernement peut le permettre, des esclaves sont contre l’esprit de la constitution; ils ne servent qu’à donner aux citoyens une puissance et un luxe qu’ils ne doivent point avoir. »

      Chapitre 3: « L’esclavage est d’ailleurs aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel. »

      Chapitre 4: « J’aimerais autant dire que la religion donne à ceux qui la professent un droit de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas, pour travailler plus aisément à sa propagation.
      Ce fut cette manière de penser qui encouragea les destructeurs de l’Amérique dans leurs crimes. C’est sur cette idée qu’ils fondèrent le droit de rendre tant de peuples esclaves; car ces brigands, qui voulaient absolument être brigands et chrétiens, étaient très dévots. »

      Je suppose que c’est assez clair, sauf pour un universitaire malhonnête je suppose… Au passage il en profite pour dénoncer le génocide indien, chose qu’il a aussi faite de manière ironique dans le fameux texte dont il est question.

      Concernant Voltaire, nul besoin de discuter autour d’un point de langue pour savoir ce qu’il voulait dire, il suffit de lire la suite, parfaitement explicite:
      « Si quelqu’un a jamais combattu pour rendre aux esclaves de toute espèce le droit de la nature, la liberté, c’est assurément Montesquieu. Il a opposé la raison et l’humanité à toutes les sortes d’esclavages. […] Je veux me joindre à ce défenseur de la nature humaine. »

      En ce qui le concerne, lui était par contre ouvertement raciste, et profondément antisémite. Encore faut-il comprendre que le sujet en lui-même l’intéressait peu, et que souligner les différences entre les races lui servait surtout à s’opposer à la religion catholique. Expliquons: insister sur l’idée qu’il y a des races supérieures, c’est prouver selon lui que tous les hommes ne sont pas issus de parents uniques (Adam et Eve donc). A travers la violence de son racisme, c’est la violence de son opposition au fanatisme religieux qu’il faut lire en filigrane, et s’il est aussi odieux envers les juifs, c’est que la religion hébraïque est à l’origine de la foi catholique dont il ne cesse de dénoncer les atrocités commises au nom de Dieu.
      Il n’en reste pas moins un raciste convaincu, principalement par ignorance. Il est aisé pour nos contemporains de juger que toutes les ethnies sont douées des mêmes capacités intellectuelles, mais rappelons que les Français découvrent (depuis 3 siècles quand même) un peuple africain qui n’a pas connu les mêmes avancées technologiques ni le même développement de civilisation (la France est alors au contraire à l’apogée de son influence en Europe), et ils en déduisent à tort leur peu de raison (par comparaison avec la civilisation arabe par exemple – qui d’ailleurs pratiquait la traite des Noirs bien avant l’Europe – , par référence au fait que les Noirs vendent leur propres congénères en esclavage – ce qui démontre pour Voltaire la supériorité des Blancs: voir son Essai sur les moeurs, où il souligne aussi la richesse de la nature à travers la diversité des races, trop peu nombreuses à son goût – , parce qu’ils troquent leur or contre de vulgaires babioles en verre, etc…).
      N’oublions donc pas le contexte de l’époque: les combats des Lumières ont été menés contre l’ensemble des opinions de leur temps (mais avec le soutien de quelques grands d’Europe à l’étranger), avec parfois peu de recul sur les découvertes des nouveaux mondes (les 3 siècles les séparant de la découverte de l’Amérique n’ont pas de commune mesure avec la rapidité avec laquelle nos sociétés évoluent aujourd’hui…) et sur leurs populations, avec lesquelles il n’y avait aucun échange culturel (et pour cause…).
      Bref, qu’on porte accusation ou qu’on cherche à défendre les Lumières, l’important est de le faire en connaissance de cause, et les fautes qui pourraient leur être imputées ne doivent pas non plus occulter les combats légitimes et progressistes qu’ils ont menés.

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  2. C’est dire le niveau de l’Université de Changhaï.

    Vous auriez tort cependant de lier culture anglo saxonne et crétinisme. Ce dernier est universel. La Sorbonne n’a-t elle pas reçue, il y a quelques années, une thèse d’astrologie ? La plus grande diffusion des savoirs provoque corrolairement et inévitablement la plus grande diffusion de bêtises.

    Plus que jamais, le savoir, paradoxalement, se retire au sein d’élites, de spécialistes. Pour les autres, il y a Wikipédia. Et quelques éditions Poubelle, qui vendent ce que des lecteurs aiment entendre, comme l’éditeur de ce Miller.

    La réécriture de l’histoire des idées s’observe partout. Aux Etats Unis, en Angleterre aussi, elle fait fureur (on le voit sur internet), il est vrai, tout comme on a connu Lyssenko en Union Soviétique par exemple. Ces phénomènes sont inévitables et l’endoctrinement des masses également. Parallèlement, se développent des pseudo sciences, liées à des intérêts financiers, comme en biologie pharmaceutique, en météorologie, en sociologie, en économie politique, etc. A vous de choisir vos lectures, et vos interlocuteurs, toujours en petit nombre.

