Les arts du quai Branly : embarras de la France néo-coloniale

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J’ai profité d’habiter près de Paris (Belfast, Irlande du nord), d’y avoir de la famille et de devoir y aller assez souvent pour inviter ma mère à m’y rejoindre pour des sorties dites culturelles.

Son frère Etienne nous a prêté un appartement à la Défense, et nous avons fait la bringue pendant deux jours et demi.

Comme ma mère est une voyageuse, je lui ai proposé de visiter le musée du Quai Branly. Vous savez, c’est le musée de Jacques Chirac qui devait s’appeler d’abord « Musée des arts premiers ». Au début, les gens pensaient que l’expression d’arts premiers étaient classe, puis très vite, on s’est aperçu que ce n’était qu’une manière de dire « primitif », « sous-développé », « sauvage », sans le dire tout à fait. 

Surtout, quand on voit des artefacts datés du XIXe siècle japonais, on se demande vraiment comment confondre cela avec de l’art produit par des sociétés traditionnelles.

Bref, ce joli musée montre des collections d’ethnologie du monde entier. Il existe pourtant un prestigieux « Musée de l’homme », fermé pour rénovation, connu pour avoir accompagné la recherche française dans ce domaine tout le long du XXe siècle, et plongeant ses racines dans les débuts de l’histoire naturelle (!) au XVIIIe siècle.

Il s’agit d’une collection d’objets ethnologiques, mais rassemblés à des fins esthétiques, voire décoratives. Dit comme cela, il faut avouer, cela nous renvoie à l’exotisme le plus grossier. L’exotisme du XIXe siècle, où l’on se pâmait devant des choses venues d’ailleurs, mais uniquement parce qu’elles parlaient à nos sens et qu’elles dépaysaient. L’exotisme comme version esthétique du colonialisme, comme nous en avions déjà parlé ici à propos de Pierre Loti et des femmes asiatiques en générale.

quai-branly-nouvelle-guinee.1287771313.jpgTableau de Nouvelle-Guinée

Ce lien entre le fringant musée du quai Branly et le colonialisme est en fait inscrit dans l’histoire même du musée, et mérite d’être rappelé brièvement :

1931 : « L’Exposition coloniale » montre aux Parisiens les richesses, les curiosités et les peuples qui habitaient le territoire conquis par la France. On construit pour cela le Palais de la Porte Dorée, dans le 12ème arrondissement. Les indigènes y sont montrés en habits traditionnels comme dans une foire, ou un zoo.

1935 : Musée de la France d’Outre-mer. C’est le nouveau nom de l’Exposition coloniale, dans les mêmes locaux.

1960 : Musée des arts africains et océaniens. Autre nom, même endroit.

1990 : Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie. Idem.

2003 : On décide de fusionner les collections de ce musée impérialiste avec le nouveau musée voulu par Jacques Chirac. Embarrassé par l’expression d’arts premiers, on ne trouve pas de solutions. On ne trouve pas de nom pour ce musée, que l’on voudrait grand public, sexy (donc pas trop scientifique, genre « musée de l’ethnologie »), et en même temps pas raciste ni colonialiste (genre « musée des sauvages et des cannibales du monde entier »). On ne trouve pas, alors on laisse le nom de l’adresse : quai Branly.

Comme on ne sait pas comment parler des arts issus de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Asie et de l’Amérique précolombienne, on parlera peut-être un jour des « arts du quai Branly ». Pour une analyse du contexte historique du musée, cliquez ici.

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Cela reste un fabuleux musée à visiter, avec sa mère par exemple. Dans les espaces consacrés à l’Afrique, on a le bonheur de voir des statues, des tissus et des balafons pareils à ceux que mes parents ont ramenés de Ouagadougou, quand ils y habitaient dans les années 60. Le blogueur est heureux de voir des masques Fang (Gabon), qui lui rappellent les billets du superbe Equateur noir, écrit par Agathe et Ben.

