J’ai bu un café, début octobre, avec une femme élégante d’une quarantaine d’années. Originaire d’Irlande du nord, elle porte souvent un foulard Hermès au cou, ce qui lui donne, fatalement, un air « français ». Elle dit que ce serait un rêve, pour elle, que de pouvoir faire une thèse, pendant trois ans, et de mener la même vie que moi. Lire et écrire tous les jours, faire des recherches solitaires, et ne plus avoir à faire avec les gens pour un temps, ce serait un vrai bonheur. Je ne démens pas.
Je lui conseille de faire des démarches pour entreprendre une thèse. Après tout, il y a tellement de thésards qui détestent leur sort. Il serait bon que l’université s’ouvre à des personnalités qui se sentent faites pour la recherche. Quel sujet ? Elle dit que ce qu’elle connaît vraiment, c’est la mode, et que cela ne fait pas très académique. On ne sait jamais, dis-je, la mode est un sujet de recherche comme un autre. Je suis certain qu’il y a mille choses à dire, ne serait-ce que sur un foulard Hermès.
Et nous voilà partis dans une conversation sur cette marque dont j’apprendrai tout, car je ne savais même pas qu’elle était française.
Siobhan, ce n’est pas son vrai nom mais nous la désignerons ainsi, n’a pas les moyens de s’offrir de nombreux foulards. Elle n’est, selon ses propres mots, qu’une « petite collectionneuse », mais elle a une amie, à Dublin, qui possède des dizaines de foulards.
Quand elles se voient, l’amie dublinoise en apporte quelques uns, pliés et rangés dans leur boîte d’origine. Et les deux amies les sortent, les déplient et les contemplent longuement, en commentant les motifs, les couleurs, la texture. Je lui demande qui des deux plie et déplie. L’une ou l’autre, me répond-elle, il n’y a pas de règle fixe à ce stade du rituel, apparemment.
Je suis fasciné par la passion que peut inspirer des foulards. Les collectionneuses me font penser aux lettrés chinois avec leurs rouleaux de calligraphies et de peintures. Les rouleaux n’étaient pas suspendus sur les murs comme nos tableaux occidentaux. Ils étaient enroulés, rangés dans des étagères, et ils n’étaient exhibés que parcimonieusement, avec d’autres connaisseurs. On les déroulaient un par un, alors, et l’une des délectations venaient de ce que les oeuvres étaient dissimulées la plupart du temps. Contempler une oeuvre avait quelque chose de sacré.
C’est peu de dire que les foulards Hermès ont quelque chose de sacré.
D’après Siobhan, les collectionneuses ne se comptent pas parmi les femmes les plus riches. Elles appartiennent plutôt à une classe moyenne aisée, enrichie récemment, mais ayant suivi des études supérieures avancées. Elle dit, et elle se range peut-être dans cette catégorie, qu’elles aiment l’opéra, la musique classique et les beaux-arts. Qu’elles ne sont plus « toute jeune » et que les foulards ne sont pas réductibles à un signe extérieur de richesse, ni à un accessoire de compétition.
Elle précise que les femmes regardent les autres femmes avec un regard de juge. « Si une femme entrait maintenant, en un coup d’oeil, je dirais, ok c’est un 8/10 et je ne suis qu’un 7/10. » Elle dit que toutes les femmes sont ainsi, ce qui n’empêche pas l’amitié, mais une fois qu’un accord tacite est intervenu pour classer chacune dans sa catégorie. Si elles sont d’accord, sans se le dire, pour tenir leur rang, elles peuvent s’aimer avec une tendresse sans borne.
L’originalité des collectionneuses de foulards Hermès, selon Siobhan, c’est qu’il n’y a aucune concurrence entre elles. On n’admire pas la collectionneuse, mais les collectionneuses développent une « sororité » (sisterhood, dit-elle), et admirent ensemble les foulards, quelque soit la personne qui les possèdent.
D’ailleurs, il paraît qu’on ne les exhibe pas. Qu’on les porte de façon à ce que personne ne sache s’ils sont des authentiques Hermès ou des foulards d’une autre marque.
C’est ce qui me touche dans cette anthropologie de la mode féminine. Cette dialectique de l’intimité et de l’exposition. Ce double désir de jardin secret et de déshabillage, de pudeur et de provocation. J’avais remarqué cette double injonction dans les boîtes de brodeuse de l’ethnie Dong, en Chine méridionale. Fermée, la « boîte » ressemblait à un vieux livre austère ; en l’ouvrant, un monde de fleurs, de couleurs et de pliures sautait au visage. J’en avais fait une vidéo où ma main gauche montrait la gaucherie qui a toujours caractérisé mon rapport avec les femmes.
J’ai demandé à mon interlocutrice pourquoi le monde du cheval était si présent dans les foulards de la fameuse marque parisienne. Elle n’a pas évoqué l’histoire de la marque mais la féminité du cheval lui-même. Cela m’a rappelé Le Roi des Aulnes de Michel Tournier où, si je me souviens bien, le cheval représentait la féminité et l’homosexualité, et le cerf la masculinité hétérosexuelle. Reprenant Aristote, Tournier écrivait que le principe masculin se trouvait dans l’acte, et le principe féminin dans la puissance. Et que c’est pour cette raison que le cerf éjaculait dès qu’il avait pénétré la femelle, parce qu’il était « pur acte », dénué de puissance. C’était la sexualité féminine qui procédait à la négation de l’acte, en intériorisant le désir et en exigeant que l’acte de l’homme dure longtemps. La durée de l’acte le transformait progressivement en non-acte, en puissance, ce qui tuait au final son désir à lui.
Le foulard Hermès est, lui, dans la puissance, dans la durée, et dans la pérénité des petits coffres précieux, à ranger avec les boîtes à bijoux, les boîtes à boutons, les boîtes de brodeuses. Il imprime, vibre et distille ses mystères au contact soyeux des peaux de filles, qui rêvent d’instruments bizarres, de lanières, de cravaches, de bombes, de cuir, de hennissements qui leur donnent la chair de poule.
Et puis le nom, « Hermès », a des connotations sacrées ;
voir aussi « the Beauty and the Geek »,
http://www.thebeautyandthegeek.fr/jouer-avec-un-foulard-hermes-premier-essai
sur le mélange écharpe-carré.
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bon dieu, et on se demande pourquoi tout part à vau l’eau
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Moi mes carrés Hermès je les porte à l’année; ça te requinque la moindre tenue un peu passer dâte.
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Mais non mais non tout ne part pas à veau lot puisque je suis la…(leaul !)
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Merci pour ces liens, la beauté chez les Grecs. L’énigmatique Jack Palmer.
Et l’info du soir, qui est que Mildred porte des foulards Hermès. Eh ben dis-donc, Mildred, je vois qu’on ne s’en fait pas.
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Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ? Alors, puisque j’ai appris quelque chose sur ce poème, je vais peut-être t’apprendre que les foulards Hermès sont fabriqués dans la région lyonnaise… normal pour des carrés de soie.
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Au contraire les carrés Hermès sont de bons investissements à léguer à mes belles filles lorsque viendront mes vieux jours ,et qui plus est ils sont beaux.
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Fabriqué à Lyon, c’est vrai ? Ce n’est que justice car Lyon est le premier centre de production de soie qui a employé des artistes et designers, au XIXe, pour créer des motifs différents à chaque saison, faire évoluer la mode rapidement afin de prendre de vitesse les imitateurs, les faussaires et les contrefacteurs qui vendaient moins chers.
Merci Mildred pour cette information familiale. Alors comme ça les foulards passent de génération en génération ? Comme les bijoux ?
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