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    1. « C’est dire le niveau de l’Université de Changhaï. » Ai-je bien lu ?
      Je précise, à toute fin utile, que les textes cités dans le billet, et l’attitude méthodologique critiquée, viennent d’universités occidentales.
      Et bien loin de moi l’idée de « lier culture anglo saxonne et crétinisme ». L’idée seule me fait frémir d’horreur.

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  3. Certaines ironies sont très contextualisées, et le temps passe, l’ironie s’efface. Or, dans le monde littéraire, l’ironie reste toujours une essence plus qu’un moyen! Même un Sartre avait du mal à comprendre Flaubert,qui,sans sa Correspondance, serait l’objet de nombreuses attaques! Mais Flaubert avait préparé sa revanche, car ses livres sont, comme la préface de son dictionnaire qu’est devenu Bouvard et Pécuchet,  » arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non.  » L’écrivain se demandait « ce serait peut-être une oeuvre étrange et capable de réussir, car elle serait toute d’actualité. » Un succès toujours d’actualité! Hereux sont les Happy-Few.

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  4. Article très intéressant et documenté. Il y aurait beaucoup de choses à dire. Un point intéressant, vu d’Afrique centrale : « Dans un tel climat (disons, l’Afrique équatoriale, par exemple), les hommes sont « lâches », ils n’ont plus de volonté, quelle que soit la couleur de leur peau. Le maître est lâche avec son prince, l’esclave est lâche avec son maître. Dans ces régions, dit Montesquieu, « l’esclavage choque moins la raison ».

    D’ailleurs, d’après une journaliste de RFI, il y a aujourd’hui encore quelques centaines de milliers d’enfants esclaves en Afrique centrale. J’en ai vus, à Bitam, au Nord du Gabon : ça ne choque la raison de personne. On pouvait acheter un esclave à usage sexuel ou autre 400 euros à Libreville dans les années 95, indiquait la journaliste. Voilà ce qui devrait préoccuper les « postcolonialistes », s’ils l’étaient vraiment : comment des sociétés postcoloniales peuvent-elles être restées coloniales et, pire que coloniales, esclavagistes. Parce que c’est ça qui accuse vraiment la colonisation et l’esclavagisme, cette destruction de l’humanité qu’ils ont opéré, pas la complicité supposée de Montesquieu. Mais, bien sûr, c’est plus dangereux de parler de choses réelles.

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    1. Que dites-vous ? Depuis quand l’esclavage fait partie des moeurs au Gabon ? Je reconnais que nous avons une communauté béninoise dont certains membres sont des « esclaves ». Je mets esclaves entre guillemets puisque ces enfants sont souvent des parents éloignés de leurs bourreaux qui ne les voient malheureusement pas comme des esclaves. Ces enfants sont utilisés pour les travaux domestiques. Le Gabon qui est un pays pauvre et corrompu ne fait rien ou pas grand chose pour résoudre ce problème.

      Etant Gabonaise, je n’ai jamais entendu que ce phénomène était courant dans notre pays ou qu’il faisait partie de nos moeurs. Vous avez peut-être des liens sur internet et des ouvrages de références ? Donnez-les nous.

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      1. C’est vrai que ce sont souvent les « Ouestafs » qui sont accusés d’esclavagisme, parce que ce sont eux qui organisent la traite, mais des commanditaires sont bien gabonais comme le montre le reportage. D’ailleurs, je crois que Balandier a écrit là-dessus dans « Afrique ambigüe », sur le rapport entre Batékés et Pygmées. Plus généralement, je crois que c’est une certaine « élite » de la société gabonaise qui a un problème de respect de la « dignité humaine ». Il suffit de voir tout ce qui se passe actuellement autour des crimes rituels.

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  5. « Et quelques éditions Poubelle, qui vendent ce que des lecteurs aiment entendre, comme l’éditeur de ce Miller »
    Ce sont des éditions très prestigieuses, je crois : Duke University Press.

    « Certaines ironies sont très contextualisées, et le temps passe, l’ironie s’efface. »
    Yuxia tu as raison pour Flaubert, il existe toujours chez lui une ambigüité très moderne, mais chez les philosophes des Lumières, l’ironie a pour but d’être bien comprises afin de destabiliser les convictions basées sur les préjugés. Dans le texte que je cite, l’ironie est perceptible par tout lecteur normal sans exception et sans variation dans le temps. Si je peux me permettre d’être un peu tranchant dans ma façon de parler.

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  6. Oui, Ben, les postcolonialistes ne s’intéressent, en général, pas aux cultures des peuples africains, asiatiques et américains. Tu as raison, ils devraient sans doute faire des études d’ethnologie, ou au moins se déplacer, observer, apprendre des langues africaines, mais ils ne le font pas. Je ne crois pas qu’ils soient intéressés par autre chose que déconstruire les textes et les auteurs occidentaux, ou associés. C’est une des limites du postcolonialisme théorique (celui auquel je suis exposé) : il est infiniment narcissique.

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  7. C’est d’une connerie abyssale…
    Le triste résultat de vocations contrariées j’imagine.. Ils (Elles) voulaient être journalistes au Sun mais ils (elles) n’avaient pas le niveau.
    Alors il a fallu se rabattre sur la recherche universitaire, l’entrée est plus facile et le directeur de recherche est peu regardant, tant qu’on bâche du philosophe français grande époque, ça fait vendre.