8 commentaires sur “Les arts du quai Branly : embarras de la France néo-coloniale

  1. L’homme qui donna son nom au quai Branly…

    Edouard Branly, pionnier de la radiodiffusion, s’en alla un été en Bretagne pour ses vacances. Ils s’aperçut que les conversations d’ivrognes, à la taverne, avaient lieu en langue bretonne. Il institua alors le curé du village comme partenaire de beuverie, qu’il les lui commentât en français. Le prêtre dit qu’il ne le pouvait, certains buveurs s’en seraient aperçu.

    Les deux larrons trouvèrent comment faire: les commentaires seraient en latin. Une éventuelle réaction du Parisien aux propos des buveurs, réaction qui serait également en latin, serait à commenter, par les bons soins de l’homme de Dieu, en langue celtique.

    Je ne sais pourquoi, j’aime cette histoire. Se non è vero, è bene trovato.

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  2. Belle histoire, qui nous éclaire un peu plus sur l’embrouillamini assimilationniste qui a présidé aux collectes des artefacts du musée, ainsi qu’aux différentes couches des musées coloniaux qui se sont succédé à la Porte dorée.

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  3. Personnellement, j’ai visité le musée de Branly l’été dernier, il m’avait semblé que les collections d’Afrique centrale étaient assez pauvres. J’avais eu l’impression qu’êtant récent, ce musée m’avait pu disposer de collections anciennes et plus importantes qui restent dans d’autres musées. Ton historique me détrompe, le musée Branly a donc hérité des collections de la Porte dorée. Mais il n’en reste pas moins que le vrai musée des « Arts nègres » à Paris reste le Musée Dapper, notamment en ce qui concerne les masques et reliquaires Fang. Par contre, il est vrai qu’au quai Branly, on trouve de très beaux masques Kota, ces masques en cuivre qui rappellent un peu l’art égyptien. Ce qui serait peut-être intéressant, ce serait de mettre en réseau ces collections « ethnologiques », celles de Dapper, de Guimet, du Quai Branly, qu’on ait une vue plus complète des arts concernés. Mais, en même temps, personnellement, je préfère le concept du petit musée, moins fatigant à visiter.

    Ce qu’on peut reprocher au Quai Branly, à mon avis, c’est de donner une fausse impression d’universalité. On a l’impression que tout y est, et du coup la connaissance de productions artistiques comme celles des Fang ou surtout des Bapunu reste sur une impression fausse et limitée. Le visiteur moyen en gardera l’image de choses sympa mais un peu frustres, parce qu’il n’aura pas vu les plus beaux masques, qui sont tous ailleurs, et du coup il restera sur l’idée que cet « art » nègre, quand même, c’est branché, les snobs, Chirac et compagnie, font semblant d’adorer, faut pas être raciste mais ça n’arrive pas à la hauteur de l’art occidental.

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  4. J’irai voir ces musées dont parle Ben.
    A propos du musée comme lieu de travail ethnologique, voir le formidable bouquin de Vincent Debaene qui vient de sortir : « L’Adieu au voyage: l’ethnologie française entre science et littérature ».

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  5. Et je suis d’accord avec toi Ben. C’est un musée très intéressant si on y va pour se promener et si on le considère sous un angle critique, dans l’évolution des musées parisiens, dans la tradition des « musées présidentiels » (celui-ci symbolise les ambivalences de Chirac et de la France chiraquienne, alors que Pompidou s’incarne à Beaubourg, etc.).
    D’ailleurs, cette façade « végétale », que l’on voit sur la première photo de mon billet, fruit d’une technique de paysagiste très sophistiquée, rappelle la fourure d’un animal et pose un nouveau problème d’ambiguité. Cela renvoie clairement aux peaux de bêtes, à une société proche de l’animalité, de la sauvagerie. On n’arrive pas à se situer, finalement, avec l’Afrique (car c’est de l’Afrique qu’il s’agit dans tout ceci.)

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  6. Et puis, un musée, c’est fait aussi pour rêver, pour partir. C’est un peu magique, un peu sacré. Comme de voir à Berlin les grands bateaux d’Océanie, à l’ancien musée Guimet de Lyon (une ancienne patinoire), une momie, ça permet de se demander : qu’est ce que l’homme ? surtout quand on est jeune. Après, on se pose des questions plus politiques, mais c’est parce qu’on a l’esprit un peu rassis

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