J’ai vécu deux périodes bien distinctes pendant mon séjour africain qui aura duré 8 ans au total. La première qu’on pourrait appeler « période mobylette » , et qui dura quelques mois seulement, me permit de découvrir lentement les lieux et les gens. L’inconvénient : étant limité dans mes déplacements et ne maîtrisant pas le métier, je bougeais peu et avais tendance à rester en ville, dans la communauté française. L’avantage : cela m’a permis d’observer de l’intérieur les étranges comportements de certains hommes (et certaines femmes) blancs de peau ! Je vais y revenir. L’autre période commença lorsque l’on me confia un véhicule et de nouvelles responsabilités. Après ma formation initiale dispensée par monsieur X. dont je vous ai parlé récemment, j’eus la visite de plusieurs ingénieurs hydrologues de passage, qui, en échange du gîte et du couvert, me permirent de parfaire mon apprentissage. Commença alors une autre vie…
Je reviens à cette fameuse période mobylette.
Du temps des colonies et même après , il y avait les grands blancs , les blancs , les petits blancs selon qu’ils étaient hauts fonctionnaires ou similaires , commerçants , enseignants , banquiers ou simples employés. Les signes extérieurs de richesse avaient aussi leur importance ainsi que la façon de recevoir . Cette classification était autant le fait des Africains que des européens en général . Inutile de préciser la catégorie dans laquelle on m’avait catalogué!
Plus tard , au cours de ma seconde période, je changeai de statut et fus même invité à des réceptions qui se déroulaient chez les grands blancs ! Comme quoi , tout peut arriver. Il est intéressant de noter qu’il y avait également chez les Africains des degrés dans la couleur. Ainsi , un autochtone qui avait un poste important dans l’administration , était qualifié de blanc noir par ses congénéres!
Pour des informations plus circonstanciées sur ce sujet , je vous recommande de lire les ouvrages de Hampaté Ba , écrivain malien et en particulier son livre intitulé Oui mon commandant.
La rapidité des communications avec la France était toute relative et dépendait de votre éloignement par rapport à Abidjan. Le moyen le plus utilisé était le courrier postal (compter entre 15 jours et 3 semaines). En cas d’urgence , le service télégraphique fonctionnait assez bien (48 heures chrono). Pour les privilégiés, le téléphone était la solution, mais très chère et aléatoire. Une fois par semaine, un avion DC3 ravitaillait Korhogo en vivres frais, courrier, presse, médicaments et autres nécessités. Aussi , quand vous arriviez de France, vous étiez attendu et accueilli à bras ouverts. Vous ameniez avec vous l’air du pays et des nouvelles fraîches! Beaucoup de personnes qui m’ont reçu semblaient penser qu’on ne leur disait pas tout et que je détenais des informations confidentielles! Surtout que j’étais encore à Paris il y a peu de temps et que, c’est bien connu, c’est là que tout se passe. Nombreuses questions sur le Général qui venait de « brader » l’Algérie et toutes les colonies. J’ai ressenti malgré ou à cause de ma naïve jeunesse, une ambiance de méfiance et de peur chez la plupart des Français. Méfiance par rapport aux Africains « qui allaient finir par s’apercevoir qu’ils étaient devenus indépendants », et donc exiger des choses qui risquaient de bousculer leurs certitudes et leurs avantages. Les rumeurs allaient bon train. Le président de la Guinée voisine, Sékou Touré , qui avait refusé la main tendue par la France, et qui était donc en très mauvais termes avec Houphouet , le président Ivoirien, avait fait savoir, paraît-il, que ses troupes pourraient facilement arriver à Korhogo en une journée… Ceux qui craignaient pour leur intégrité physique se rassuraient avec le vieux dicton colonial : « Les blancs sont comptés et de toute façon les noirs disent que nous sentons le cadavre ».
On me donna des tas de conseils! J’en suivis quelques uns, qui étaient fort judicieux, car liés à une grande expérience du terrain, comme par exemple la façon de conduire sur la tôle ondulée (piste en latérite recouverte de vaguelettes qui vous font tressauter continuellement, imaginez le passage en mobylette sur ces pistes!), le respect des traditions africaines, faire savoir dans quelle direction vous allez quand vous partez en brousse. Chacun connaissait un chasseur ayant eu des problèmes et récupéré de justesse pour ne pas avoir suivi ces conseils. Les Européens que j’ai côtoyés durant cette période étaient là, pour la plupart, afin de « faire du CFA », comme on disait! C’est à dire économiser un maximum. Dans cette optique , ils étaient peu ou pas intéressés par le pays et ses habitants.
C’est dommage, en effet, tant de gens qui auraient pu établir des contacts passionnants et, par peur ou autre, ne l’ont pas fait.
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