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  8. Non, les universitaires n’avaient pas envie d’être journalistes, je ne le pense pas. Et les directeurs de recherche, les comités de rédactions, les relecteurs, les éditeurs, tout ce monde est très regardant au contraire. Mais regardant sur le protocole d’écriture, sur la rhétorique académique, sur le respect de telle ou telle scolastique. Pas très regardant sur la fausseté ou la réalité des assertions. Il est vrai que, si on respecte les règles de rédaction, on peut dire rigoureusement n’importe quoi. Sokal et Bricmont l’ont bien prouvé dans les années 90.

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  9. Heu… c’était mon tour d’être un chouïa ironique ou plus exactement, de railler ces universitaires en leur prêtant des intentions qu’ils n’ont pas..
     » Les ouvrages universitaires tournent en bibliothèques, ils sont bien trop chers pour être achetés.  » Alors c’est pour ça que je les ai pas trouvés en kiosque ce matin, tout s’explique! lol.
    « J’imagine » dis-je, j’étais dans le registre de la fantaisie..
    Passer du temps à essayer de montrer que Montesquieu était raciste.. Pour moi c’est du pignolage.

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  10. Je lis chez Achille Mbembe une même utilisation de Motesquieu. Il cite des phrases issues de ce paragraphes avec la même ignorance de son but ironique, sarcastique, et donc critique : « C’est ainsi que le colon peut, au bout du langage, nier l’existence du colonisé et sa subjectivité. Montesquieu peut donc conclure : « (citation du célèbre paragraphe). » La bouche qui se baise elle-même est donc celle-là même qui, simultanément, blesse, laisse des cicatrices, extirpe la vie en donnant la mort. » De la postcolonie, p.229.

    Je trouve cela tellement regrettable. Des gens comme Mbembe savent très bien lire, et savent pertinemment que Montesquieu est ironique. L’ennui, c’est qu’ils se décridibilisent en usant des classiques de la sorte. Cela n’apporte rien de plus à leur propos, et au contraire, cela peut jouer en leur défaveur. Car un lecteur naïf qui irait voir de près et découvrirait le texte de Montesquieu dans son contexte, se dirait que Mbembe n’ a pas compris, qu’il lui manque une faculté, celle du second degré. Qui ne voit là le danger de glisser vers le racisme ?

    Les postcolonialistes seraient bien avisés de prendre les choses autrement, et de commencer par reconnaître les procédés rhétoriques et stylistiques de base utilisés par les grands écrivains. A nier le littéraire, mes amis, on court le risque qu’il se retourne contre soi.

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    1. J’aimerai connaitre le texte ou le passage de Montesquieu où il prend clairement position (sans ironie) contre l’esclavage des noirs…j’ai beau chercher mais je ne le trouve pas, sans cela il est très difficile de définir sa position sur le sujet.Pouvais vous me le fournir ? car vue la manière dont vous le défendez il est clair que pour vous toutes les ambiguïté sont levées.

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  11. Vous avez Mbembe en bibliothèque ? Quelle chance. Nous aussi, on l’avait, mais un collègue l’a emprunté, emporté au Congo, et égaré quelque part entre Pointe-Noire, Libreville et Paris ou ailleurs.

    De toute façon, ce qui est clair, déja dans la citation que tu donnes, c’est que Mbembe peut avoir de grands défauts, en tout cas il délire bien, avec son histoire de bouche qui se baise elle-même. Ca, c’est du grand Mbembe, un peu ampoulé mais en totale adéquation avec ce qu’il décrit, qui n’est pas la littérature française des Lumières, mais l’Afrique centrale postcoloniale qui se baise et se cannibalise elle-même. Ce qui ne devrait d’ailleurs certes pas l’inciter à dire des conneries sur Montesquieu. Mais il est en-dehors des codes universitaires anglo-saxons, ce qui fait qu’il en a certains travers, mais pas forcément la rigueur.

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  12. On a quelques livres de Mbembe à la bibliothèque, mais curieusement pas celui-ci (en français). Je cite donc un livre que je me suis acheté à la librairie du Quai Branly, pour évoquer un billet écrit peu après celui-ci.
    C’est Célestin Monga que j’aimerais bien lire aussi, mais on n’en a pas.

    La « bouche qui se baise elle-même » n’est pas « l’Afrique centrale postcoloniale qui se baise et se cannibalise elle- » mais l’attitude des colons, au contraire, et le régime de langage des blancs. D’ailleurs, Mbembe renverse avec un vrai bonheur d’écriture, les clichés sexuels blancs/noirs. L’obsession de la verge est le fait des blancs dans son livre, ce sont les blancs qui pensent avec leur bite, et je trouve cela assez convaincant à la lecture (même si, comme disent les technocrates, cela manque un peu de chiffres).

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  13. Ah! Cette semaine sur France Culture, émissions spéciales sur Montesquieu.
    Dans L’esprit des lois, et dans « Comment peut-on être persan? », Montesquieu écrit pour un public intelligent à propos de la bêtise.
    On a trouvé plus bête que les racistes du XVIIIe siècle, ce sont les antiracistes du XXIe siècle.

