
Il a fallu du temps pour que les Irlandais renouent avec la combativité qui leur était coutumière dans les siècles passés. Aujourd’hui samedi 27 novembre 2010, des dizaines de milliers de personnes manifestent à Dublin contre les plans d’austérité qui affectent leur vie quotidienne, leur emploi et leur avenir.
On parlait du « Tigre celtique » pour évoquer les boom économique des années 1990-2000, il faut maintenant trouver un autre animal, mais, espérons-le, un animal qui rugit toujours et grognera longtemps.
Ce retour à la morosité économique qui touche l’Irlande me rappelle mes premières semaines à Dublin, à la fin des années 90. J’avais rencontré Daria, une Irlandaise francophone que j’aimais beaucoup et avec qui je passais beaucoup de temps au pub. J’étais émerveillé par les conversations que nous avions au Mulligan’s, dans une petite rue entre la Liffey et Trinity College. Près d’un feu de tourbe, dans une odeur de vieux bois mouillé, le Mulligan’s n’appartenait pas au Celtic Tiger mais à un Dublin plus lointain, plus obscur, où les écrivains inventaient une façon mi-ouvrière mi paysanne de parler du temps et des sentiments contrariés.
Nous parlions de littérature avec cette jeune femme dont le français me bluffait littéralement. Je la faisais parler sur l’Irlande qui, je ne sais pourquoi, me fascinait. J’entendais dire des choses qui m’intéressaient, jusqu’à ce qu’un jour elle fasse une prophétie qui me plaise infiniment. Je ne sais plus de quoi nous parlions, et elle m’a dit : « Non, mais on va redevenir pauvres, de toute façon. On n’est pas habitués à être riche, ça ne va pas durer ».
J’avais adoré entendre cela. Non que j’aimais l’idée d’une Irlande pauvre, mais je me réjouissais de côtoyer une femme au pessimisme rigolard, qui buvait des pintes de Guinness sans complexe et qui répondait si bien aux images que j’avais en tête de l’Irlande éternelle. Elle incarna soudain, à mes yeux embués, le pays dont j’avais rêvé dans les livres, celui des rires et des ivresses sans espoir. J’étais si enthousiaste d’avoir entendu cette prophétie que je l’ai écrite dans toutes les lettres que j’envoyais à mes amis.
« Hier soir, dans un pub sombre et humidement chaleureux, une Irlandaise à la chevelure frisée m’a tenu le plus extraordinaire langage… »
Je me disais que c’était la fameuse « loi de Murphy », celle qui explique que si les choses peuvent foirer, elles foireront. Le pessimisme était musique à mes oreilles. C’était la voix de Beckett, celle qui me parlait profondément, à moi qui venais d’être à la fois viré de mon travail, et quitté par mon amoureuse.
Alors aujourd’hui, dans les manifestations, des gens portent des pancartes qui appellent à revenir à la monnaie irlandaise d’avant l’euro : le punt. Le punt, c’était l’argent que j’utilisais pour payer les pintes de Guinness au Mulligan’s, alors ça me rappelle de bons souvenirs.
Les explications à ce qui se passe viennent de toute part. Les étrangers disent que les banques sont responsables, mais que les Irlandais étaient devenus fous, à acheter des maisons comme si c’était des cadeaux de noël. Daria, elle, ne donnait pas d’explication, elle disait que la pauvreté reviendrait par n’importe quel moyen.
Moi, je peux témoigner que les Irlandais de mon âge, à part Tom, Fentan et, dans une moindre mesure Barra, avaient intégré dans leur vie quotidienne que les banques pouvaient prêter sans arrêt, et qu’il était absurde, frileux et contre-productif de vivre en bon gestionnaire. S’endetter, spéculer, emprunter et hypothéquer, vivre à découvert était un signe d’adaptation au monde réel, donc d’intelligence.
En même temps, il ne faut rien regretter. C’était chouette, ces deux décennies de bulle, c’était la Californie pour pas cher, on y croyait, on portait des T-shirt en plein hiver, on était les rois du pétrole. Ca n’arrive pas tout le temps, il y a des peuples qui n’ont jamais connu une telle euphorie, alors on aurait été cons de ne pas en profiter au maximum.
Aux nouvelles de cinq heures les Irlandais sont dans les rues de Dublin et protestent contre les plans d’austérité. J’ai bien hâte que les Québéçois se bougent le popotin et se mobilisent contre la corruption du gouvernement en place : navrant d’être aussi pissoux.
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A ecouter : Daria du groupe Cake.
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Merci Diary, très chouette chanson, parfaitement ad hoc avec mon billet.
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salut mai ami je sper tu va buin
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