C’était dans une auberge de jeunesse de la ville de Québec.
De tout mon séjour au Canada, j’ai dormi deux fois en auberge, donc en dortoir. A chaque fois, on m’a assigné un lit dans un endroit très calme. C’est dû à mon âge, je pense. Les réceptionnistes se disent qu’ils vont m’épargner les dortoirs pleins d’ados bruyants ou de routards frimeurs. C’est la beauté de vieillir : on vous fout une plus grande paix.
Dans mon dortoir, un homme aux cheveux blancs dormait. Je laissais mes affaires et partais en ville pour visiter les superbes bouquinistes de la rue Saint-Jean. J’y ai fait de véritables découvertes, tant en littérature des voyages qu’en poésie.
De retour dans mon dortoir, l’homme dormait toujours, et encore la fois suivante où je m’y rendis. Je commençais à m’inquiéter. Et s’il fallait appeler la réception ?
Finalement, je le vis debout, fringant, cheveux blancs mais longs, casquette américaine et barbe bien taillée. Un homme de petite taille, un peu rond et jovial. Nous avons un peu parlé pour faire connaissance, il avait été tenu éveillé plusieurs jours d’affilée à cause d’un long voyage en bus. Comme moi, il avait pris des bus de nuit, mais il avait acquis l’art de la récupération par de longues séances de sommeil.
Il venait du lac Saint Jean et il allait je ne sais où, car je n’ai pas compris le but de son déplacement.
En fait, je ne comprenais pas beaucoup ce qu’il me disait. C’était prodigieux. J’ai adoré cette conversation en français où nos deux pratiques de la langue étaient très lointaines l’une de l’autre. Entre lui et moi, plusieurs siècles d’habitudes différentes. Moi, le poids des institutions scolaires, médiatiques, politiques, pour élaborer une expression standardisée, centralisée. Lui, des siècles de vie dans les bois, près des lacs, dans une langue ouverte aux influences nombreuses des vagues de migrations, et modelée par les longs hivers de Chicoutimi. Son français était magnifique, comme ses manières de gentilhomme. Il parlait en faisant des gestes sortis d’un autre âge.
Il me remerciait d’avoir respecté son sommeil, et appréciait que je sois calme. Quand je lui dis que je me lèverais tôt le lendemain pour aller retrouver un chauffeur qui faisait du covoiturage, mon compagnon de dortoir m’expliqua pendant cinq à dix minutes comment me rendre au lieu du rendez-vous. Avec force gestes et variations d’intonation dans sa voix chaude.
Jusqu’alors, j’avais entendu dire qu’il existait des « Canadiens français » qu’on ne comprend pas, mais je n’en avais pas rencontré. Enfin, je tenais mon francophone incompréhensible, et j’en étais très heureux. Je hochais la tête et faisais semblant de tout saisir. J’essayais de ne pas avoir l’air condescendant, mais quoi qu’on essaye, quand on est français, on tient toujours le rôle du petit prétentieux qui parle avec un accent pincé. Plutôt que de chercher à m’en faire aimer, j’ai préféré faire parler mon compère, profiter de la mélodie de sa langue, et, malgré tout, en apprendre plus sur sa vie, car le sens général de ses paroles m’était accessible.
Il menait une vie passablement nomade, déménageant toutes les quelques années. Il gagnait sa vie comme ouvrier et guitariste. Il s’appelait M. Blois et demanda confirmation sur le fait que Blois était bien une commune de France.
J’ai conscience que ce que je dis pose problème. On me dira que je prends de haut ce Québécois, que je lui donne le rôle du bon sauvage et que je me donne celui du savant qui s’enchante de l’exotisme charmant des indigènes. Je vois bien que l’on peut me reprocher de pratiquer l’orientalisme du « voyageur » surplombant le « voyagé » innocent (pour reprendre les termes de Mary-Louise Pratt), mais que puis-je faire ? Si je prétends ne pas remarquer les différences linguistiques entre M. Blois et moi, je nie la réalité, je foule au pied mon plaisir et j’occulte une belle part de l’identité québécoise.
Citation :
L’œuvre est connue: sur la page couverture, trois hommes et un petit chien en détresse sur un radeau, au milieu de nulle part. Le tout au-dessous d’un titre qui déstabilise une référence culturelle tenace: « Colocs en stock ». Mais que se passe-t-il?
http://buffetcomplet.blogspot.com/2009/10/tintin-en-quebecois-haddock-en-tabarnac.html
De la parole aux actes. Après avoir soulevé la polémique l’an dernier en évoquant la chose dans [les pages du Devoir], l’éditeur belge Casterman n’a finalement pas flanché. Pour la première fois de son histoire, le célèbre reporter mis au monde en 1929 par Hergé va donc parler le français du Québec dans une adaptation de la célèbre aventure Coke en stock, rebaptisée pour l’occasion.
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Intéressant. Maintenant, il faudrait voir quels Québécois ont l’impression, en lisant la bédé « traduite », que la langue utilisée est la leur. Je me demande même si aucun d’entre eux aurait l’impression qu’il s’agit là de leur langue.
Mais ça rejoint une question que je me suis souvent posé et à quoi je n’ai pas de réponse : y a-t-il une langue que les Québécois considèrent comme canonique ?
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»’ Cette absence de langue qu’est le joual est un cas de notre inexistence, à nous, les Canadiens français. On n’étudiera jamais assez le langage. Le langage est le lieu de toutes les significations. Notre inaptitude à nous affirmer, notre refus de l’avenir, notre obsession du passé, tout cela se reflète dans le joual, qui est vraiment notre langue. »’
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pourquoi vous sentir obligé de vous excuser de vos sentiments et de votre regard ? ne serait-ce pas le politiquement correct de votre petit milieu universitaire qui vous coince ?
merci pour votre blog ! je suis passée à Belfast quelques heures, et vos archives m’aident à comprendre un peu mieux ce que je n’ai qu’effleuré.
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Belle citation Mildred, mais d’où cela est-il tiré ?
Merci nath01, qu’êtes-vous donc venue faire à Belfast ?
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Source: ( Jean-Paul Desbiens), Les Insolences du frère Untel, préface d’André Laurendeau, Montréal, Éditions de l’Homme, 1960.
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Ah, merci Mildred. Très belle illustration de mon billet sur la « révolution tranquille ». Dix ans plus tard, Desbiens n’auraient sans doute pas parlé de « Canadiens français ». D’ailleurs, j’ai l’impression qu’on ne parle plus du joual que comme d’un des dialectes du Québec.
Dis-moi si je dis des bêtises.
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