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    1. Oui Sylvie, j’ai enfin découvert l’émission du le site de France Culture. Il s’agit des « Nouveaux Chemins » c’est bien ça ? Il faut dire les titres, chers commentateurs, des émissions, sinon, on perd un temps fous à chercher. Je n’ai pas vu, en revanche de titre d’émission, dans la série, qui me paraisse traiter du racisme, de l’esclavage ou de chose comme cela. Les avez-vous entendues ?

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  14. Une des citations de Montesquieu dans l’article

     » Il y a des pays où la chaleur énerve le corps et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison. »

    Puis votre commentaire:

    « Bon, admettons que cela ne soit pas politiquement correct, et que tout cela, lié à sa théorie des climats, ne fait pas de lui un militant très ferme de l’anti-esclavagisme ».

    Certes mais pourquoi ne pas dire que la citation de Montesquieu est un exemple de connaissance bidon (fondée sur des « on dit ») et qu’il n’y a pas spécialement de lien à chercher entre « tout cela » et « sa théorie des climats » puisque la pensée évoquée (« que la chaleur… affaiblit ») est tout bêtement une exemplification de la théorie des climats. Les humains n’existent pas indépendamment d’un positionnement géographique sur Terre et il n’y a pas de théorie des climats sans effet des climats. La théorie des climats ce n’est pas une énumération des climats, c’est une théorie de l’effet des climats sur les êtres. Donc je vois pas trop pourquoi il faudrait chercher un lien en plus d’une connexion qui est déjà constitutive de la théorie.

    Si on parle de contexte on peut remarquer que Montesquieu sait à l’époque qu’il n’existe qu’une seule planète et que celle-ci est couverte d’une surface géographique à climat chaud qui est, tout de même, de bonne taille. Il me paraît raisonnable de penser que Montesquieu pense que sur une bonne partie de la planète la puissance coercitive est nécessaire, pour gouverner les peuples. Donc de fait (c’est peut être dommage pour l’ironie sur les esclavagistes dans la suite du livre) je comprends qu’une bonne partie du lectorat mondial ne soit pas trop enclin à se marrer. Quand la nourriture n’est pas très fraiche on n’est pas forcément en bonne disposition pour déguster un bon plat qui s’est glissé parmi elle.

    Car si je comprends bien Montesquieu se moque avec talent de l’arriéré raciste qui tient le fouet et dans le même temps il semble ok pour un modèle de distribution de l’esclavage (ou du despotisme) sur la planète qui opère à partir de « on dit » et autres relations de voyages. Ou bien j’ai loupé un épisode ou bien le moins qu’on puisse dire est que la prudence épistémique n’était peut être pas son fort… Du coup je me demande si on ne ressent pas mieux les préjugés du bonhomme quand on le lit quelque part dans un pays chaud? Et ça pose peut-être un léger problème pour une philosophie qui porte l’universalisme, non?

    Et donc certes Montesquieu n’est pas raciste puisqu’il subordonne le degré de sa critique de l’esclavagisme sur le globe au variation climatique et non à une théorie des races. Mais l’esclavagisme moins le racisme, il reste l’esclavagisme assortit d’une justification bien ficelée. Sans compter que le problème de savoir à qui il pensait que reviendrait le fouet reste entier…

    Du reste, en général dans ce débat comme dans beaucoup d’autre, il y a aussi ce problème que le mot « racisme » est un mot vague et à géométrie ultra-variable. C’est un mot que tout le monde adapte en fonction de ses besoins, de part et d’autre. En plus on ne sait jamais comment l’employer dès qu’on l’applique à l’histoire. Donc là le problème est simple, il faut le définir et être sûr qu’on s’entend déjà sur ses contours par rapport à un objet.

    Pour ma part je trouve que son climatisme, tel que présenté ici, n’a pas grand chose à envier à un racisme, puisqu’il opère dans le contexte d’une gestion politique des populations (alors qu’évidement si on restreint son point de vue à la connaissance de l’homme, dans l’espace, c’est progressiste).

    Au final l’honneur est sauf. Montesquieu est apparemment trop fin pour être raciste, trop humaniste pour croire que l’esclavage se justifie par la race mais aussi trop persuadé de sa théorie des climats pour penser que c’est par la race qu’il se justifie. Car au final l’esclavage se justifie… fusse à contrecœur. En fait en tant que français élevé aux belles images je peut regretter que l’humaniste pris d’un grain de folie utopiste n’ait pas proposé qu’on fasse venir les populations qui souffrent du Soleil, au frais, du coté de Fontainebleau, afin qu’elle puisse jouir d’un régime politique pleinement digne des êtres humains. Ca aurait été politiquement audacieux.

    Et donc pourquoi ne pas dire tout simplement que le texte de Montesquieu est daté et entaché d’une théorie pseudoscientifique des interactions entre les climats et la volonté qui est catastrophique? Encore une fois je ne suis pas trop étonné que beaucoup de gens ne goûte pas l’humour d’un des chapitres du bouquins. Après tout le problème est peut être justement qu’ils lisent le livre de A à Z? Et peut être que le problème en France est qu’on passe plus de temps à épousseter nos plus beaux fossiles qu’à les dépasser sans gêne? Où sont les lumières (science et philosophie réunie) aujourd’hui? Ceci dit ce n’est certes pas trop dans le postmodernisme qu’on peut espérer les trouver 🙂

    ps: Remarquez qu’il n’y a rien de choquant à ce que quelqu’un dise littéralement et sans plaisanter que les Monty Pythons c’est pas drôle 🙂

    ps2: et maintenant je vais dire le pire… c’était juste mes interrogations en vrac en lisant votre post car en réalité je n’ai pas lu « De l’esprit des lois ». Mais je vais le faire très prochainement et voir si je suis complètement à coté de la plaque (et en plein sentiment) ou non. 🙂

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    1. Ce commentaire est brillant mais, sans dire d’erreurs lui-même, il va dans le sens des erreurs commises par les universitaires que je cite dans mon billet. D’abord, quand vous dites que vous comprenez le sentiment d’ « une bonne partie du lectorat mondial », surtout les lecteurs des « pays chauds », il ne faut pas oublier que ceux qui refusent de voir l’ironie de Montesquieu sont des Anglais et des Américains du nord, en rien des gens qui viennent de l’Afrique équatoriale. Le courant de pensée dit « postcolonialisme », c’est essentiel de le comprendre, est un phénomène purement américain. Pour avoir de l’empathie avec les textes que je critique dans mon billet, il faut se mettre dans la peau, non d’un intellectuel méritant d’un pays pauvre, mais d’une jeune Américaine blanche, plus ou moins francophone, qui se veut de gauche tout en vivant dans un confort de capitaliste.
      Tout à fait d’accord pour dire que Montesquieu n’a pas assez de scrupules scientifiques, que sa méthode d’analyse est obsolète, etc., et d’ailleurs, tellement « old fashioned » que son livre a plus de 250 ans d’âge! Vous écrivez : « pourquoi ne pas dire tout simplement que le texte de Montesquieu est daté et entaché d’une théorie pseudoscientifique ». Bien sûr que c’est daté, et pseudoscientifique. Passer du temps à prouver que les gens du XVIIIe siècle avaient encore des préjugés qui nous choqueraient aujourd’hui, n’est pas exactement un projet qui fait avancer un quelconque débat, puisque tout le monde le sait déjà.
      Pour finir, je rappelle en vitesse que le contenu de mon billet se limitait strictement à la question de l’ironie d’un texte de Montesquieu, et à la stratégie de certains chercheurs en « études culturelles » de nier cette ironie.

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  15. Il est toujours frappant de voir à quel point le texte de Montesquieu est interprété de nos jours.
    Rappelons juste la vérité historique : Montesquieu était originaire d’un port négrier, Bordeaux et il était actionnaire de la compagnie des Indes Occidentales, ce sont des faits indiscutables or on ne peut pas faire un texte ignoble sur l’esclavage puis le faire ensuite passer pour de l’ironie quand on profite soi même de cette infâme commerce. A partir de là toute discussion qui viendrait à déclarer le contraire est justement PAS crédible. De plus Montesquieu n’a jamais présenté son texte comme de l’ironie. C’est Condorcet, abolitionniste paternaliste qui choqué par les propos de Montesquieu a donné l’explication de l’ironie. Le contresens (interprétation par l’ironie) s’est généralisé jusqu’à aujourd’hui car on ne veut pas avilir un des pères de la pensée politique occidentale mais la vérité est là pour ceux qui l’ignorent.
    Pour connaître l’origine de l’interprétation du texte de Montesquieu par l’ironie, lire le livre d’Odile Tobner « Du racisme français quatre siècles de négrophobie », Paris, Les Arenes, p134.

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  16. Et Odile Tobner elle-même, Madame Mongo Beti, connaît bien le sujet puisqu’elle a vécu avec son mari à Mbalmayo, au Cameroun, a contribué au Dictionnaire de la Nègritude et qu’elle l’a aussi aidé à créer, à Yaoundé, la fameuse Librairie des Peuples noirs.

    Il faut peut-être distinguer deux choses : la théorie des climats, dont je crois que Montesquieu y croyait assez sérieusement, et le fameux texte sur l’esclavage, qui est clairement ironique et anti-esclavagiste. D’ailleurs, il me semble que ce n’est pas Montesquieu, mais Voltaire qui a fait fortune dans le commerce triangulaire : Montesquieu était marchand de vins. On ne présente pas un texte comme de l’ironie, ça serait lourd.

    Par contre, il y a peut-être effectivement quelque chose de gênant dans sa théorie des climats. Comme le dit Pascal, on ne peut pas subordonner le degré de despotisme et d’exploitation de l’homme par l’homme acceptable à la température. Mais c’est vrai, je le dis à titre très personnel, que la chaleur tape sur le système. Ce qui est marrant, c’est que cette conséquence de la théorie des climats a été complètement adoptée par Céline, qui n’est pas certes lui-même un grand anti-raciste, mais qui en inverse les effets : la chaleur révèle la vraie nature du Blanc, qui est fondamentalement flippante, d’après Céline, tandis que les Nègres, eux, sont dépeints comme plutôt cool : eux ont besoin qu’on les frappe pour travailler, alors que les Blancs, esclaves par nature, travaillent sans même qu’on les frappe.

    « Dans cette stabilité désespérante de chaleur, tout le contenu humain du navire s’est coagulé dans une massive ivrognerie. On se mouvait mollement entre les ponts, comme des poulpes au fond d’une baignoire d’eau fadasse. C’est depuis ce moment que nous vîmes à fleur de peau venir s’étaler l’angoissante nature des blancs, provoquée, libérée, bien débraillée enfin, leur vraie nature, tout comme à la guerre. Etuve tropicale pour instincts tels crapauds et vipères qui viennent enfin s’épanouir au mois d’aout, sur les flancs fissurés des prisons. Dans le froid d’Europe, sous les grisailles pudiques du Nord, on ne fait, hors les carnages, que soupçonner la grouillante cruauté de nos frères… »

    Finalement, je dirais que ce qui est troublant, à propos de Montesquieu, c’est quand même la continuité entre sa théorie des climats et sa justification de l’esclavage, qui n’est pas seulement un morceau de bravoure ironique isolé dans le texte, mais s’insert dans une pensée plus ou moins systématique, dans laquelle esclavage et despotisme sont inévitables, si je comprends bien, étant donné la température qui règne sous ces latitudes de merde.

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  17. J’aimerai connaitre le texte ou le passage de Montesquieu où il prend clairement position (sans ironie) contre l’esclavage des noirs…j’ai beau chercher mais je ne le trouve pas, sans cela il est très difficile de définir sa position sur le sujet.Pouvais vous me le fournir ? car vue la manière dont vous le défendez il est clair que pour vous toutes les ambiguïté sont levées.

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    1. Oui, Mpati, les ambigüités sont levées, car il n’y a jamais eu d’ambigüité.
      Et partant de là, il est possible que Montesquieu n’ait pas écrit le texte que vous réclamez. Il fallait des postcolonialistes ignorants pour vouloir instiller un doute là où tout était clair.

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      1. « Oui, Mpati, les ambigüités sont levées, car il n’y a jamais eu d’ambigüité. »

        Vous avez presque raison, il n’y a jamais eu d’ambigüité. Publié en 1749, « de l’Esprit des lois » rencontre un énorme succès en France et en Angleterre, et la Traite négrière transatlantique culmine dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Comment Montesquieu aurait-il pu créer un scandale alors qu’il justifie cette traite ?

        Il suffit de poursuivre une ou deux pages après le fameux chapitre V pour s’en apercevoir, n’en déplaisent aux « ironistes » qui se gardent de trop s’y attarder:

        ****************
        « Mais, comme tous les hommes naissent égaux, il faut dire que
        l’esclavage est contre la nature, quoique dans certains pays il soit fondé sur une raison naturelle; et il faut bien distinguer ces pays d’avec ceux où les raisons naturelles même les rejettent, comme les pays d’Europe où il a été si heureusement aboli.
        (…)
        Il faut donc borner la servitude naturelle à certains pays
        particuliers de la Terre. Dans tous les autres, il me semble que,
        quelque pénibles que soient les travaux que la société y exige, on
        peut tout faire avec des hommes libres. »

        ****************

        Ajoutons que si un Montesquieu publiait son chapitre V aujourd’hui, il créerait un tollé, se prendrait probablement quelques poursuites en Justice et se verrait a minima accusé d’une incommensurable lourdeur. Mais il suffit que le temps fasse son oeuvre et, vu de loin, Montesquieu est maintenant un génial ironiste…

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      1. Oui, Ben, cette citation est déjà présente dans l’article. Mais ces intellos des temps modernes ne l’entendent pas de cette oreille. Ils ne mettent pas en doute Montesquieu, ils sont juste sûrs d’eux-mêmes, tellement sûrs que Montesquieu est raciste qu’il leur faut des preuves du contraire. Ca fait flipper.

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  18. ce serait super de répondre a Mpati 🙂
    Francophone je suis vivant en Amérique du Nord, j’ai remarqué que ces derniers ne comprenaient généralement pas le second degré. Ce qui est normal, ce n’est pas de leur paradigme, de leur univers culturel. Je sais qu’aussi en Afrique, en general, le second degré n’est pas très bienvenu.
    Acceptons que c’est de l’ironie. Ne pensez vous pas que malgré l’ironie, ce texte laisse des résidus de racisme dans l’esprit des nouveaux lecteurs (notamment les lycéens français).
    Vous êtes vous demandé si la personne qui ressort de cette lecture admet complètement la négation des hypothèses de Montesquieu ou est elle dans le doute?
    Soyons de bonne foi. Il est légitime que les universitaires questionnent ce texte car il véhicule des idées ambigües qui enrichissent subrepticement les imaginaires déjà teintés d’onces de racisme ou plus simplement d’un complexe de supériorité.
    PS: j’ai compris que votre texte avait pour objectif de lever le doute sur l’ironie de Monstequieu. Je contribue simplement pour tous ces gens qui le lisent afin d’avoir une idée sur la pertinence de l’étude de ce texte dans un contexte actuel critique sur ces questions.

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    1. Ce qui est raciste, Anita, c’est de dire que des peuples ou des communautés ne comprennent pas l’ironie. Tout le monde pratique le second degré, mais pas forcément dans des langues étrangères.
      Maintenant, la question de la réception de ce texte dans des environnements hostiles, je n’y avais pas pensé.

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    2. J’espère que tu ne veux pas dire, Anita, que seuls les Blancs sont racistes et que seuls les Blancs sont responsables de l’esclavage? Car tous les peuples sont racistes, et tous ont pratiqué l’esclavage. Il n’y a, en définitive, que chez les Blancs que l’esclavage a disparu. Il allait bon train parmi les Indiens d’Amérique, il va bon train encore en Amérique du Sud sous le nom de « trafic d’êtres humains », et en extrême Orient, et en Afrique et dans la péninsule arabique.

      Donc dire, au nom de l’antiracisme, que les Blancs sont responsables de tout le mal, c’est doublement paradoxal, puisque ça suppose:

      -1/ qu’il y a des races (les « méchants Blancs » contre les « gentils Noirs », par exemple)
      -2/ qu’il y a des races essentiellement mauvaises (les méchants Blancs seraient une méchante « race »)

      Maintenant, que les philosophes des Lumières aient été racistes au nom des sciences de l’homme, cela n’est absolument pas douteux. Voir le lien que j’ai posté.

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  19. C’est l’arrogance de notre époque. Elle croit compenser le vide de sa pensée en dénigrant les siècles passés. Plus ridicule encore se trouve la pensée universitaire française qui se croit obligé de se faire le petit perroquet d’une certaine déconstruction anglo-saxonne, qui est souvent le mariage d’une forme contemporaine de tiers-mondisme avec l’afro-centrisme d’origine américaine. Leurs buts n’est pas la critique raisonnée des thèses des lumières, mais une recherche systématique de leur disqualification au nom du moralisme anti-raciste contemporain. En résumé : pour eux les lumières, c’est ce qui structure les sociétés de l’homme blanc, donc il faut les détruire.
    Pour cela, la raison sort du champ du dialogue. Il est impossible d’échanger sainement car ce n’est pas la recherche de la vérité qui les motive, mais le désir de détruire ce qu’ils considèrent comme un oppresseur.

    Pour Montesquieu et ce fameux texte, il y a une manière très simple de comprendre en quoi il est ironique : il faut lire l’ensemble de « De l’Esprit des Lois ». On peut ainsi prouver que chaque argument avancé dans le texte est en contradiction avec le reste du livre. Je me suis livré à l’exercice sur un autre blog.
    Traiter Montesquieu de raciste est totalement anachronique, d’ailleurs il ne fait jamais référence au concept de races qui date du 19ième siècle. Sa théorie est fondée sur l’influence du climat. Un homme noir qui vivrait sous des latitudes où il fait froid finirait par acquérir la même structure de pensée qu’un blanc. Voilà ce que révèle en substance la théorie du climat, qui est le contraire absolu du racisme biologique professé au 19ième siècle, et qui est encore, même s’il est bien attaqué, le fondement du système d’intégration des étrangers à la française.

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    1. Merci Vivien, je m’avise aujourd’hui de votre commentaire qui m’avait échappé quand vous l’avez posté il y a plus d’un an. Que faisais-je donc en septembre 2014 pour rater cela ? En tout cas je suis d’accord avec vous et aurais pu écrire la majorité des phrases que vous signez ici.

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    1. Il y a quand même une légère incohérence dans le commentaire de Vivien. L' »afro-centrisme d’origine américaine » est un peu mort actuellement, je crois que Marcus Garvey lui-même est mort en 1940. Donc qui sont ce « eux » pour qui les Lumières, ce qui structure les sociétés de l’homme blanc, est une oppression ? Si on parle d’intellectuels tiers-mondistes africains ou noir-américains panafricanistes, OK, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Mais dans le cas de la « pensée universitaire française », considérer « ce qui structure la société des hommes blancs » comme une oppression paraît contradictoire. Enfin j’en sais rien.

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      1. « qui sont ce « eux » pour qui les Lumières, ce qui structure les sociétés de l’homme blanc, est une oppression ? »
        Qui sont-ils ? Mais les inénarrables agents des cultural studies, mon bon Ben. En l’occurrence les postcolonialistes.
        Je ne vois pas de contradiction ni d’incohérence dans le commentaire de Vivien, en revanche je suis assez d’accord avec toi pour dire que ces errances idéologiques sont un peu moribondes aujourd’hui.

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  20. Même si le débat est enrichissant mais ce n’est pas une raison d’essayer de fendre un cheveu en quatre pour enlever une salissure à la réputation de celui que la France considère comme l’un de ses plus illustres philosophes
    Pour les défenseurs de la thèse de contextualisation et qui la circonscrivent dans les limites du livre de Monstequieu plutot que dans celles de l’époque de l’écrivain, je voudrais rappeler qu’on est au 17eme siècle; en Europe ou ailleurs, les consciences ne sont pas trop dérangées par les discours, comportements et même le commerce esclavagistes qui d’ailleurs a fait la richesse des Métropoles de l’Europe. Et naturellement, cette situation a trouvé un écho dans l’oeuvre de Montesquieu qui s’est permis de faire de l’ironie avec un sujet aussi révoltant que l’esclavage. Et là, on doit être d’accord pour dire que cette ironie, pour le moins intellectuellement malsaine, laisse transpirer des relents abondants de racisme. C’est de l’abondance du coeur que la bouche parle et que la main transcrit

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  21. Il est intéressant que vous citiez un extrait de L’Esprit des lois qui justifie l’esclavage sans l’analyser : « quoique, dans certains pays il soit fondé sur la raison naturelle ». Vous devriez lire les spécialistes français sur cette question ou lire la synthèse qui a été faite récemment sur… Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Montesquieu#Les_justifications_de_la_servitude_selon_Montesquieu

    Oui Montesquieu était « raciste » et oui, comme nombre de ses contemporains l’ont bien compris (Diderot, le Chevalier de Jacourt, Mirabeau, Condorcet, etc., Montesquieu était partisan de l’esclavage.

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      1. Bonjour, oui j’ai lu votre billet. Et non, vous n’a analysez pas grand chose justement. Pensez bien que d’autre avant vous on travaillé sur ce texte. Votre malaise est prégnant quand vous touchez, du bout des doigts le problème : la « raison naturelle ». Vous devriez réellement lire les parties de l’article « Montesquieu » sur Wikipédia consacrées à l’ironie de Montesquieu et aux justifications de l’esclavage dans L’Esprit des lois. Vous y trouvez de très nombreux références, des contemporains du Baron à nos jours (Céline Spector, Denis de Casabianca, etc.), histoire d’aller un peu au-delà du phrasillon en matière d’analyse, justement. Bonne lecture.

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      2. Désolé pour le commentaire au-dessus. Je reprends : Bonjour, oui j’ai lu votre billet. Et non, vous n’analysez pas grand chose justement. Pensez bien que d’autres avant vous ont travaillé sur ce texte. D’ailleurs, votre malaise est prégnant quand vous touchez, du bout des doigts seulement, le problème : la « raison naturelle » (Jean Starobinski s’est d’ailleurs lui aussi trouvé dans cet inconfort mais n’a pas hésité à le dire… c’est honnête intellectuellement). Vous devriez réellement lire les parties de l’article « Montesquieu », sur Wikipédia, consacrées à l’ironie de Montesquieu et aux justifications de l’esclavage dans L’Esprit des lois. Vous y trouverez de très nombreux références, des contemporains du Baron à nos jours (Céline Spector, Denis de Casabianca, etc.), histoire d’aller un peu au-delà du phrasillon en matière d’analyse, justement. Bonne lecture.

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  22. Ok donc ce monsieur critiquait le commerce esclavagiste, mais était en même temps actionnaire de la compagnie des Indes Occidentales. Ohlala établir une critique envers cette barbarie, mais faire attention à ne pas perdre énormément d’intérêt. C’est assez fin comme stratégie.

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    1. J’ai bien l’impression que le leçons du lycée ont bien été assimilées. Belles rhétoriques et culture générale pour en revenir à quoi ?
      La cassure de l’image sans reproche et juste sarcastique ou humoristique -ce qu’on voudra – de Montesquieu n’est pas une pensée propre à l’Amérique du Nord uniquement. J’ suis de l’Afrique de l’Ouest, j’ai l’esprit des loi dans la peau grâce à Montesquieu. Mais j’avoue que son style que vous cadenassez dans l’humour -qu’on me dira « noir » certainement – m’est passé par dessus et ne m’a pas du tout donné envie de sourire -normal ! il est « noir » cet humour – lorsque j’ai lu ces passages.
      On enseigne bien qu’il faut démontrer que Montesquieu est ironique et non raciste ? – n’évoquons pas inutilement sa finesse et sa lumière lorsqu’il pense que la chaleur dilue la matière grise ainsi que la détermination de mes frères et sœurs que j’ai vu se tuer à la tâche par 40 degré à l’ombre dans les champs ainsi que d’autres travaux physiques ou intellectuelles –
      On m’a aussi enseigné au collège et au lycée à retenir que l’esclavage et la colonisation étaient un « mal nécessaire ». Pour avoir la moyenne, je devais ôter de ma tête que les Africains (et tout autre esclavagisés ou colonisés) n’avaient pas besoin d’être traités comme des pestiférés et des sous humains pour découvrir la beauté des cultures occidentale (ou quelle qu’elle soit).
      J’ai pas lue Odile Tobner, mais je garde Montesquieu comme un philosophe et non un anti-raciste, pour ne pas le prendre comme un raciste; ma préférence va aux réquisitoires implacables contre l’esclavage, pas ceux que l’on recherche à la loupe.
      Merci pour ce post !!

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  23. Ps : Je navigue peut être trop entre ironie (vos propos) et humour mais je pars du postulat que l’ironie discrédite un autre, avoir de l’humour consiste à se discréditer soi-même. Si je suis votre logique et vos citations, Montesquieu navigue entre les deux :

    Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.

    Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

    Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre.

    Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.

    Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

    Des petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains : car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié.

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